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    Parcours boutangien - Temps et histoire

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    TEMPS ET HISTOIRE

     

    Ce qui est aussi très différent de KIERKEGAARD, chez le Forézien, c’est d’abord le rapport au corps et plus précisément à la perception

    La pensée du libre-arbitre qu’il explicite, s’approche de l’instant kierkegaardien. En effet, dans le libre-arbitre je « me reçois » pour ainsi dire en personne. C’est la clé de la philosophie de BOUTANG. La critique du sujet comme substance ne peut pas s’appliquer à ce sujet libre-arbitre ; en effet B. reprend la définition classique du thomisme empruntée à Boèce « substance individuelle de nature rationnelle ». Certes la personne est une substance mais ce n’est pas la même subs­tance que celle de la table ou du cendrier pour reprendre SARTRE. Cette substance est individuelle, d’accord ; c’est cette individualité qui permet de parler de sujet ou de « personne ». Mais elle est aussi de nature rationnelle. Il ne s’agit pas de dire que le sujet est enfermé par sa défini­tion (nature) qui précéderait son existence mais au contraire d’indiquer clairement que cette substance est à la fois individuelle et universelle dans sa nature rationnelle. Comme individuelle elle est « au-delà de l’es­sence » : elle échappe au discours possible quant à sa nature rationnelle. Ce que BOUTANG va donc tenter d’expliquer c’est la nature rationnelle qui est toujours incarnée chez l’homme. Son Cahier Neuf et ses cours en Sorbonne ne développent pas pour rien une angéologie, c’est-à-dire une science des anges. Il ne s’agit pas de sombrer dans une mystique et s’il se réfère à l’ange de RILKE c’est pour expliquer que l’homme chante plutôt qu’il ne fait l’ange. En effet, le rationnel n’est pas celui de l’ange, c’est un rationnel toujours incarné pour l’homme, c’est un rationnel en chair et en os. L’ange n’est pas un individu au sens humain car il est à lui-même sa propre espèce. Il faut, pour BOUTANG, remonter avant DESCARTES. On peut remarquer que B. est beaucoup plus tendre pour MERLEAU-PONTY que pour SARTRE, parce qu’il pense que MERLEAU-PONTY retrouve ARISTOTE.

    C’est sans doute là que la pensée boutangienne est la plus difficile à suivre. Ce n’est pas tant la logique de la pensée qui est difficile, c’est le vertige des hauteurs où nous sommes conduits. La nature rationnelle de cet homme individuel incarné conduit à une pensée de l’espace où seule une habitude de l’interrogation autour du mystère de la résurrection et de celui de l’Eucharistie permet de dire que toute raison n’est pas perdue.

    La Foi, qui sauve le libre-arbitre, sauve ici aussi la raison

    Mais la raison n’est pas la servante de la foi. Nous sommes en pleine liberté, en pleine amitié. Parler d’une philosophie du salut (dans Apocalypse du désir) fait entrer dans une pensée de l’amour et non pas de la soumission : « Je ne vous appellerai pas serviteurs mais amis ». Accepter la main qui sauve de la mort n’est pas une attitude d’esclave mais bien d’homme libre : libre de la mort. Voilà ce qu’est le libre-arbitre. Libre comme Néant (la mort) pour suivre SARTRE ou libre pour la Vie pour suivre BOUTANG dans son « je crois tout ce que l’Eglise enseigne ».

    Il y a peu de textes chez BOUTANG, à notre connaissance, sur l’École de Francfort et plus précisément autour des sociologues allemands ADORNO (1903-1969) et HORKHEIMER (1895-1973). Pourtant il en parlait dans ses cours. Peut-être que la critique qu’il fait de HEIDEGGER dans l’Ontologie du secret et celle de Gilles DELEUZE dans l’Apocalypse sont suffisantes. S’agissant de HEIDEGGER, il affirmait, au moment des premières polémiques autour de l’appartenance de HEIDEGGER au parti nazi, que la philosophie de ce HEIDEGGER contenait tous les totalitarismes. Si SARTRE a vraiment compris HEIDEGGER et qu’il en poursuit les découvertes alors le Sartre est-il un possédé ? en donne toute la dimension horrible : l’humanité entière va vers sa destruction, vers son néant, vers la mort.

    Quelle est l’idée maîtresse de l’Ecole de Francfort ?

    C’est la ratio­nalité conquérante qui, finalement, après un désir de domination de la

    nature s’est transformée en instrument de domination de l’homme par la rationalité technique.

    Nous sommes proches de l’analyse de la Technique par HEIDEGGER relevée par le philosophe alsacien Michel HAAR (1937-2003) : « Ce qui reste en fait de monde ce seraient des matériaux, y compris l’homme, unifor­mément livrés à la puissance technologique, à l’usage et à l’usure, à la consommation. »

    Nous savons que Hannah ARENDT pose la genèse des totalitarismes dans cette rationalité conquérante (elle a des pages terribles contre HOBBES) et elle se tient au plus près de HUSSERL. En effet, « Il s’avère en définitive que le mouvement de l’Histoire et celui de la Nature ne font qu’un. Le mouve­ment est devenu l’essence du régime lui-même ». C’est ce qu’elle appelle      « processus ». Elle est encore plus proche ici de HUSSERL car c’est à Krisis qu’il faut remonter. Nous avons vu que la révolution galiléo-cartésienne a remplacé les essences, qui donnaient une stabilité au monde, par un monde « physico-mathématique » et par définition ce monde est toujours en mouvement... Edith STEIN écrivit un De la Phénoménologie de HUSSERL à la philosophie de saint THOMAS en 1929, Elisabeth DE MIRIBEL[1] précise qu’« il préconisait un retour aux choses mêmes, qui n’était pas étranger au primum cognitum de saint THOMAS[2] ».

    Comme dans la révolution galiléo-cartésienne il n’y a plus d’es­sences

    Surtout, il n’y aura bientôt plus d’essence de l’homme. En ce sens, SARTRE reste très cartésien. L’existence précède l’essence c’est-à-dire que l’homme se fait lui-même dans et par sa liberté. Mais comme cette liberté débouche sur le néant, en dernière analyse elle est le néant. Elle est angoisse, elle est nausée. Mais pas au sens kierkegaardien de «sauter dans les bras de Dieu (...), de l’éternité elle-même ». Dans l’existentialisme de KIERKEGAARD, « l’existence précède l’essence » mais au sens de la renaissance dans le baptême. La foi est ce libre-arbitre qui demande de manière absolument libre une nouvelle existence en Dieu dans son éternité. Par contre l’éternité chez HEIDEGGER reste très proche de PARMENIDE. Il ne peut pas y avoir de commencement pour l’univers ni pour l’homme. Il ne peut donc pas y avoir de personne humaine. C’est en ce sens que la philosophie de HEIDEGGER contient aux yeux de B. tous les totalitarismes. Ce que Heidegger reproche finale­ment au monde de la Technique, l’anéantissement du sujet, s’applique aussi à sa philosophie et à toutes les philosophies qui ne posent pas le libre-arbitre à l’origine de la personne humaine.

    C’est la raison pour laquelle, entre autres, la philosophie de BOUTANG plonge dans saint THOMAS

    Où il va chercher, avons-nous vu au chapitre précédent, dans le Traité du libre-arbitre et de la grâce de saint BERNARD, la définition du libre-arbitre. Celle qui affirme que c’est « le libre-arbitre qui est sauvé ». Mais il est sauvé « en chair et en os ». Le philosophe doit l’expliquer.

    Le dépassement boutangien, qu’on peut appeler réactionnaire, en ce sens, est un retour à l’Un platonicien. Il permet de comprendre aussi bien l’Ecole de Francfort que DELEUZE ou ARENDT. Ces penseurs ont raison de mettre en cause la dictature de la technique, de la technostructure, de la raison technicienne, du processus, etc. Mais il faut remonter à plus d’uni­té, de simplicité. C’est l’Argent qui règne, c’est Mammón. L’idée sous- jacente à la pensée de BOUTANG est que la révolution galiléo-cartésienne en détruisant les essences impose SPINOZA. L’adversaire c’est DESCARTES, dit-il dans La Fontaine Politique, mais il dit aussi que c’est SPINOZA.

    En effet, nous venons de voir que SPINOZA n’a pas attendu HUSSERL pour voir la nécessité des essences pour donner une « stabilité au monde » c’est-à-dire à l’esprit. Seulement il en a posé une seule : la Substance.

    C’est L’Être, c’est Dieu. Mais pour BOUTANG, cette Substance chez SPINOZA c’est surtout l’argent (ARENDT est très proche de cette analyse). L’argent est la substance. Son étymologie ousia, comme celle de « substance » renvoie à richesse. Et si nous prenons l’étymologie dans son sens de « vrai discours », il nous faut comprendre que si ousia comme substan­cia viennent de richesse c’est qu’elles vont permettre de penser l’idée. Les richesses sont ce qui est le plus stable. Les hommes y pensent sans cesse, tout y est ramené, elles sont la vraie cause finale des actions quoiqu’elle soit souvent oubliée et devenue une habitude inconsciente : une vertu. L’argent est toujours là. Il donne cette stabilité au monde de manière encore plus forte que l’œuvre d’art qui rejoint pour ARENDT l’Idée de Beau du Banquet, livre de chevet de BOUTANG (à lire à genoux).« C’est par le beau que les choses belles sont belles », certes, mais c’est par la substance que les êtres sont et c’est par l’argent que les choses humaines sont, il faut le reconnaître. Le grand vainqueur de la révolution galiléo-cartésienne n’est pas tant la raison, mise au service du capital, que l’argent qui vient redonner au monde une stabilité. Il re-devient l’Être. Il redevient Dieu. C’est un retour car le christianisme l’avait en grande partie chassé du monde antique, comme nous l’avons dit, non seulement par l’Évangile qui est clair à son sujet mais encore par une interdiction du prêt à intérêt qui libéra de nombreux pauvres de l’esclavage au sens propre.

    On pourrait se demander comment se fait le passage de la substance à l’argent et si l’étymologie suffit ici à la légitimité du passage

    On pourrait même se demander comment un concept aussi négatif que l’argent, chez BOUTANG, peut soudain devenir l’Être voire Dieu lui-même. Le lien est, si on peut dire, « du côté » du temps. En effet il n’y a pas de véritable séparation entre la personne et son temps, AUGUSTIN disait du temps qu’il est « co-créé avec la matière ». Le temps de la personne file sans cesse - « 0 temps ! suspends ton vol » - et la contemplation de ce flux procure non seulement l’angoisse et la nausée mais plus encore le désespoir jusqu’à l’impossibilité de l’action. La personne doit trouver une stabilité pour simplement vivre. On dit souvent aujourd’hui que la personne « s’ac­croche ». Aldous HUXLEY parlait ainsi d’une « chute d’eau ». Alice tombe comme dans un puits. Chacun alors veut faire cesser cette « chute ». Le mot n’est pas anodin. On peut la faire cesser dans un certain épicurisme : « carpe diem ». Cueille le temps présent. Chaque moment du temps est ainsi absolu, il est une substance en soi, et l’homme va de substance en substance. Mais cette conception du temps n’est pas possible pour BOUTANG, qui poursuit la tradition initiée par saint AUGUSTIN.

    Nous verrons dans les pages suivantes qu’il est trois-en-un, passé- présent-futur, on ne peut donc pas poser chaque instant comme ayant son unité à la manière du « carpe diem »

    (cueille le jour présent)

    Il y a comme une totalité du temps et la seule garantie de sauver le sujet c’est la transcendance du libre-arbitre donnant un nouveau temps : celui de la grâce.

    Nous voyons bien comment l’argent peut être ainsi érigé en véri­table Dieu. En effet, si la volonté du sujet y trouve son unité et sa stabilité, de proche en proche, il emplit tout le temps du sujet et ceci jusqu’à la mort qu’il peut même dépasser en survivant dans l’argent lui-même, sous la forme de l’héritage par exemple. On peut, en effet, parler d’un monisme de l’argent et c’est sans doute une des raisons qui a fait dire à Hannah ARENDT que SPINOZA était le philosophe du bourgeois, finalement conquérant impérialiste. On voit aussi comment l’art peut lui-même être en danger et oublier de « sauver le monde » pour devenir « idole », en jouant finalement le même rôle que l’argent. On comprend mieux ainsi comment le Bourgeois passe si facilement de l’argent à l’art et de l’art à l’argent. Tout, ici, n’est pas grâce mais tout est argent. Dire que le libéralisme véritable est un totalitarisme n’est pas une facilité de langage c’est simplement la logique même de l’idée. Monsieur Jourdain en reste le prototype.

    Un ‘’lettriste’’ à la Guy DEBORD (1931-1994) en aura été un des derniers peintres mais sans la dimension comique de MOLIERE. Le patron de la première chaîne de télé­vision européenne est un nouveau Monsieur Jourdain : « ce que nous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau disponible ». Le temps dont il s’agit ici est celui du sujet ou plutôt ce qu’il en reste, il est le produit que l’on vend, et il est vendu à l’argent. Il ne s’agit pas pour BOUTANG de ce petit côté mondain : « nous n’avons pas la télé »... Son souci politique est métaphysique et ce sont les pauvres ; ceux qui ont le moins de temps se font voler le peu qu’il leur reste pendant qu’ils cherchent leur « stabilité » devant le petit écran : medium de l’art. Le film « Time out » du Néo-Zélandais’Andrew NICCOL le met admirablement en scène : le temps c’est de l’argent.

    Dire que la pauvreté est surtout celle du temps n’est pas une facilité mais une réalité  Encore faut-il savoir de quel temps nous parlons : nous avons essayé de montrer que c’était celui de la grâce

    C’est la raison pour laquelle la liberté dans la Cité est, comme dans la Cité grecque, pour PLATON ou ARISTOTE, au service de la contempla­tion ; pour BOUTANG cependant, à la différence des Grecs, ce n’est pas une contemplation aristocratique (ou « logocratique » pour suivre son ami STEINER[3]) mais simplement chrétienne : une liberté populaire, dans le sens d’une liberté pour le peuple. Dans la cité antique, seuls ceux qui ont du loisir (scholê, qui donne scolaire) peuvent avoir le temps de philosopher et donc contempler, car l’acte de philosopher est déjà contemplatif même si la contemplation trouve son apogée dans l’UN ou le premier moteur c’est-à-dire Dieu. Certes le peuple n’a jamais eu autant de temps libre qu’aujourd’hui et il en veut toujours plus. Mais de même que MARX n’a pas prévu que le prolétaire au temps libéré se jetterait dans la consommation, de même ce qu’il reste de peuple dans le « libéralisme avancé » n’a-t-il même pas conscience d’être devenu un « produit » vendu par les « Monsieur Jourdain » de la publicité.

    Sujet renvoie à sub-jectum c’est-à-dire qui jette des signes par en dessous, comme persona, le masque de théâtre, à l’origine du mot personne. Il est de l’essence de l’homme d’avoir son secret pour être, à défaut de quoi il meurt. De même qu’on ne peut voir Dieu sans mourir, on ne peut pas voir le sujet, sans qu’il meure. Dieu se cache au jardin d’Eden pour qu’Adam soit, et qu’il soit libre. C’est pourquoi la connaissance de soi est nécessairement impossible : il faut apprendre à aimer.

    Ainsi la conception chrétienne du lihre-arbitre que BOUTANG pose au fondement de sa philosophie est, ne cesse-t-il de répéter, la seule garante du sujet

    Avec, cela va sans dire, la part de secret que celui-ci nécessite. En ce sens ALTHUSSER est obligé de déclarer MARX antihumaniste et il faut dire de même de FREUD, de NIETZSCHE et de Spinoza. Sans libre-arbitre plus de sujet : des citoyens, à la limite, pour suivre SPINOZA, des aristocrates pour NIETZSCHE, des névrosés pour FREUD. Pour BOUTANG des hommes à l’image de Dieu, c’est-à-dire, possédant le libre-arbitre et donc par là-même égaux de Dieu dans leur capacité à lui dire oui ou non. ROUSSEAU a montré que l’égalité entre citoyens était nécessaire à la liberté : le christianisme l’af­firme aussi mais va beaucoup plus loin. La liberté implique cette égalité de l’homme à Dieu dans le libre-arbitre mais une égalité qui emprunte à la Trinité des personnes divines. Cette affirmation reste scandaleuse pour certains monothéismes mais nécessaire à la pensée du sujet.

    LE PRÉSENT VIVANT

    On peut comprendre cette philosophie à partir de l’analyse que fait BOUTANG, du présent, à la fin de l’Ontologie du secret.

    Ce qu’il nomme le « couloir oblique » ne peut se saisir que dans la seule pensée de la grâce : ce « praesens », cet en avant de l’étant, qu’est le présent, est poussé par son proche passé et aussi par son futur proche qui n’est pas encore mais le porte en son présent. Ce présent est nécess1airement rien si ce futur n’est qu’un « pas encore » au sens du néant sartrien. Ce futur doit être d’une certaine manière pour que le présent puisse être. En effet, de proche en proche il faut : de l’être.

    Pour BOUTANG, l’être ne peut pas sortir du néant, il reste dans l’onto­logie et même dans l’ontologie grecque sur ce point. Mais le futur doit être celui du sujet doué de libre-arbitre. Comment le sujet pourrait-il être – c’est-à-dire persister – dans un futur qui n’est pas encore ? Ou bien il y est de toute éternité comme il se trouve encore dans son passé – mais alors nous sommes dans la fatalité antique ou le fatum des déter­minismes plus modernes dont celui de la mort existentialiste.

     

    Ou alors il faut comprendre le temps de manière radicalement nouvelle : c’est ce que fait BOUTANG

    « “PRÉSENT VIVANT”. Nous sommes mieux en mesure, maintenant, d’entendre les mots de présence et de présent. D’abord du côté de ce que l’origine latine, praesens indique si fort : l’“étant” qui se trouve en avant, prae, “à la tête de”, ou l’être qui se trouve en avant de l’étant. Pour cela nous proposerons de rendre par praesence, le Dasein de HEIDEGGER : la question de l’être se trouve en avant de ce qu’elle interroge, par là “exposée” ; la ressemblance est curieuse entre ce passage de l’Être et le temps et l’argument de saint ANSELME : “Nous ne ‘savons’ pas ce que ‘être’ veut dire ; mais dès que nous demandons ce que l’être ‘est’, nous nous trouvons déjà dans une certaine compréhension du ‘est’...” (...)

       LE COULOIR OBLIQUE. Nous avançons dans un couloir oblique, sans cesse à la tête ou, justement, “en avant” de l’étant que nous sommes, entre les espaces, toujours “plus” infinis du pur “passé” et du pur “possible” ou à venir, sans que, de soi-même, ce couloir se resserre, ni s’ouvre. “Nous ” avançons ; cela indique que, comme présent vivant, ou “présence ”, nous sommes sans cesse et simultanément ce “trois en un ” : cet ur-jetz, le “maintenant” originel, au centre ; le prochain passé à lui retenu, n’avançant qu’avec lui et par lui [4] (…) »

    VICO (1668-1744)

    Dans cette quête du présent à tâtons nous retrouvons le napolitain Gambattista VICO[5]. VICO commence et finit sa philosophie par Dieu, comme SPINOZA, mais c’est le Dieu de L’Église catholique. Vico reste thomiste mais il ajoute une dimen­sion historique nouvelle, que la révolution galiléo-cartésienne, à laquelle il s’oppose, a rendue nécessaire. Cette dimension c’est l’accord du libre- arbitre et de la grâce. Sa pensée de l’histoire cyclique ne s’applique pas à tous. Certes, tous les peuples passent par l’âge des dieux, des héros et des hommes mais non seulement les trois âges peuvent être concomitants mais plus encore, le peuple juif échappe à ces cycles. Et il faut en rendre raison. La critique de l’historicisme par K. POPPER (ou même Léo STRAUSS) n’a pas de prise sur la conception vichéenne car les cycles restent - comme chez BOSSUET – dans la main de Dieu. C’est un providentialisme si on veut et alors la seule critique peut être celle du christianisme lui-même, au moins dans sa constante catholique : de la prédestination et de la grâce.

    Ainsi VICO remarque que seul le peuple juif ne prend pas les augures, la divination lui est interdite

    (PASCAL l’a compris aussi et insiste sur ses prophéties). B. travaille sur les preuves. Ce fait historique fonde une philosophie de l’Histoire : le point cardinal de l’Histoire n’est pas la raison mais ISRAËL. Si VICO dit vrai et si le peuple juif échappe à la succession des cycles, aujourd’hui cela permet de mieux appréhender la politique israé­lienne. Ce ne serait pas tant un dialogue de sourds entre pro-palestiniens et Israéliens qu’un choc métaphysique entre deux temps différents. C’est ce que dit d’une autre manière BUBER dans Je et Tu. « L’Esprit, tel qu’il se manifeste dans l’homme est la réponse de l’homme à son Tu (...) Ce n’est pas le langage qui est dans l’homme mais l’homme qui est dans le langage et qui parle du sein du langage (...) L’esprit n’est pas dans le Je, il est dans la relation du Je au Tu. Il n’est pas comparable au sang qui circule en toi, mais à l’air que tu respires (...) Les lignes de toutes les relations, si on les prolonge, se coupent dans le Tu éternel. Chaque Tu individuel ouvre une perspective sur le Tu éternel. (...) L’homme qui se consacre au service d’un peuple, qui se sent brider de la flamme immense du destin national, lorsqu’il se dévoue à ce peuple, se dévoue à Dieu. Mais celui qui fait de la nation une idole à laquelle il voudrait tout asservir parce que dans cette image il exalte sa propre image, croyez- vous qu’il suffise que vous l’en dégoûtiez pour qu’il aperçoive la Vérité ? Et à plus forte raison, que signifie qu’un homme traite de l’argent, le non-être en soi, comme si c’était Dieu ? ». Le peuple juif ne serait pas dans un cycle plutôt que dans un autre, il ne serait pas à l’âge des dieux plutôt qu’à l’âge des hommes. L’âge des dieux est terrible chez VICO, c’est le pouvoir de Saturne qui dévore ses enfants.

    Non, il y aurait pour Israël une transcendance véritable qui le ferait échapper aux temps des cycles et pourrait expliquer cette continuité de l’action

    B. écrit dans Reprendre le pouvoir : « Et pourtant VICO, en tant que chrétien - et il ne l’était pas pour rire - est conduit comme nous l’avons été, à mettre en rapport son modèle historique des ricorsi avec la trans­cendance chrétienne. (...) Ainsi dans les ricorsi y a-t-il une hétérogénéi­té des âges produite par la cause originelle. De même VICO a-t-il insisté sur le caractère unique du peuple juif, élu du vrai Dieu, plongé histori­quement dans un âge du faux divin et de l’héroïsme mythique, mais ne s’y perdant jamais : “Selon les définitions que nous avons proposées du vrai et du certain, les hommes vécurent longtemps dans l’ignorance de la vérité, de la raison, de tout ce qui, en somme constitue la source de justice interne qui seule satisfait l’intelligence ; les Hébreux, eux, pratiquèrent cette justice parce qu’ils étaient inspirés par le Dieu véritable, dont la loi défendait même d’avoir des pensées injustes... ” La page est caracté­ristique de l’ambiguité de VICO, inévitable si on lui applique ses propres principes : il vit à un ((âge des hommes”, ne peut éviter une condamna­tion – au moins du bout des lèvres – de l’âge héroïque où il met à jour le sublime indissociable de la “sauvagerie ”. Pourtant il échappe à cette époque et en prophétise d’autres :

    – 1. par sa secrète tendresse pour la douceur des fleuves maintenue au-delà de l’embouchure, et la force des “universaux fantastiques”;

    – 2. par le maintien en recès, puis décidant en progrès, du christianisme comme cause efficiente de l’histoire.[6] »

    Ajoutons qu’il ne serait pas exagéré d’y reconnaître un portrait secret de BOUTANG lui-même.

     


    [1] Les circonstances voulurent que cette femme de letttres sera celle qui fut amenée à taper à la machine le texte de l'appel du 18 juin 1940 du génétal de Gaulle.

    [2]Élisabeth de Miribel, Comme l’or purifié par le feu : Edith STEIN, 189Í-Í942, Pion, 1984, pp. 71-81.

    [3] Cf. George STEINER, « Les “logocrates” : DE MAISTRE, HEIDEGGER ET BOUTANG », texte paru en 1982 dans European University Institute, Bruxelles, traduit de l’anglais par PIERRE-EMMANUEL DAUZAT in Les Logocrates, 10/18, 2005.

    [4] Ontologie du secret, PUF, coll. « Quadrige », 1973, pp. 468-473.

    [5] Giambattista VICO, La Science Nouvelle, éd. Nagel, 1953.

    [6] Reprendre le pouvoir, d. 175.

     

     


    Date de création : 08/01/2017 @ 14:12
    Dernière modification : 08/01/2017 @ 14:21
    Catégorie : Parcours boutangien
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