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    Parcours braguien - La métaphysique comme objet de liberté

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    LA MÉTAPHYSIQUE COMME OBJET DE LIBERTÉ*

     

    Cette situation exige peut-être la réouverture d’un vieux débat, en apparence depuis longtemps tranché, et même oublié comme tel. L’opération conceptuelle à effectuer serait une version moderne de ce que serait, en philosophie ancienne, le fait de rétrocéder d’Aristote à Platon.

    SOMMAIRE

                                                             1 /  Retour à Platon

                                                              2/  La liberté jusqu’au bout

                                                              3/ La liberté et le Bien

                                                              4/ Le sacrifice

                                                              5/¨La Foi ou la mort

    • Chapitre extrait de « Les Ancres dans le ciel » de Rémi Brague, éd. Flammarion, mars 2013.

     

    1 /  RETOUR À PLATON

    Aristote critiquait l’Idée platonicienne du Bien, ou en tout cas il l’excluait du champ de son éthique pour restreindre celle-ci à l’étude du Bien tel qu’il peut être réalisé par l’homme, le    « bien faisable » (prakton agathon) donc[1].
    Platon pensait l’Idée du Bien à travers l’image du soleil. Il mettait de la sorte en œuvre toute une métaphorique de la lumière, sur laquelle on a beaucoup réfléchi, jusqu’à parler d’une       « métaphysique de la lumière[2] ». Mais Platon pensait aussi à une autre image, qu’il présente de façon plus succincte, en passant. Ce qui explique pourquoi, à ma connaissance du moins, elle n’a été qu’assez peu interrogée. Le soleil, poursuit Platon, fournit aux choses visibles la capacité d’être vues ; mais il leur fournit également la venue à l’être (genesis), la croissance (auxè) et la nourriture (trophè)[3] . Le philosophe n’a guère besoin d’insister. Il renvoie en effet à un fait très manifeste, l’influence du soleil sur toute génération, un fait dont son disciple Aristote donnera une présentation plus détaillée, sur le fond de toute une cosmographie[4] . Il suggérera même discrètement que toute génération suppose, en arrière- fond, la présence du soleil lorsqu’il écrit : « l’homme engendre l’homme, et avec lui le soleil » (anthrôpos anthrôpon genna kai hèlios)[5] .
    Revenons à Platon, et à l’évidence la plus banale : le soleil fait germer les plantes, il fait qu’elles sortent de terre. Ce faisant, elles deviennent visibles. Mais plus essentiellement, elles deviennent capables de se nourrir de ses rayons. De même, le Bien ne se contente pas d’éclairer ce qui est déjà là, il produit les choses connaissables et les rend capables de s’orienter selon lui. L’Idée du Bien, précise Platon aussitôt après, est au-delà de l’Être (epekeina tes ousias)[6]. La formule a été l’objet de la méditation constante des néoplaoniciens ; à notre époque, elle a été reprise et illustrée par Lévinas, qui en a fait le sous-titre d’un de ses principaux livres[7] . Le Bien platonicien est ce grâce à quoi il advient (proseinai) aux choses connues l’Être (einai) et le fait d’être ce quelles sont (ousia) [8].

    J’aimerais ici prolonger la méditation de Platon par ce que la tradition postérieure lui a ajouté : cet Être, les choses connues le reçoivent de façon diverse, selon leur nature propre. Les minéraux ne le reçoivent pas de la même façon que les plantes, les plantes de la même façon que les animaux, les animaux de la même façon que les hommes. Chacun reçoit ce qu’il lui faut pour atteindre son bien : « à chacun selon ses besoins ». Pour les minéraux, le bien consiste à exister, tout court. Il coïncide donc simplement avec l’Être. Pour les êtres vivants, il consiste à survivre comme individu et à se reproduire comme espèce. Leur bien consiste à être, mais cet être est à chercher. Quant à l’homme, la tâche de chercher le Bien qui lui permet d’être pleinement ce qu’il lui est confié dans la liberté. Celle-ci est en lui pour ainsi dire l’organe qui lui permet d’avoir accès au Bien. Il nous faut donc dire quelques mots sur la liberté.

     

    2 / LA LIBERTÉ JUSQU’AU BOUT

    Avec cette très brève méditation, nous sommes en plein dans la philosophie. Nous sommes même en son centre. La philosophie est en effet une affirmation de la liberté. Cette affirmation a déjà été préfigurée dans l’Antiquité[9] . Elle ne culmine pourtant que dans la période moderne de son histoire. Il en est ainsi parce que la philosophie se comprend comme l’épanouissement ultime de la capacité de logos qui définit l’homme comme tel.
    Or dans la définition traditionnelle de l’homme comme vivant doté de logos, la liberté était bien implicitement présente dans cette dernière notion. Elle affleure chez Aristote dans la théorie des « puissances rationnelles » (dynamis meta logou) qui, à la différence des puissances irrationnelles, bloquées sur un seul effet, sont capables de produire un effet, mais aussi son contraire [10].
    Mais cette présence de la liberté restait implicite la plupart du temps. Pour les Anciens, la liberté (eleutheria) était avant tout une réalité sociale ; elle désignait le statut social de l’homme libre, par opposition à celui de l’esclave[11]. Tout au plus pouvait-elle affleurer quelques rares fois.
    C’est le cas, dans l’Antiquité, chez Alexandre d’Aphrodise qui affirme que rien n’est plus propre à l’homme que le fait que ses actions soient en son pouvoir (eph’ hèmin) [12]. À l’époque patristique, saint Grégoire de Nysse écrit :

    Celui qui a créé l’homme pour le faire participer à ses propres avantages, et qui a déposé dans sa nature, en l’organisant, le principe de tout ce qui est beau, pour que chacune de ces dispositions orientât son désir vers l’attribut divin correspondant, celui-là ne l’aurait pas privé du plus beau et du plus précieux de ces avantages, je veux parler de la faveur d’être indépendant {adespotos} et libre {autexousios) [13].

    Au Moyen Âge, un franciscain, Pierre de Jean Olieu (Olivi) a des formules très fortes, et d’une brûlante actualité pour nous qui vivons à l’âge des ordinateurs, quand il affirme qu’un homme sans liberté ne serait qu’une bête capable de calculer[14]. Dante parle du libre arbitre comme du don le plus précieux que Dieu ait fait à l’homme[15] . C’est cependant sans doute Rousseau qui, le premier, a explicitement substitué la liberté à la raison comme différence spécifique de l’homme : « Ce n’est {...] pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre[16]. » L’affirmation par Kant du   « primat de la raison pratique » a ouvert un nouveau domaine pour la métaphysique[17] . Les penseurs de l’idéalisme allemand se sont engouffrés dans la brèche. Et Fichte tout d’abord. Comme le disait le jeune Schelling, encore fichtéen : « L’alpha et l’oméga de toute philosophie est la liberté[18] . »
    Cette révolution philosophique était en phase avec le mouvement historique très concret de la modernité sous ses aspects économiques, sociaux et politiques. Celui-ci est la réalisation progressive de la liberté. Non plus celle d’un seul, non plus d’une élite, mais, à l’horizon du moins, la liberté de tous. Hegel identifiait la liberté comme le but du mouvement historique [19]. Je voudrais quant à moi reprendre ici le mot du grand historien anglo-bavarois lord Acton, un catholique, qui toute sa vie prépara une histoire de la liberté qu’il ne put jamais écrire : « La liberté n’est pas un moyen en vue d’autre chose, mais une fin en soi[20] . »

     

    3/ LA LIBERTÉ ET LE BlEN

    Pour les hommes, l’accueil du Bien passe par la liberté. Et l’accès au Bien passe par le « faire » (praxis). Le Bien est ce que nous faisons, ou plutôt devrions faire.
    Le Bien en style aristotélicien suffit tout à fait là où il s’agit d’agir. Ce en quoi Aristote avait tout à fait raison de mettre l’Idée du Bien entre parenthèses quand il traitait d’éthique. Il cherchait en effet les règles de l’action. Pour le dire en style moderne, kantien, il voulait répondre à la question : « Que dois-je faire ? » Or, pour fournir une telle réponse, on peut se borner à poser la question du « bien faisable  ». En revanche, le Bien ainsi conçu s’avère insuffisant là où il faut produire non l’action morale, mais les acteurs mêmes de la vie morale, les sujets qui seront capables, une fois produits, de se demander ce qu’il est de leur devoir de faire.
    Aristote faisait à son maître Platon une objection récurrente : les idées que celui-ci pose ne font rien, elles sont oisives, improductives, et donc superflues [21]. Et il est de fait qu’elles ne sont en rien causes efficientes. Mais peut-être pourrait-on dire qu’elles agissent comme un catalyseur en chimie : leur présence ne « fait » rien, mais elle permet que ce qu’elles ne font pas elles-mêmes puisse se faire. Elle est ce qui libère la causalité des causes, y compris celle des causes efficientes.
    Il en est de même du Bien : sa présence n’est peut- être pas absolument indispensable pour que les hommes agissent moralement. Mais il l’est pour que l’humanité continue, tout simplement, à exister.
    Rien ne serait plus facile, voire tentant, que de rêver un retour vers l’amont de la modernité, vers une époque où la liberté de l’individu était guidée, au risque d’être bridée, par les institutions, les coutumes, les mœurs, etc. Plusieurs penseurs, et non des moindres, ont tenté de faire mémoire de ce que nous avons perdu, et ils ont élevé à la lumière de la conscience ce qui sans eux aurait été laissé dans l’oubli. Je pense avant tout à l’Anglais Edmund Burke. Dans ses Réflexions sur la Révolution française (1790), il a eu le mérite de rappeler que la liberté n’existe pas sans son enracinement dans les libertés d’un groupe social déterminé[22] .
    Cependant, un tel retour en arrière, même si l’on admettait qu’il était possible, n’est pas ici mon intention. Tout au contraire, je voudrais prendre la modernité au mot, la prendre plus au sérieux qu’elle ne le fait elle-même et la radicaliser. On connaît le jeu de mots célèbre de Marx : est radical celui qui saisit les choses à la racine, or « la racine pour l’homme, c’est l’homme même[23] ». Je n’ai pas ici à me préoccuper de cette formule, aussi gratuite qu’absurde. Il s’agit plutôt de méditer les conditions de possibilité de ce que Benjamin Constant appelait, dans le seul contexte politique, la « liberté des modernes[24] ».
    Il nous faut donc nous aussi être radicaux et creuser jusqu’aux racines du projet moderne, jusqu’à ses conditions de possibilité. Celles-ci n’apparaissent que lorsque celui-ci semble sur le point de se réaliser, c’est- à-dire maintenant.
    Il faut se réjouir de l’extension du domaine accessible à la liberté humaine, même si cette extension ouvre des possibilités jusqu’alors inouïes. L’homme n’est plus seulement libre de se donner des qualités comme il l’entend. Il l’est désormais de prononcer sur soi-même un jugement global et sans appel, de s’affirmer ou de se nier entièrement et sans possibilité de retour. Peut-on concevoir une forme plus haute d’autodétermination ?
    Maintenant, dans quelle mesure cette liberté a-t-elle besoin du Bien « fort » que j’ai évoqué plus haut ? La liberté sans le Bien resterait capable de choisir de rester fidèle à ses propres conditions d’existence, la cohérence ; ce serait d’ailleurs moins un choix qu’une permanence. Mais la liberté serait-elle encore capable de se choisir elle- même ? Un être libre choisira d’être libre, et il ne saurait choisir librement de ne pas être libre sans une contradiction. Certes. Mais choisirait-il d’être, tout court ?
    Schopenhauer, avons-nous vu, désapprouve le suicide « violent  ». En revanche, il est moins sévère envers ceux qui se seraient laissés mourir de faim. De la sorte, ils auraient réussi à nier la volonté elle-même, et pas seulement une de ses manifestations. Le philosophe allemand risque une expérience de pensée plus osée encore : « Peut-être personne n’est-il en vie, qui n’aurait déjà mis fin à celle-ci si cette fin était quelque chose de purement négatif, une cessation subite de l’existence. Seulement, elle comporte quelque chose de positif, la destruction du corps. C’est elle qui fait peur et nous en détourne[25] . » En d’autres termes : si nous n’avions pas de corps, et donc si notre suppression n’avait à passer par la destruction de celui-ci, nous choisirions tous, très probablement, de ne pas être. Schopenhauer n’a par ailleurs pour les anges que des sarcasmes ; mais ici son hypothèse semble bien porter sur des êtres qui leur seraient semblables.
    En toute hypothèse, il existe un cas dans lequel on se rapproche au maximum de la situation qu’imagine Schopenhauer. C’est celui où le corps en question n’est pas le mien, mais celui d’autrui. Qui plus est, il est celui d’un autrui qui n’existe que virtuellement et qui ne deviendra réel que si je le veux bien – l’enfant encore à procréer. Sa destruction n’est donc elle aussi que virtuelle, la plus légère de toutes les actions.

     

    4 / LE SACRIFICE

    Je suis bien loin d’être le premier à proposer de réfléchir sur le rapport de la liberté au bien et à l’être. Il avait déjà été médité, longtemps avant les Temps modernes, par le philosophe Saloustios, l’auteur autrement inconnu du petit traité portant le titre de Des dieux et du monde. Il s’agit d’un compendium de philosophie populaire, sans doute rédigé à la fin du IVe siècle pour servir de catéchisme officiel au paganisme épuré que l’empereur Julien l’Apostat voulait opposer au christianisme. Il est teinté d’un néoplatonisme élémentaire. En conséquence, on y retrouve la thèse fondamentale de celui-ci, la supériorité du Bien sur l’Être.
    Saloustios y écrit que ladite thèse philosophique a une preuve tout à fait concrète. C’est « le mépris de l’existence {to einai}, en vue du bien {to agathon}, chez les âmes de valeur, lorsqu’elles se portent spontanément {thelein} au danger pour la patrie, pour des amis ou pour la vertu[26] ». La capacité que l’homme possède de se sacrifier montre qu’il est capable de faire passer le Bien avant l’Être. Le sacrifice dont il est question ici est tout autre chose que le suicide. Celui-ci supprime l’être faute de voir qu’il ouvre sur le Bien. Ici, il s’agit au contraire de comprendre qu’il y a un Bien qui nous est accessible au- delà de la simple existence.
    Ce Bien, nous pouvons le vouloir ; voire c’est dans et par la volonté qu’il nous devient accessible. Ce rapport au Bien qui s’établit dans la volonté est la foi. On peut peut-être transposer ce qui vient d’être dit du sacrifice à ce « sacrifice de l’intellect » qu’est la foi. Avant qu’on ne se récrie, rappelons d’abord, contre un contresens fréquent, que l’expression doit s’entendre comme un génitif subjectif traduisant l’expression paulinienne de logikè latreia (Rm 12,1) : l’intellect est le sacrificateur, non la victime ; il doit offrir un sacrifice et surtout pas se nier soi-même en s’abîmant dans la sottise. La foi est un rapport au Bien, et c’est par un acte de la liberté que ce Bien est atteint.

     

    5/ LA FOI OU LA MORT

    Parlant ici de foi, je ne veux pas revenir sur le thème déjà rebattu de l’utilité sociale de la religion. Il a été traité sur tous les tons, que ce soit pour louer la religion comme indispensable au bon fonctionnement des sociétés ou au contraire pour la démasquer comme une idéologie au service de celles-ci, et avant tout de ceux qui tiennent en elles le haut du pavé et ont intérêt à perpétuer l’ordre qui les y maintient. Le premier aspect commence avec le sophiste Critias[27]  et va jusqu’à la sociologie d’Emile Durkheim en passant par Joseph de Maistre ; le second remonte aux radicaux des Lumières. Les auteurs favorables à la religion n’ont envisagé que l’influence de celle-ci sur les mœurs, qui était selon eux bénéfique. On n’a cessé de leur répondre en énumérant les maux produits par le « fanatisme », depuis Lucrèce racontant l’immolation d’Iphigénie jusqu’à nos jours[28] . À ceux qui font observer que l’histoire ne connaît pas de société sans religion, on répond avec raison que le passé ne préjuge nullement de l’avenir et que rien ne nous interdit de tenter l’expérience.
    La question que je pose ici est plus radicale, puisqu’elle porte sur le rapport entre la religion et l’existence même de l’homme sur terre. Il ne s’agit plus de l’homme comme animal social ou comme animal moral, mais bien de l’espèce humaine dans la totalité de ses dimensions et dans la totalité de son parcours. Il ne s’agit plus des caractéristiques de celle-ci (ordre social, moralité) mais bien de sa vie. Auquel cas l’expérience à tenter sera plus risquée, puisque, si elle devait rater, il ne serait plus question de recommencer sur de nouvelles bases.
    Nietzsche voulait faire prononcer  à son Zarathoustra une formule qu’il a préféré ne pas publier – on aimerait savoir pourquoi – et qui est restée dans ses carnets : « Nous faisons une expérience  (Versuch) avec la vérité ! Peut-être  l’humanité va-t-elle en disparaître ! Allons-y (wohlan)[29] ! »
    Belle assurance… Nietzsche ou son Zarathoustra, croyait-il vraiment à ce qu’il disait au point d’assumer le risque ? Le mot de « providence » suscite aujourd’hui un sourire de commisération, si ce n’est le scandale. Mais ne peut-on soupçonner que le fils du pasteur de Röcken avait gardé, bien malgré lui, le reste sécularisé d’une foi naïve en la providence qui garantirait que, quoi que nous fassions, tout tournerait à notre avantage ? Je l’ignore. Je constate en tout cas que nos contemporains semblent avoir conservé ce genre d’illusion, lorsque je les vois, dans tous les domaines, multiplier les pratiques qui mettent en danger la vie humaine, en espérant sans doute que  « tout finira par s’arranger ». Quant à moi, je ne partage nullement cette façon d’imaginer la Providence comme une sorte de parachute. La conception chrétienne de celle-ci ne semble bien plus riche et nuancée, faire plus de place aussi à la liberté de l’homme et à la logique de ses actions.
    Toute notre civilisation se livre à un gigantesque saut à l’élastique (benji), mais je ne suis pas sûr que l’élastique soit accroché. Et je me demande, non sans inquiétude, si une telle expérience mortelle ne serait pas déjà commencée.      

     

    INDEX DES AUTEURS

     

    Alexandre d’Aphrodise   3
    Aristote 1,2,3
    Burke Zdmond  4
    Critias  5
    Dante   3
    Durkheim Emile 5
    Fichte  3
    Grégoire de Nysse   2
    Hegel   3
    Joseph de Maistre 5
    Julien l’Apostat  5
    Kant    3
    Lévinas  2
    Lord Acton  3
    Lucrèce   5
    Marx 4
    néoplatoniciesns  1,5
    Nietzsche  5
    Olieu Pierre de Jean (Olivi)  3
    Platon   1,;2,3
    Rousseau    2
    Saloustios 5
    Schelling  5
    Schopenhauer  4,5  

     


    [1]  Aeistote, Ethique à Nicomaque, I, 7, 1097a23.
    [2] Voir par exemple W. Beierwaltes, Lux intellïgiblis. Untersuchung zur Lichtmetaphysik der Griechen, Diss. München 1952 [inédit] ; l’expression « métaphysique de la lumière » est probablement due à C. Baumker.
    [3] Platon, République, VI, 509b2-4.
    [4] Aristote, De la génération et de la corruption, II, 10, tout le chapitre, et spécialement 336bl7-18.
    [5] Aristote, Physique, II, 2, 194bl3-
    [6]  Platon, République, VI, 509b9.
    [7] E. Lévinas, Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence, La Haye, Nijhoff, 1974.
    [8]  Platon, République, VI, 509b7-8. Il se peut que le kai ne fasse qu’expliciter le verbe « être », auquel cas il faudrait traduire par « à savoir, ce qu’elles sont ». Le proseinai, littéralement « venir en plus, s’ajouter » est peut-être l’ancêtre de l’ontologie d’Avicenne, voir plus haut, § 12, p. 45.
    [9]  Voir mon Introduction au monde grec, Chatou, La Transparence,2005, p. 10-11.         
    [10] Aristote, Métaphysique, 0, 2.
    [11] On a la même situation dans l’islam de l’âge classique : voir F. Rosenthal, The Muslim Concept of Freedom Prior to the Nineteenth Century, Leyde, Brill, I960.
    [12] Alexandre d’Aphrodise, De anima liber cum mantissa, éd. I Bruns, Berlin, Reimer, 1887, p. 175.
    [13] Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, V, 9-10, éd. L. Méridier, Paris, Picard, 1908, p. 30-32
    [14] Pierre de Jean Olieu (Olivi), Quaestiones in 11 Sententiarum, q. LVII, éd. B. Jansen, Florence, Quaracchi, 1924, t. II, p. 338.
    [15] Dante, De monarchia, I, 12, 6 et Commedia, Paradiso, V, 19-22.
    [16] J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, I, Œuvres com¬plétés, op. cit., p. 141.
    [17] E. Kant, Kritik der praktischen Vernunft, éd. K. Vorländer, Ham-bourg, Meiner, 1929, p. 138-140.
    [18] F. Schelling, lettre à Hegel, 4 février 1795, Briefe an und von Hegel, éd. J. Hoffmeister, Hambourg, Meiner, 1969,1.1, p. 22.
    [19] G. W. F. Hegel, Philosophie der Geschichte, éd. H. Glöckner, Stuttgart, Frommann, 1928, t XI, introduction, p. 44-47.
    [20] Lord Acton, The History of Freedom in Antiquity {1877}, « Ancient Rome », Selected Writings, ed. J. R. Fears, Indianapolis, Liberty Press, 1985, t. I, p. 22.
    [21] Aristote, Métaphysique, Z, 8,1033b28 et voir les références citées dans Bonit2, Index aristotelicus, 599a46-49.
    22 E. Burke, Reflections on the Revolution in France, éd. J. G. A. Pocock, Indianapolis et aL, Hackett, 1987.
    23 K. Marx, Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie, Einleitung, Frühschriften, éd. S. Landshut, Stuttgart, Kroner, 2004, 7e éd., p. 283.
    24. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des modernes, Ecrits politiques, éd. M. Gauchet, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 591-619.
    25 A. Schopenhauer, Paralipomena, op. cit., chap. XIII, « Über den Selbstmord », § 158, p. 366.
    [26]  Saloustios, Des dieux et du monde, V, 3, éd. G. Rochefort, Paris, Les Belles Lettres, I960, p. 9-
    [27] Critias, Sisyphe, n° 88, fgt. B25, dans Die Fragmente der Vorso- kratiker, éd. H. Diels et W. Kranz, t. II, Berlin, Weidmann, 1968, p. 386-389.
    [28] Lucrèce, De natura rerum, I, 80-101. Sur la réception, voir de nou¬veau le fichier réuni par J. Salem, Cinq Variations..., op. cit., p. 17-87.
    [29]  Nietzsche, Fragment 25 [305], Printemps 1884, KSA t. XI, p. 88.

     


    Date de création : 13/01/2018 @ 17:55
    Dernière modification : 13/01/2018 @ 18:05
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