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Parcours boutangien - Le petit Boutang des philosophes
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LE PETIT BOUTANG DES PHILOSOPHES
Lauteur, Henri DU BUIT, philosophe lui-même, a eu Pierre BOUTANG comme directeur de thèse ; celle-ci quil a défendue en Sorbonne était intitulée LÊtre et largent. Sa conversion au catholicisme (1982, à lâge de 25 ans) a été aidée par la rencontre des philosophes chrétiens en Sorbonne et la proximité de Pierre Marie Delfieux. La présence de Pierre BOUTANG en cette prestigieuse Sorbonne à la chaire de Métaphysique et de Morale ne devait rien au hasard : cest, en effet, sur linsistance dEmmanuel LÉVINAS qui avait reconnu en lui un éminent humaniste , que celui-ci avait été appelé à lui succéder ; chaire quil occupera de 1977 à 1985. PROLOGUE[1]HEIDEGGEROn associe parfois BOUTANG à HEIDEGGER mais avec quelles arrières pensées ? Or il affirmait devant ses étudiants, en commentant la Lettre sur lhumanisme, quà ses yeux, la philosophie de HEIDEGGER contient tous les totalitarismes. Les philosophes modernes de la déconstruction ont pu se réclamer de la démarche heideggérienne déconstruisant la métaphysique mais cest impossible pour BOUTANG. Cependant il est vrai quil rejoint HEIDEGGER dans une certaine déconstruction de la métaphysique mais seulement jusquà DESCARTES et pour les spécialistes dans la généalogie cartésienne [ jusquau cogito]. Mais B garde entière la philosophie thomiste et celle dAugustin et bien sûr celle de NICOLAS DE CUES [2] (1401-1464). En réalité pour parler post-moderne, déconstruit HEIDEGGER et quand il sen prend aussi bien à DELEUZE quà DERRIDA ou LACAN, ce nest pas par goût de la polémique, même si un peu de muscles ne nuit pas à la métaphysique qui les oublie parfois. HUSSERLB. revient souvent vers Husserl et plus particulièrement dans lhorizon de lintentionnalité, concept scolastique que le maître de Fribourg tient de BRENTANO, qui le tient de la scolastique. Rien de plus thomiste aux yeux de B que la Phénoménologie, et il naura de cesse, dans son uvre, de faire apparaître les liens avec les découvertes de la science moderne et plus précisément de la physique atomique et de la biologie. Lidée essentielle que retrouve BOUTANG dans son « archéologie du savoir » nest pas la fin de la métaphysique et de la transcendance mais au contraire leur nécessité pour fonder le « sujet » si cher à la pensée moderne et contemporaine Il ny a pas de sujet sans le « libre-arbitre » total et absolu. Quand il est absolu, cest aussi bien politique que spirituel mais aussi le pouvoir sur la matière elle-même, là où DESCARTES avait abdiqué. Sur ce point, il est très proche de « linstant kierkegardien[3] », sauf quil va chez saint BERNARD pour affirmer que le corps lui-même fait partie ou plutôt appartient au « libre-arbitre » : cest le « libre-arbitre qui est sauvé ». On comprend dès lors que la rédaction de Sartre est-il un possédé ? nest pas un pamphlet ou une polémique, même si lhumour essentiel ne peut sempêcher le « bon mot ». Être possédé est à prendre au sens des Possédés de Dostoïevski[4], bien sûr, mais aussi dans le sens de lavoir. Sens dégagé par Gabriel MARCEL un des maîtres de BOUTANG, dans Être et avoir : cest potis sedeo, cest-à-dire « être assis en puissance de », pour celui qui possède, mais celui qui est possédé nest plus en puissance de rien. La seule puissance de la liberté chez Sartre comme chez HEIDEGGER est celle du néant, de la mort. Cest la pensée de la négativité reçue de HEGEL. La liberté sartrienne est celle de mourir : de se « néantiser ». Point de corps sauvé ici, certes, mais surtout plus de sujet. De proche en proche le sujet nest quun néant et en ce sens il est « possédé » ou esclave de la mort. Le refus du libre-arbitre aux yeux du Forézien entraîne la perte du sujet et les philosophies qui en découlent, offrant quelque surhomme dun nouveau « genre » ne proposent que des possédés qui, en dernière analyse, sont des possédés de largent. Cest le paradoxe de la philosophie des Lumières proclamant l'avènement du « sujet », mais dont la lumière empêche le libre-arbitre et donc le sujet Les querelles autour de lunion de la liberté et de la grâce ne sont pas dépassées, pense-t-il. La grâce ou la transcendance sont les garanties essentielles et quotidiennes du sujet. Il faut la réserve de leur « secret » pour que la liberté puisse se déployer et non pas le soleil total de la raison qui brûle les ailes de la liberté comme la flamme de la bougie celles du papillon, aux yeux de VINCI. B. rejoint lanalyse dHORKHEIMER et ADORNO quant à la « rationalité conquérante » et son alliance avec les forces de largent et de la politique. Larme de « Goulavare[5] » cest dabord le livre de raisons, le livre de comptes et B. est bien obligé de le constater : il y a « quelque chose qui cloche », même dans la pensée thomiste ou chrétienne, quoique vraie. Cest dans une réflexion profonde sur le langage quil va proposer des solutions Répondre au Discours sur lhistoire universelle (BOSSUET), à la lumière des immenses découvertes de VICO [6], va le conduire à considérer comme essentielle lopposition de la poésie et de la prose. Et, comme autant de combats des Anciens et des Modernes, à léchelle universelle, trouvant leur aboutissement dans une remise en cause radicale du support de la philosophie, de la poésie et de la politique, il livrera sa « longue guerre contre lécrit », contre ce support, lécriture, vérité ou figure de largent.
JE NAI PAS LE GOÛT DE LARGENT« Il ny a rien à penser de largent sinon, comme le dit Léon BLOY; quil est le sang du pauvre[7] Cest un sacré mystère ; nen approchent, parfois, que ceux-là seuls qui dès lenfance, en ont senti le manque, les soudains arrêts de circulation avec la maladie et, à terme, pour eux et leurs proches, la mort. Je me méfie de tous ceux qui ignorent ce quest, mettons vers 1926, le dernier billet de cent sous avant la fin du mois, et dont on ne parlait quavec un respect effrayé. Je me méfie même du roi, de nimporte quel héritier de nos rois, quand il nhérite pas vraiment la couronne dépines, quun Louis a faite sienne », écrit-il dans son Précis de Foutriquet[8]. « Un Foutriquet ne peut que trouver, ici, que je parle chinois ( ) ; le poids de largent dans un système comme celui de la Troisième République était énorme Il régnait par ministre et député interposés : aujourdhui, il règne en personne », cest-à-dire dans chaque Monsieur Jourdain de la politique qui revient toujours et que lon retrouve partout : « Une fringale démesurée chez un homme aussi fanatique du juste milieu, ne renvoie pas à une cause ordinaire. » BOUTANG avait déjà expliqué dans son commentaire du Banquet[9] : « Il nest pas indifférent que, dans le prélude, APOLLODORE traite durement les riches. Non seulement parce que la démocratie athénienne était déjà et surtout une ploutocratie : PLATON, nous le savons par la prière du Phèdre, fait souhaiter tant de richesse, que seul le sage la pourrait gérer et supporter. Ce qui signifie que la richesse est en cela comme le vin : à la limite, ce monstre de SOCRATE pourrait seul la tenir. Il nen eut pas le temps ou loccasion : acquérir prend sans doute plus de temps que boire et nest pas, au départ, tout à fait aussi naturel. La petite note aigre dAPOLLODORE (ou son aboiement, car il est devenu un peu le roquet de SOCRATE, en moins de trois ans où il a commencé de le suivre à la trace) sur les merveilles que croient accomplir les hommes daction, alors quils ne font rien, prépare à la fois la théorie générale de la poïésie, et au chant de la misère dÉros. » Si la fringale de largent choque tellement à la tête de lÉtat, cest que largent est la manifestation de limmanence du pouvoir, empêchant la réelle liberté Celle-ci reste portée, paradoxalement, par la transcendance. Le préjugé, pour B, cest daffirmer linverse, et nous voyons chez un CASSIRER une analyse très voisine mais acceptée de tous (LUnité chez Rousseau, 1932) : « (ROUSSEAU) non plus, daccord en cela avec lensemble des encyclopédistes nadmet pas quon donne un fondement transcendant à léthique, à la philosophie de lÉtat et de la société. » CASSIRER explique limportance de la philosophie sensualiste de CONDILLAC pour ce refus de la transcendance en politique ou philosophie. Si la pensée sort de la matière pour donner aussi bien la morale que la politique, elle ne peut pas sans contradiction sappuyer sur une transcendance. CASSIRER explique bien que comme pour KANT il y aurait quand même la limite quimposeraient la conscience et la volonté. « Conscience instinct divin immortelle et céleste voix... » Cette conscience romantique, qui donnerait la « personnalité innée » nest pas suffisante ni même acceptable chez BOUTANG. Car ce nest pas un moi mais un nous qui a pris naissance dans le langage et en dernière analyse pour BOUTANG comme pour Martin BUBER ou LÉVINAS et aussi Gabriel MARCEL La transcendance est déjà dans le langage qui est le « nous » fondateur du sujet comme de la politique comme de la morale. Lontologie (même dépassée par lEthique pour LÉVINAS) ne peut se contenter du « héros romantique », cest toute une métaphysique qui doit fonder la liberté et cest celle du judéo-christianisme : « Là MAURRAS ne suffit plus », écrit-il « et la condamnation du romantisme est dans les Évangiles ». Cest pourquoi dans Reprendre le pouvoir[10], il accorde tant dimportance à « une sorte de transcendance du souverain ; non au sens métaphysique de la transcendance, à quoi pourtant il se relie, mais simplement parce quil se trouve là et hors datteinte » et sil nest pas hors datteinte il ne peut être libre. « Ceux qui avec ROUSSEAU, le replongent dans le peuple, dans une volonté générale mystérieuse, sont contraints de le poser hors des claires déterminations de la conscience, de lui attribuer une infaillibilité par soi et pour soi », ouvrant la voie de tout le système totalitaire, et il poursuit : « Le problème dont cette volonté serait la solution unique est aussi lumineux quartificiel et impossible : Trouver une forme dassociation qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun sunissant à tous nobéisse quà lui-même et reste aussi libre quauparavant. » Pour BOUTANG formellement, lennemi des Lumières et des philosophes [ROUSSEAU] juxtapose une rationalité pure à la constatation dun féroce état de nature « Il y faut un instant où cet état est ressenti comme intenable (par quelques uns ? Non par tous, et cest un miracle), et, simultanément, la claire pensée de tout donner sans rien perdre simpose sous forme de problème, dénigme en vérité, cest-à-dire de parole secrète ; et puisquil sagit dun changement, de force à communiquer, ce changement sera sans aucune entropie, révélera une entité qui devait préexister idéalement à létat de nature », ce qui prouve quavec ROUSSEAU nous sommes parfois dans la mythologie et lutopie, voire la pensée magique, un fondement transcendant invisible et dangereux pour la liberté. Si chez ARISTOTE « lhomme, à la différence de ROUSSEAU (et de HOBBES), est un animal ensemble politique et doué de raison, celui de ROUSSEAU en ce prétendu état de nature na que le raisonnement». Encore est-ce, précise BOUTANG, « dans linstant unique où se formule, sans préparation, sur nul fond historique ni de culture, limpérieux et problématique trouver une forme dassociation, etc. » Cest donc bel et bien une « transcendance, mais féroce, avec toutes les conséquences tyranniques et terroristes qui en ont été tirées et que ROUSSEAU navait pas soupçonnées, [qui] définit donc ou cerne cette espèce de souveraineté ».
[1] Henri DU BUIT, Le petit boutang des philosophes, édit Les provinciales, oct 2016, pp.7-11. . [2] Il fut cardinal, puis il devint vicaire temporel et ami du pape Pie II. Sa cosmologie de nature essentiellement spéculative représente l'une des premières grandes alternatives à l'univers fermé de la scolastique aristotélicienne. Sa théorie de la connaissance a durablement influencé la philosophie des sciences (Giordano Bruno, Descartes[1] ) et l'astronomie théorique (Galilée ). Pour Ernst Cassirer, la docte ignorance constitue l'une des premières formulations de l'épistémologie moderne. [3] Grâce auquel la plénitude éternelle intervient dans le néant néantissant du temps. [4] Les Possédés sont l'incarnation géniale des doutes et des angoisses de Dostoïevski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. Dès 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe siècle. [5] Personnification de largent du monde moderne dans Le Purgatoire. éd. Sagitaire 1976, rééd La Différence, 1991.. [6] Entre la philosophie, qui construit une « idée » du cours des nations, et la philologie, qui fait connaître les res divinae et humanae dans leur infinie variété, un échange sétablit, la philologie fournissant la matière empirique, la philosophie informant cette matière et énonçant les lois auxquelles elle obéit. Lune et lautre séclairent mutuellement, ou plus exactement lune ne peut exister sans lautre. Comme le dit Vico dans le passage de la Scienza nuova de 1725 cité plus haut, « cest uniquement grâce à elle [lhistoire idéale éternelle] que lon peut acquérir la science de lhistoire universelle ». Et inversement cest grâce aux données de l « histoire universelle », aussi incertaine soit-elle dans ses origines et sa continuité, que Vico a pu forger le schéma de son « histoire idéale éternelle », schéma dont il est si satisfait quil lapplique de façon systématique et quasi mécanique dans le livre IV de la Scienza nuova. [7] Ed. Mercure de France, 1909. [8] Albin Michel-Hallier, 1981. [9] PLATON, Le Banquet, traduction et commentaire de Pierre BOUTANG, Hermann, 1972, p.118. [10] Pierre BOUTANG, Reprendre le pouvoir, 1978, rééd. Les provinciales, 2016, pp. 102 sq.
Date de création : 01/01/2017 @ 18:19 Réactions à cet article
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