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    Sciences politiques - Pour servir une politique culturelle (2)

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    POUR SERVIR UNE POLITIQUE CULTURELLE (2)
    ÉCUEILS ET VÉRITÉ DU SOCIALISME

     

    Dans « De L’urgence d’être conservateur »  le philosophe britannique ROGER SCRUTON passe en revue les différents « royaumes de valeur », au nombre de huit, qu’il entend défendre en conservateur qu’il est, et « où cette défense est destinée à servir au bien commun de la communauté. Ce n’est pas une défense politique, mais une défense qui nous invite à vivre autrement. C’est que l’État a besoin d’une politique culturelle, mais cette politique doit reposer sur le jugement pour ne pas offrir son soutien aux habitudes de profanation et de dénigrement et répondre à la vraie voix de la culture. » Ci-après le deuxième de ces royaumes de valeur, LE SOCIALISME.

    (74) LES SOCIALISTES pensent que fondamentalement, les être humains sont tous égaux et que s’agissant des avantages conférés par l’appartenance à une société, cette égalité devrait de manifester dans la manière dont les hommes sont traités.

    [a] Ce que signifie un égal traitement est, bien sûr, sujet à controverse. Les criminels ne sont pas traités de la même façon que les citoyens qui respectent les lois ; les personnes âgées, fragiles et invalides ne sont pas traitées de la même façon.

    [b] Mais le socialisme signifie, pour la plupart de ses défenseurs, un programme politique conçu pour assurer à tous les citoyens une chance égale de mener une vie qui en vaille la peine, que cette chance soit, en définitive, oui ou non réalisée.

    [c] Si les hommes choisissent de gâcher leurs chances ou d’acquérir injustement des avantages par le crime, alors ils doivent en supporter les conséquences.

    (75) Mais la plupart des socialistes aujourd’hui adhèrent à une doctrine de « justice sociale » selon laquelle il n’est pas malchanceux mais injuste que des gens honnêtes et droits  débutent leur vie avec des désavantages

    Lesquels désavantages seraient non rectifiables par leurs propres efforts, et qui constituent un obstacle inébranlable à la jouissance des bénéfices de l’appartenance sociale. 

    [a] L’idée de justice sociale peut bien n’être pas cohérente. Mais elle parle à des sentiments que nous partageons.

    [b] Roger Scruton a démontré que le processus politique tel qu’hérité par les démocraties occidentales  dépendait de la citoyenneté qui, en retour, dépendait d’une première personne du pluriel viable. Dans le chapitre consacré au nationalisme il a donné des arguments irréfutables en faveur d’une expression du pluriel dans des termes nationaux.

    En effet, aucune personne du pluriel ne peut émerger dans une société divisée en son sein, dans laquelle les antagonismes locaux  et la « lutte des classes » éclipsent toute compréhension d’une destinée commune.

    (76) C’est bien parce que, dans nos sociétés, nous coopérons, que nous pouvons jouir de la sécurité, de la prospérité et de la longévité  auxquels nous nous sommes habitués

    Lesquels bienfaits étaient inconnus, même pour la minorité aristocratique, avant le XXe siècle. La façon dont nos activités sont entrelacées, liant la destinée de chacun d’entre nous à celle d’inconnus que nous ne rencontrerons jamais, est si complexe que nous ne pourrons jamais la démêler. La fiction du contrat social échoue à rendre justice à toutes les relations – promettre, aimer, punir, plaindre, aider, coopérer, pardonner, employer, commercer – qui relient les membres de la société dans un tout organique. Cependant, l’avantage de l’appartenance est inestimable et le philosophe anglais Hobbes (1588-1679) auteur du Léviathan, a probablement eu tort de pouvoir réduire les obligations de la société à un contrat : mais il avait sûrement raison de penser qu’en dehors de la société la vie serait « solitaire, pauvre, désagréable, grossière et courte ». Plus nous prenons dans cet arrangement, plus nous devons rendre en retour. Ce n’est pas une obligation contractuelle. C’est une obligation de gratitude. Mais elle existe malgré tout et doit être introduite dans la vision conservatrice telle la pierre angulaire de la politique sociale.

     

    LA VÉRITÉ DU SOCIALISME

    Selon Scruton, la vérité du socialisme, la vérité de notre dépendance mutuelle et du besoin de faire ce que nous pouvons pour offrir un accès au bénéfice de l’appartenance sociale à ceux dont les propres efforts ne suffisent pas pour les obtenir. 

    (77) Comment la faire vivre ?

    [a] C’est une question politique complexe. La situation de l’Europe aujourd’hui, plus d’un siècle après l’invention de l’État providence par Bismarck, fournit de nombreuses illustrations de la façon

    –   dont les bénéfices sociaux peuvent être étendus à ceux qui ne peuvent occuper d’emploi ou qui en sont privés,

    –  et dont les soins de santé peuvent être fournis comme une ressource publique, soit gratuitement, soit comme un système de remboursement par l’État de dépenses engagées par les individus ?

    [b] Chaque système a des désavantages associés ainsi que des vertus, mais tous sont sujets à deux imperfections.

    – En premier lieu, ils contribuent à la création d’une nouvelle classe de personnes dépendantes – des personnes qui en sont venues à dépendre des allocations de l’État providence, peut-être sur plusieurs générations, et qui ont perdu toute ambition de vivre autrement. Souvent le système d’allocations est conçu de telle sorte que toute tentative d’en sortir par le travail conduit à une perte plutôt qu’à un gain pour le revenu familial…Des expédients pour maintenir ce revenu se trouvent transmis des parents aux enfants, qui ne peuvent avoir conscience de ceux qui sont dans la normalité, vivant de leur propre industrie..  

    Mais le coût principal n’est pas économique : cela touche directement au sentiment d’appartenance, suscite la colère de ceux qui vivent de façon responsable et exclut la minorité dépendante de la pleine expérience de la citoyenneté.

    – En second lieu, les systèmes d’État providence tels qu’ils ont été conçus jusqu’ici, ont un budget sans limite. Leur coût s’accroît constamment : la gratuité des soins de santé, qui rallonge la vie de la population, mène à une croissance continue des coûts de ces soins en fin de vie, ainsi qu’à des engagements de retraite dont les fonds existants ne peuvent s’acquitter. En conséquence, les Gouvernements, de plus en plus, empruntent aux générations futures, mettant en hypothèque les actifs des personnes à naître pour le bénéfice des vivants. On a entretenu jusqu’à présent une dette publique toujours croissante en supposant que les Gouvernements ne faisaient pas et ne feraient pas défaut tant que le niveau de dette resterait dans le présent ordre de grandeur. Mais la confiance dans la dette du Gouvernement a été lourdement secouée par les récents évènements en Grèce et au Portugal, et si cette confiance s’évanouissait, l’État providence en ferait autant – du moins dans sa forme actuelle. 

    (78) En bref, cette vérité du socialisme, pour toutes ces raisons, pointe vers un problème politique majeur et grandissant

    [a] Deux éléments empêchent les Gouvernements modernes d’y répondre :

    • le premier est que cette question s’est politisée, à tel point que la vérité est souvent dangereuse à exprimer et certainement difficile à transformer.
    • Le second tient au fait que cette question est précisément la frontière des débats sur la nature de l’État. Lorsque Marx travaillait au Capital et au Manifeste communiste, il lui semblait naturel de se référer à la division des choses dans un langage belliqueux. Dans la vision marxiste, le prolétariat, qui ne possède rien si ce n’est sa force de travail, est exploité par la bourgeoisie, laquelle, en possédant les moyens de production, est capable d’extorquer des heures « de travail non rémunéré » qui s’accumulent entre ses mains comme plus-value. Pour Marx, la relation entre la bourgeoisie et le prolétariat était essentiellement antagoniste et devait mener, prévoyait-il, à une guerre ouverte, lorsque « les esclaves salariés » se soulèveraient pour déposséder leurs maîtres. Mais cette guerre n’a éclaté que là où les intellectuels étaient capables de la fomenter – comme Lénine le fit en Russie et Mao en Chine, aucun de ces pays ne possédant de véritable classe ouvrière urbaine.     

    [b] Les guerres du XXe siècle ont fait prendre conscience de cette vérité fondamentale – les peuples combattent pour leur pays et s’unissent pour sa défense, mais combattent rarement pour leur classe, même lorsque les intellectuels les y incitent. Parallèlement les hommes attendent que l’État récompense leur loyauté. L’État providence a donc émergé naturellement des guerres du XXe siècle, en réponse à un consensus. Maintenant que sa réforme est urgente et nécessaire, un consensus similaire l’est tout autant.

     

    L’INÉLUCTABLE QUESTION DE LA PAUVRETÉ ET  LA FAÇON  DONT LES SOCIALISTES PROPOSENT D’ Y REMÉDIER

    (79)

    [a] Les tentatives récentes de réforme du système d’avantages sociaux par le Parti conservateur britannique, dans le but d’éliminer la pauvreté et de continuer à pouvoir financer ce système, ont été vivement critiquées par la gauche.

    Elles ont été vues comme une « attaque contre les pauvres et les personnes vulnérables. » Dans tout le monde occidental, l’État providence, dans sa forme actuelle, surpasse nos moyens financiers, et l’emprunt constant auprès de générations futures ne rendra son effondrement que plus dévastateur quand il se produira.

    [b] Cependant les partis au pouvoir, qui prennent le risque d’entreprendre sa réforme radicale, par peur d’être pris en otage  par la gauche  pour laquelle ce n’est pas seulement une question emblématique, mais un moyen d’appeler au rassemblement ses électeurs captifs.

    (80)

    [a] Le premier obstacle à une pensée cohérente sur la pauvreté provient de l’adoption généralisée d’une définition relative qui lui a été donnée, laquelle est venue distordre les débats.       

    Peter Townsend, dans Poverty in the United Kingdom, publié en 1979, définit la pauvreté comme une “privation relative” au sens d’une incapacité relative de jouir des fruits de la prospérité environnante. Il concluait que 15 millions de Britanniques (un quart du total) vivaient dans la pauvreté ou à sa marge. Dans le même esprit, le dernier gouvernement travailliste a défini la pauvreté comme la condition de celui qui perçoit moins de 60% du salaire médian. Puisqu’il est inévitable, étant donné l’inégale distribution du talent, de l’énergie et de la volonté chez les êtres humains, que certaines personnes perçoivent, à juste raison, moins de 60% du revenu médian, cette définition implique que jamais la pauvreté ne disparaîtra, indépendamment de la richesse des plus pauvres. Par ce tour de passe passe, il est devenu possible de réprimander les Gouvernements au nom des pauvres même si leurs politiques permettent d’élever le niveau de vie. La définition relative permet aussi de perpétuer la grande illusion socialiste, celle que les pauvres sont pauvres parce que les riches sont riches. Son implication : on ne peut remédier à la pauvreté  que par l’égalité, et jamais par la richesse.   

    [b] L’autre grand obstacle à une pensée cohérente sur la pauvreté est le rôle central occupé désormais dans la vie de ses clients.

    Si votre budget provient de l’État, vous voterez  pour l’homme politique qui promettra de l’augmenter ? De cette façon les partis de gauche, sont parvenus à compter sur le vote de certains groupes  en payant ces votes avec les impôts de ceux qui votaient pour leurs opposants. Les implications de l’État dans les décisions les plus élémentaires de ceux qui dépendent de lui, restreint radicalement sa marge de manœuvre. En France, aujourd’hui, on demande aux contribuables de la classe moyenne dont le nombre se réduit comme peau de chagrin, de soutenir un si grand nombre de personnes à la charge de l’État que le taux le plus élevé de l’impôt sur le revenu a dû être porté à 75%, afin que l’État puisse rentrer dans ses frais – et même dans ce cas, il n’y parvient pas puisqu’un taux de ce niveau mène à l’émigration ou à l’oisiveté volontaire des intéressés[1].     

     

     ROGER SCRUTON A JUSQU’ICI PARLÉ DE LA VÉRITÉ DU SOCIALISME,
    SAUF D’AVOIR DÉPLORÉ LES ERREURS DOCTRINALES DONT ELLE EST EMPREINTE

    (81) L’une d’elles est la doctrine qui veut que l’État providence gère le produit national comme « un bien commun »

    Il le fait en « redistribuant » la richesse, afin d’assurer que tous accèdent à la part qui leur revient. Cette image, selon laquelle les produits du labeur humain, par essence, n’a pas de propriétaire jusqu’à leur redistribution par l’État, n’est pas seulement la position par défaut de la pensée de gauche. On l’a introduite dans les cours de la philosophie politique à l’université, de sorte qu’elle est devenue pratiquement inattaquable de quelque point de vue que ce soit au sein de la discipline. Ainsi Rawls, dans ’A theory of Justice’, résumant son fameux « principe de différence » écrit que « tous les biens sociaux premiers – la liberté et l’opportunité, le revenu et la richesse, les fondements du respect de soi –  doivent être distribués de façon égale, à moins qu’une inégale distribution d’un de ces biens bénéficient aux moins favorisés. »

    Posez la question «  Distribués par qui ? » et vous sonderez son livre en vain à la recherche d’une réponse. L’État est omniprésent, possède toutes choses et est tout puissant pour organiser et distribuer la richesse nationale, mais n’est jamais mentionné comme tel. L’idée que la richesse advienne dans le monde en portant déjà la marque de revendications de propriété qui ne peuvent être annulées qu’en violant les droits des individus, n’a pas sa place dans la vision du monde progressiste.

    (82) C’est précisément à cet endroit que nous devrions adopter un langage clair et transparent pour décrire ce qui est en jeu.      

     [a] L’État socialiste ne « redistribue » pas un bien commun. Il crée des redevances sur les revenus des contribuables et les offre à ses clients privilégiés. Ces clients gardent ces redevances en votant pour ceux qui les leur fournissent. Si leurs voix sont suffisantes, ces redevances deviennent une possession permanente pour ceux qui sont assez chanceux pour les réclamer. Nous observons alors, comme en Grèce, la création d’une nouvelle « classe de loisir », qui se sert de l’État pour en extraire un revenu. Dans le même temps, le pouvoir de l’État s’accroît ; lorsque plus de la moitié de la population est à la charge de l’État comme en France aujourd’hui, la richesse nationale est dans les faits confisquée à ceux qui la produisent et transférée vers une bureaucratie qui la distribue. Cette bureaucratie devient ainsi de moins en moins comptable envers les électeurs, à mesure que leur budget s’accroît.

    [b] Ces imperfections sont déjà suffisamment graves. Cependant, il semble à Roger Scruton que la véritable perversion du socialisme ne réside pas dans les théories économiques sens dessus dessous qui fascinaient Marx, ni dans celles de la justice sociale proposées par des penseurs comme John Rawls. Sa véritable perversion est celle d’une erreur particulière, selon laquelle la vie en société est faite de telle sorte que le succès des uns implique l’échec des autres. Selon cette erreur, les gains des uns se paient des pertes des autres. La société est un jeu à somme nulle, où les coûts et les profits s’équilibrent et la victoire des gagnants cause la perte des perdants.

     

    LE « BOULET » DE LA THÉORIE ERRONÉE  DE « LA SOMME NULLE »

    (83) Cette erreur de la « somme nulle » a trouvé sa formulation classique dans la théorie de Marx de la plus-value.

    [a] Elle prétendait montrer que le profit du capitaliste était confisqué à la force de travail. Puisque toute la valeur prend sa source dans le travail, une partie de la valeur produite par le travailleur est prélevée par le capitaliste sous la forme du profit (ou « plus-value »). Le travailleur lui-même est rémunéré par un salaire suffisant pour « reproduire sa force de travail ».

    Mais la « plus-value » est conservée par le capitaliste. En bref, tous les profits détenus par le capitaliste sont des pertes infligées aux travailleurs – la confiscation d’« heures de travail non rémunéré. »  

    [b] – D’un certain côté, cette théorie n’a pas beaucoup de partisans aujourd’hui. Quel que soit notre avis sur l’économie de libre-marché, celle-ci nous a au moins persuadés que toutes les transactions ne sont pas des jeux à somme nulle. Les accords consensuels sont à l’avantage des deux parties : pourquoi autrement les concluraient-elles ? C’est tout aussi vrai du contrat salarial que du contrat de vente.

    [c] – D’un autre côté, le « jeu à somme nulle », par sa vision, reste une puissante composante de la pensée socialiste, un recours éprouvé et fiable à tous les défis offerts par la réalité. Pour un certain type de tempérament, la défaite n’est jamais une défaite par la réalité, mais toujours une défaite par les autres, qui souvent sont supposés agir comme membres d’une classe, d’une tribu, d’une conspiration ou d’un clan. D’où la complainte sans réponse  – et sans réponse possible – de tant de socialistes qui ne peuvent pas admettre que les pauvres profitent de la richesse des riches. L’injustice selon eux se démontre de façon probante par l’existence des inégalités, de sorte que la simple existence d’une classe aisée justifie le dessein de redistribuer  ses biens parmi les « perdants ».  

    [d] Que quelqu’un m’insulte, et j’aurai un grief à son encontre : je voudrai la justice, la revanche, ou du moins des excuses et une volonté de sa part de faire amende honorable. Cette sorte de grief se produit entre lui et moi et peut être l’occasion d’un rapprochement dans le cas où les gestes attendus sont démontrés. La pensée de la somme nulle  n’est pas de cette sorte. Elle ne commence pas par un tort mais par la déception, Elle cherche autour d’elle quelque succès éclatant auquel attacher son ressentiment. Et seulement ainsi se prouver à soi-même que le succès des autres est la cause de son échec. Ceux qui ont investi leurs espoirs dans un avenir entièrement bienheureux finissent très souvent par nourrir de tels griefs, qu’ils traînent avec eux , prêts à se fixer sur tout contentement visible  et à tenir les gens enrichis comptables de leur échec à eux, autrement inexplicable.

    (84) Les Grec croyaient qu’à s’élever trop brillamment au-dessus de ce niveau médiocre autorisé par les dieux jaloux, le grand homme provoquait la colère divine – telle est la faute de l’hubris.

    [a] Grâce à cette croyance, les Grecs pouvaient jouir d’un ressentiment sans culpabilité. Ils pouvaient envoyer leurs citoyens distingués en exil ou les condamner à mort, croyant qu’en agissant ainsi ils ne faisaient ainsi qu’exécuter le jugement des dieux. Ainsi le grand général Aristide, en grande partie responsable de la victoire sur les Perses à Marathon et Salamine et qui était surnommé le « Juste » en hommage à sa conduite exemplaire et désintéressée fut ostracisé et exilé par les citoyens d’Athènes. Plutarque rapporte qu’un électeur inculte qui ne connaissait pas Aristide, vint au-devant de ce dernier et, lui donnant son tesson de poterie, voulut lui y faire écrire le nom d’Aristide. Celui-ci lui demanda si Aristide lui avait fait du tort. « Non, fut sa réponse, et je ne le connais même pas mais je suis fatigué de l’entendre appelé ‘le Juste’. » Entendant cela Aristide, puisqu’il était juste, écrivit son propre nom sur le tesson.

    [b] Les hommes sages ne sont probablement pas d’accord avec Nietzsche quand il estime que le ressentiment est la substance de nos émotions sociales. Mais ils reconnaissent son omniprésence et sa propension à nourrir des espoirs et à répandre son venin  par l’application autocomplaisante de l’erreur de la somme nulle. La pensée de la somme nulle semble émerger spontanément dans les communautés modernes partout où les effets de la compétition et de la coopération se font sentir.

    –  La révolution Russe d’Octobre ne ciblait pas seulement le gouvernement de Kerensky. Elle ciblait ceux qui réussissaient, qui faisaient marcher les choses, afin de se distinguer parmi leurs contemporains. Dabs tous les domaines et toutes les institutions, les plus haut placés étaient identifiés, expropriés, assassinés ou envoyés en exil. Lénine supervisant personnellement l’exclusion de ceux qu’il jugeait les meilleurs[2]. Selon l’erreur de la somme nulle, c’était là le moyen d’améliorer la condition des autres. Le ciblage par Staline des koulaks, les paysans propriétaires illustra le même état d’esprit ; comme le fit le ciblage par Hitler des Juifs, dont les privilèges et les possessions avaient été, aux yeux des nazis, acquis au prix des souffrances de la classe ouvrière allemande.

    – L’explosion d’un sentiment antibourgeois dans la France de l’après-guerre, menant à des œuvres telles que la Saint Genet de Sartre et le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, suivit la même logique et fut incorporée dans la philosophie des soixante-huitards.

    (85) Il semble à Roger Scruton que cet avatar de la somme nulle sous-tend la croyance répandue que l’égalité et la justice sont une seule et même idée

    Une telle croyance qui semble être la position par défaut des socialistes, et introduite comme telle dans les cours de philosophie politique de l’université. Peu nombreux sont ceux qui pensent que si Jack a plus d’argent que Jill, c’est en soi un signe d’injustice. Mais si Jack appartient à une classe fortunée  et Jill à une classe sans fortune, alors la pensée de la somme nulle fait immédiatement son entrée pour nous persuader que la classe de Jack s’est enrichie aux dépens de celle de Jill. C’est là la dynamique qui se cache derrière la théorie marxiste de la plus-value. Mais c’est aussi l’un des motifs principaux de la réforme sociale de notre temps, un motif qui sape effectivement les revendications de justice et les remplace par un substitut fallacieux. Pour une certaine forme de mentalité égalitariste, il importe peu :

    • que Jack ait travaillé pour être riche et Jill se soit simplement prélassé dans l’oisiveté volontaire ;
    • que Jack ait du talent et de l’énergie et que Jill n’a ni l’un ni l’autre ;
    • que Jack mérite son sort tandis que Jill ne mérite rien.

    La seule question importante est celle de la classe et des inégalités « sociales » qui en découlent. Des conceptions comme le droit et le mérite n’ont pas voix au chapitre et l’égalité seule définit le but à atteindre.          

      

    D’OÙ, IN FINE , DANS LA POLITIQUE MODERNE, L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE IDÉE DE LA JUSTICE

    (86) Cette nouvelle idée qui n’a rien à voir avec le droit, le mérite, la récompense et le châtiment, et qui est en réalité détachée des actions et des responsabilités des individus

    [a] Ce nouveau concept de justice (qui, diraient certains, n’en est pas un) a présidé à la réforme éducative des sociétés occidentales, particulièrement en Grande-Bretagne, où des ressentiments de classe de longue haleine ont trouvé des représentants au Parlement et dans l’école une cible évidente. L’exemple mérite qu’on s’y arrête, puisqu’il illustre la quasi-impossibilité d’échapper à la pensée de la somme nulle.    

    [b] Roger Scruton ayant été admis à professer à la Royal Grammar School de Cambridge a été le témoin de son enseignement qui visait à offrir à ses élèves exactement les mêmes opportunités que celles qu’ils auraient eues dans les public schools (écoles privées) fréquentées par des enfants dont les parents étaient aisés. Cela portait ses fruits. 

    (87) Ceux qui travaillaient ensemble dans cette université à offrir cette opportunité à des jeunes gens d’origine modeste agissaient par sens du devoir

    [a] Mais ce devoir de charité n’est pas un devoir de justice ; si l’on échoue dans son devoir de justice, on commet une injustice – en d’autres termes, on fait du tort à quelqu’un. Le concept de justice se matérialise dans les concepts de droit et de mérite :

    –  le concept de justice cible explicitement l’autre personne et prend compte de ses droits, de son mérite et de ses prétentions légitimes ;

    • le concept de charité n’est pas si explicitement ciblé et les devoirs de charité ont un caractère indéterminé. Si vous soutenez quelqu’un par la charité, et par là épuisez vos ressources, de sorte que vous ne pouvez pas soutenir une autre personne qui en a pourtant tout autant besoin, vous ne faites pas de tort à cette seconde personne ; vous avez rempli votre devoir en offrent de l’aide à celui qui l’a reçue. Dans une certaine mesure la vision égalitariste en politique découle d’une suspicion à l’encontre de la charité et d’un désir de construire l’ensemble des devoirs comme des devoirs de justice, qui ne peuvent pas faire de distinctions arbitraires entre des revendications égales, lorsque la seule base de revendication est le besoin. Comme les arguments suivants vont le monter, cette conception étroite de l’étendue du devoir s’est avérée fondamentalement subversive pour les institutions civiques.      

    [b] L’existence des grammar schools résultait d’une longue tradition de dons caritatifs (notre école a été fondée en 1542), finalement intégrée dans le système éducatif étatique. Mais cette démarche qui permet à certains élèves de réussir doit, nous dit l’erreur de la somme nulle, causer l’échec des autres. Cette démarche génère de ce fait un système éducatif à deux vitesses », les meilleurs profitant de toutes les opportunités, quand les autres sont laissés au bord du chemin, « marqués à vie ». En d’autres termes, le succès des uns se paie par l’échec des autres. La justice requiert que les opportunités soient égalisées. Ainsi naquit le mouvement pour l’enseignement général[3], accompagné d’une hostilité à l’égard de la répartition par niveau et de la baisse des exigences dans les examens, afin d’empêcher que le système éducatif d’État ne produise et reproduise les inégalités.      

    (88) Il est aisé d’assurer l’égalité dans le champ de l’éducation.

    Il suffit d’ôter toutes les opportunités de progresser, de sorte qu’aucun enfant ne réussit jamais à apprendre quoi que ce soit. Aux yeux de l’observateur cynique, c’est ce qui s’est passé...L’erreur de la somme nulle est entrée en action.

    Face à cette situation, le but que s’est alors fixé Roger Scruton est simplement d’illustrer comment cette erreur est intervenue : un système qui offrait aux enfants issus de familles pauvres l’opportunité de s’élever par leurs seul talent et travail a été détruit pour la simple raison qu’il distinguait la réussite de l’échec. Bien sûr, dire que les examens distinguent la réussite de l’échec est une tautologie, et il est difficile de considérer comme une exigence de justice l’abolition de cette distinction.

    (89) Mais le nouveau concept de justice « sociale » qui cible  explicitement l’autre personne  est venu à la rescousse des égalitaristes et leur a permis de présenter leur malveillance à l’égard de ceux qui réussissent comme une sorte de compassion envers tous les autres.

    Ce peu de réalisme nous rappelle que les êtres humains sont divers et qu’un enfant peut échouer dans un domaine tout en réussissant dans un autre. Seul un système d’éducation divers, dont les examens sont bien conçus et rigoureux permettra aux enfants de trouver les compétences, expertises ou vocations, qui correspondent à leurs capacités. La pensée de la somme nulle qui considère que la réussite scolaire d’un enfant se paie de l’échec d’un autre, fait entrer l’éducation dans un moule qui lui est étranger. L’enfant qui échoue en latin peut bien réussir en musique ou en ferronnerie. Nous le savons tous, et c’est aussi vrai de l’éducation du marché : ce ne sont pas des jeux à somme nulle. Cependant, ils sont traités de la sorte dès que de faux espoirs sont investis dans l’idée utopique d’« une éducation en faveur de l’égalité ».

    La fâcheuse habitude, pour les hommes politiques et les experts en éducation, est de repérer les lieux de l’excellence et de trouver le moyen de les pénaliser ou de  les fermer. De cette façon selon cette « erreur » les autres y trouveront avantage on obtiendra enfin un système éducatif conforme aux exigences de la  « justice sociale ».   

    (90) Le rejet de la pensée de la somme nulle et du concept associé de « justice sociale » ne revient cependant  pas à accepter les inégalités sous leur forme actuelle

    [a] On peut interroger l’idée de justice sociale sans penser que toutes les inégalités sont justes. Par ailleurs, l’inégalité nourrit le ressentiment et le ressentiment doit être dépassé si l’on souhaite obtenir l’harmonie sociale. Les plus riches en sont probablement conscients et désireux d’y répondre. Ils donnent des fonds à des organisations caritatives. En particulier ils fondent des entreprises qui offrent des emplois, accordant ainsi aux autres une part de leur propre succès ? C’est ce qui se fait habituellement aux États-Unis et c’est  l’une des raisons pour lesquelles, selon l’expérience de Roger Scruton, les Américains, quelle que soit leur mauvaise fortune sont heureux de la chance des autres – ils pensent que d’une certaine façon, ils pourraient y prendre part.     

    [b] Dans les pays européens, toutefois, il n’est pas d’usage de se réjouir de la bonne fortune des autres. Nous craignons souvent de révéler notre richesse, notre pouvoir ou notre réussite dans les affaires de ce monde, par peur de l’agression que cela provoquera. Nietzsche attribuait le ressentiment à une faute profonde de notre civilisation, visible également dans la religion chrétienne, la démocratie et les programmes socialistes de son époque. Max Scheler défendant le christianisme contre la charge de Nietzsche, était plus disposé à attribuer le ressentiment  à la moralité bourgeoise qui mesure toutes choses en termes de possessions matérielles. Le socialisme pour Scheler n’était que la forme la plus récente prise par cette moralité. Il ne fait pas de doute que le ressentiment joue un rôle important dans l’attitude qui prévaut aujourd’hui à l’égard des inégalités.   

    [c] Roger Scruton ne voit pas d’autre solution à la présence du ressentiment que la solution américaine faire usage de sa richesse et donner l’occasion à autant de personnes que possible de trouver un intérêt à ce que cet usage soit réussi, tout en adoptant ces « stratagèmes d’évitement de l’envie » explorés par Helmut Schoeck[4]. Mais les choses ont changé à tel point que le modèle américain, établi de longue date, est menacé. Avant et après la crise financière de 2008, on a constaté une augmentation soudaine et croissante de la disparité entre les revenus situés tout en haut et tout en bas de l’échelle, dans tout le monde et également, selon Joseph Stiglitz aux États-Unis. Roger Scruton, quant à lui, doute de la véracité de sa conclusion, car les arguments qu’il présente font un usage subtil de l’erreur de la somme nulle. En fait, si les riches s’enrichissent au moment où les pauvres s’appauvrissent, il ne s’ensuit pas que les pertes des pauvres soient transférées en tant que profits des riches. À moins d’établir ici une causalité, on ne peut pas être sûr qu’une politique destinée à mettre les riches et les pauvres sur un pied d’égalité bénéficierait à quiconque sur le long terme.          

    (91-92) Roger SCRUTON, dans ce chapitre, a ainsi défendu l’idée que l’on doit distinguer  le noyau de vérité du socialisme, selon lequel on ne peut jouir des bienfaits de la société, qu’en étant également prêt à les partager, de l’enveloppe de ressentiment qui l’entoure. Comme dans le cas du nationalisme ce noyau de vérité a été exagéré jusqu’à l’hérésie, changeant ainsi la vérité en erreur et le sentiment naturel en besoin religieux. La tentation existe, particulièrement chez les intellectuels de gauche, de remplacer l’individu par une pure abstraction, de réécrire le monde humain comme s’il était composé de forces, de mouvements, de classes et d’idées évoluant dans une stratosphère de nécessité historique d’où les réalités désordonnées seraient exclues. C’est ce que perçut l’écrivain et journaliste britannique George ORWELL (1903-1950)[5] dans le monde créé par les intellectuels – le monde imaginé et imposé par le Parti Communiste.

    –    Comme appel à rectifier l’ordre des choses, le socialisme devrait parler à tous.

    • Comme tentative de corriger la nature humaine et de nous enrôler dans son messianisme, par contre, il fut un rêve dangereux et de créer un paradis qui mènerait inévitablement à l’enfer. Aujourd’hui, nous le voyons clairement, à mesure que le monde occidental émerge de la guerre froide et du cauchemar communiste. Mais la  tentation totalitaire[6] est toujours là.  

          


    [1] À la date d’écriture, cette taxe existait encore.  Adoptée en 2012, sur proposition du gouvernement socialiste, modifiée après de premiers remous en 2013, cette taxe a été supprimée en janvier 2015.

    [2] Pour le récit de cet épisode extraordinaire voir L. Chamberlain , The Philosophy Steamer (Londres : Atlantic Books, 2006).

    [3] En anglais ; « comprehensive education », équivalent de notre collège unique.

    [4] H. Schoeck, Envy A Theory of Social Behaviour, Liberty Fund, également téléchargeable sur mise. Org (accès le 1er février 2014).

    [5] Il fut le créateur du concept Big Brother, l’incanation des techniques modernes de surveillance et de contrôle des individus. L’adjectif « orwellien » et également fréquemment utilisé  en référence à l’univers totalitaire imaginé par cet écrivain.

    [6] Voir J.F. REVEL, « La Tentation totalitaire » (Paris, Robert Laffont, 1976).

     


    Date de création : 30/10/2016 @ 12:25
    Dernière modification : 01/11/2016 @ 12:26
    Catégorie : Sciences politiques
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