Parcours
Parcours lévinassien
Parcours axiologique
Parcours cartésien
Parcours hellénique
Parcours ricordien
Parcours spinoziste
Parcours habermassien
Parcours deleuzien
Parcours bergsonien
Parcours augustinien Parcours braguien
Glossématique
Synthèses
Ouvrages publiés Suivi des progrès aux USA
Parcours psychophysique
L'art et la science
Parcours nietzschéen
Philosophies médiévales Autres perspectives
Archéologie Economie
Sciences politiques
Sociologie
Poésie
Théologie 1
Théologie 2
Théologie 3
Psychanalyse générale
Points dhistoire revisités
Edification morale par les fables
Histoire
Phénoménologie
Philosophie et science Mises à jour du site
05/03/2016 nouvelle perspective :
09/02/2016 ajout :
09/02/2016 ajout :
24/01//2015 ajout :
03/01/2016 ajout :
26/12//2015 ajout :
Phénoménologie
05/12//2015 ajout :
11/11//2015 ajout :
11/10//2015 ajout :
17/10/2015 nouveau parcours
11/10//2015 ajout : Liens Wikipédia
Visites
visiteurs visiteurs en ligne |
Phénoménologie - La constitution du monde spirituel
LA CONSTITUTION DU MONDE SPIRITUEL[1]
La IIIème partie de Ideen II est consacrée au Geist (esprit). On peut être surpris par ce rebondissement de lanalyse. Ideen II paraissait sorienter vers une antithèse : celle du « dernier sujet », pour ce qui est de la réalité, et de la nature objective. Le moi venait sinscrire dans cette réalité mathématisée, dans la mesure où il sédifie sur le corps et celui-ci sur la chose. Le mouvement de naturalisation et le mouvement du « retour à lego » ne paraissaient pas laisser de place pour une autre expérience plus ambiguë où lantithèse serait en quelque sorte tenue en suspens. Les premiers mots de lintroduction nous avertissent que cette nouvelle péripétie de lanalyse intentionnelle est proposée par lexistence au temps de Husserl, de sciences de lesprit (Geisteswissenschaften). Lesquelles sciences dont Husserl reprend à Dilthey et à quelques autres (Windelband, Rickert, Simmel, Munsterberg) lexpression et lintention. La phénoménologie prend donc appui, ici, sur une réaction, issue du milieu scientifique lui-même, contre la « naturalisation » de lhomme. Du même coup, Husserl trouvait une compensation à son étude de lhomme qui consolidait plus quelle nébranlait le style « objectif » de la psycho-physiologie. La constitution de la psyché laisse un « résidu » : le moi « naturel » négale pas le moi réel ; le psychisme animant un corps négale pas les réalités culturelles et communautaires de lhomme. En réintroduisant la dimension de la personne et de la communauté, Husserl complète la polarité ego-psyché par un nouveau schéma où le Geist nest pas la contrepartie empirique du sujet pur de la phénoménologie, mais une sorte déquivalent culturel, beaucoup plus malaisé à situer dans lédifice phénoménologique. Mais Husserl ne veut pas procéder à une simple répétition des sciences de lesprit (Geisteswissenschaften). Il entend les justifier en leur donnant le fondement qui leur manque, cest-à-dire la constitution de leur sens. Le savant pratique ces sciences comme une science spécifique ; seul le phénomène peut rendre raison des rapports complexes des deux groupes de science. Sa tâche sera de constituer :
Ce simple travail qui ouvre un champ possible dinvestigation par une opération signifiante préalable consiste, selon lexpression du début de Ideen II, à déterminer une « Idée ». Lidée desprit va ainsi servir de guide transcendantal, comme auparavant celle de chose et celle de corps animé (ou de psyché incarnée).
LOPPOSITION ENTRE ESPRIT ET NATURE La possibilité de principe dopposer une attitude repose sur la possibilité plus radicale de se retirer de toute attitude, cest-à-dire de procéder à la réduction phénoménologique. Cet acte premier rompt le charme de lattitude naturaliste et ainsi rend ainsi disponible pour une autre attitude. Avant même dinstaurer la priorité dune attitude sur lautre, le phénoménologue rend possible une autre attitude par la liberté primordiale du dernier sujet (letzte Subject) pour qui la nature nest plus que le « pur » sens des actes constitutifs de la nature. Ainsi il rend compte de la coupure même des sciences par la coupure des attitudes où elles senracinent ; il enseigne à démultiplier les attitudes sur lhomme par changement dattitude, parce quil est le regard désintéressé sur toutes les attitudes. Sous ce regard désintéressé, les pratiques intéressées perdent leur naïveté et avec elle leur puissance captative, leur créance exclusive dans « létant » quelles considèrent. » sens des actes constitutifs de la nature. Ainsi il rend compte de la coupure même des sciences par la coupure des attitudes où elles senracinent ; il enseigne à démultiplier les attitudes sur lhomme par changement dattitude, parce quil est le regard désintéressé sur toutes les attitudes. Sous ce regard désintéressé, les pratiques intéressées perdent leur naïveté et avec elle leur puissance captative, leur créance exclusive dans « létant » quelles considèrent. Faisons donc apparaître le sens : personne Le phénoménologue va-t-il créer par dialectique cette nouvelle Idée ou la tirer par déduction de la précédente. Pas une ligne de cette nouvelle partie nous autorise à interpréter ainsi la constitution. Cest toujours à partir dun sens déjà là quHusserl déploie les intentions de conscience qui sy croisent. Cest donc sur lapparaître même de lhomme que nous lisons lopposition de deux mondes, le monde naturaliste et le monde personnaliste. Autre disons-nous dabord est le sens âme, autre le sens personne. Je vois lâme « à » son corps, le toucher à la main, la joie au visage. Cest au ras des corps eux-mêmes insérés dans la texture des choses, que je vois sourdre le psychisme et sy résorber. Attentes et souvenirs viennent rabattre leur temps vécu sur le temps objectif du monde, avec ses coïncidences et ses intervalles ; les institutions sociales sont elles-mêmes susceptibles dêtre comprises comme un jeu dexcitants et de réactions au niveau des comportements du corps animé. Il ny a rien de lhomme qui ne puisse être traité dans le style psycho-physiologique. Ainsi dans lattitude naturaliste, lhomme tombe dans une zoologie. Telles sont les tendances dune étude de la sensorialité et des localisations : être animé cest véritablement être animal (Husserl dit dailleurs animalia). Or, ce nest pas dans cette attitude que nous sommes quand nous vivons ensemble, quand nous parlons, échangeons nos expériences, vivons dans la famille, lÉtat, lÉglise, etc. Nous ne voyons pas alors lhomme comme être de nature, mais de culture. Nous ne remarquons pas lanimal quand nous attendons la personne ; cest pourquoi une psychologie de la socialité qui se borne à une interpsychologie, où lhomme est pour lhomme un « excitant » de fonctions psychiques, se trouve en défaut par rapport à lhomme. Que nous a apporté cette apparition de la personne ?
Ainsi lUmwelt présente tous les caractères affectifs et pratiques que lattitude théoriquement doxique (theoretisch-doxisch) suspend. En cela mon environnement excède ce que le savant appelle nature. Tel est le monde pour le savant lui-même hors de lacte scientifique. Nous comprendrons mieux cette relation à lenvironnement quand nous laurons compris sous le règne de la motivation qui se substitue à la loi de causalité, implicite à la notion psycho-physique dexcitant.
Ce qui est donc implicite à cette élaboration commune dun Umwelt, cest la formation de « tout » dont chacun est membre et dont le réseau déchanges constitue un komminikative Umwelt : « se » comprendre » mutuellement pour comprendre « ensemble » le même monde. Ainsi il faut reporter le monde au niveau des communautés, comme un « objet social » (le monde grec, le monde médiéval, etc.). La science naturaliste connaît des réciprocités entre objets, non des Gegnsubjekte capables dinstituer des « subjectivités sociales » pour lesquelles le monde est une « objectivité sociale ». Il est à remarquer que dans ces pages[3], Husserl va très loin dans le sens de la « conscience collective ». Et cela au sens de Durkheim ou de lesprit objectif » au sens de Hegel. Cest pourtant le thème de lindividu et de « lindividuation primordiale » de lesprit qui sera le dernier mot de ce livre. Dès maintenant cette ultime inflexion de lanalyse est préfigurée dans lexégèse de la subjectivité sociale : ce même monde que nous percevons en commun, nest finalement perçu de manière originaire que par moi. Le monde vu par lautre nest quimaginé sympathiquement (eingefühlt) autour de la conscience de lautre. Si bien que la « subjectivité sociale » nest pas et ne peut pas être une réalité première ou dernière, mais une manière de conscience dérivée que le phénoménologue aura toujours la tâche de constituer dans les échanges très complexes de lintersubjectivité et de subordonner finalement à lunique conscience originaire, la mienne. Il ya une difficulté qui se présente en sens inverse dans la Ve Méditation cartésienne Dans Ideen II, Husserl va droit à ces « communautés de personnes » qui élaborent, primitivement semble-t-il, à titre duvres culturelles, le sens des choses, des valeurs, des personnes. Mais il laisse entrevoir que la réduction phénoménologique appliquée aux sciences de lesprit dénoncerait toute conscience collective faussement originaire. Le retour à lego jouerait, à partir des sciences de lesprit, le rôle de lironie socratique, de linscience feinte, à légard du sens prétendu absolu de lhistoire, à légard de la conscience collective, de la classe, etc., et forcerait à revenir au seul vécu que je puisse vivre originairement : le mien dans son « présent vivant ». La Ve Méditation cartésienne, au contraire, débouche immédiatement de limpasse du solipsisme transcendantal. Elle se pose la question paradoxale de constituer lautre comme un « étranger » et pourtant « en » moi. Lexpérience dautrui ne mest représentée que par transfert, sur la base dun « appariement » entre les manières dapparaître des corps dautrui et du mien, à lintérieur de ma sphère dappartenance. Cest pourquoi autrui est « présentifié par imagination sympathique. Seul mon vécu est représenté originairement ». Cest sur cette base que sinstituent des relations intersubjectives de moi avec lautre, avec cet autre qui pourtant est « en » moi comme échappant toujours à mon expérience originaire. Il faut revenir à ces raisons fondamentales pour comprendre pourquoi la philosophie transcendantale doit rester en tension avec toute sociologie de la conscience collective et toute philosophie de lhistoire. Elle en justifie le thème « subjectivité sociale », « esprit objectif » sur le plan de la réalité constituée par le même geste qui en ruine la prétention absolue.
LA MOTIVATION COMME LOI FONDAMENTALE DU « MONDE DE LESPRIT » Le second chapitre constitue le cur de cette vaste investigation de lordre « spirituel ». Abandonnant lopposition de lesprit à la nature, nous amorçons une exégèse interne de ce nouveau règne de la réalité. Les quelque cent pages qui lui sont consacrées portent essentiellement sur les catégories propres à ce règne : au centre, la catégorie de motivation qui réplique à celle de causalité du règne précédent. Mais Husserl place en tête de ses réflexions sur la motivation une longue réflexion sur le « je » et la subjectivité afin de situer demblée la nouvelle recherche sur un plan inaccessible à la naturalisation. À vrai dire, Husserl sort ici dune stricte thématisation de lobjet des sciences de lesprit telles quelles sont pratiquées ; il développe sa propre phénoménologie de lego comme présupposition dune juste compréhension de la réalité personnelle et sociale. Tout de suite lanalyse se porte à ce foyer de la subjectivité à qui le corps appartient, qui agit et opère se actes, qui prend position. Cest ce moi des actes qui seul peut être dit « affecté » et « réceptif » à légard de ses tendances et de ses états. Cest donc à un lecture de haut en bas de la vie du moi que nous sommes invités avant toute chose : cest pour le moi de la spontanéité quil y a du « pré-donné », de « lavoir subjectif ». Cette reconnaissance dune subjectivité qui nest pas acte, spontanéité, qui se constitue comme passivité, tendance affective, habitude, est du plus haut intérêt. Elle marque le premier effort de Husserl pour instituer une expérience totale de la subjectivité où linvolontaire et le corps propre ne sont pas abandonnés à une explication naturaliste, mais récupérés dans leur subjectvité vécue[4]. Cest à partir de la subjectivité que la motivation peut être comprise. Elle est :
On peut dire à cet égard que Husserl lui doit essentiellement léclatement de son logicisme initial et son intérêt pour une sorte de phénoménologie de la conduite ou comme on voudra, du comportement ou de la mise en uvre (praxis) qui déborde largement une simple théorie de la connaissance
La motivation est donc ce qui désigne la loi selon laquelle une conscience fait suite à elle-même, senchaîne temporellement, réagit au monde, comprend la conduite dautrui dans un environnement de personnes et de choses. Et nul progrès dans la connaissance des connaissances mises en jeu ne nous fait avancer dans la compréhension des motifs dune conduite. Non pas que la causalité soit suspendue ou rompue par lirruption de la subjectivité, mais la compréhension dun cours de motivation ne se fait pas dans lattitude où lon appréhende une série causale dans la nature. On voit par là que lopposition causalité-motivation recoupe à peu près lopposition comme entre expliquer et comprendre. Husserl lui-même y a recours, mais comme un cas particulier de lopposition entre les deux grandes attitudes naturaliste et spirituelle ; elle lui sert à débrouiller les implications nouvelles de la vie corporelle dans la vie spirituelle. Cest même la dernière application quil fait de la loi de motivation[7]. Dans son langage, comprendre sapplique très précisément à la saisie dune unité de sens spirituel dans une diversité naturelle. La première application quil fait de la notion nest pas la compréhension dune intention ou dune expression sur un visage, un geste, une conduite. Le thème initial est donné par lexamen des objets culturels animés par un sens : un livre, une uvre dart, plus simplement une phrase lue ou entendue. La compréhension va à lunité dun produit culturel ; elle signifie que je ne suis pas dirigé vers les lignes que je vois en lisant : « je vis par compréhension dans le sens ». Le spirituel, en quelque sort empreint le physique de son sens au point dannuler la dualité du sens et de son porteur. Le livre est là, dans lespace. Le sens, qui nest pas là, lanime pourtant de son intention et le résorbe en quelque manière dans sa spiritualité. Ainsi tous les objets dart et de culture, jusquaux humbles ustensiles de la vie quotidienne : transmutés en une objectivité dun nouveau genre qui les introduit, avec la conscience, dans le monde de lesprit. Ce sont ces objets culturels qui permettent de parler dun « monde » de lesprit, car ils sont en vérité les figures de « lesprit objectif ». Outre son intérêt propre, cette élucidation de lobjet de culture, a la fonction capitale dintroduire une nouvelle interprétation du rapport esprit-corps et de faire rebondir lanalyse de la IIe Partie qui ne dépassait pas le niveau dune psycho-physiologie. Le corps est empreint dun sens comme lobjet culturel, livre ou temple. Jappréhende le sens dans son unité sur le vivant qui en est empreint : comme dans la phrase, les articulations du corps se fondent dans le dessin total du sens. Il est important de remarquer que cest par le détour dune compréhension culturelle que Husserl corrige sa première interprétation de « lanimation » quil avait conduite dans un style très naturaliste dans la IIe Partie. Le langage est le témoin de ce décalage de plan entre une phénoménologie de la culture et une phénoménologie du psychisme. Cest même cette nouvelle description qui souligne après coup, combien une interprétation de lâme à partir de ses sensations localisées était restée naturaliste. Cest le Geist qui dénonce les limites dune psychologie. Ce mouvement de réflexion annonce incontestablement le passage de lobjectivation à la compréhension existentielle des successeurs de Husserl, mais il est tout autrement conduit. Husserl a dabord consolidé linterprétation naturaliste du psychisme au niveau de la perception commune. Ce nest plus au niveau dune phénoménologie de la perception mais dune phénoménologie de la culture quil récupère le sens des « expressions » humaines : lhomme pour qui un visage est spirituel, pour qui une conduite veut dire quelque chose, cest pour qui le langage a un sens de culture, celui pour qui des objets culturels, sont déjà constitués dans lunité dun sens spirituel et dun support physique. Cest ainsi que le problème classique de la conscience et du corps est dédoublé par Husserl en une théorie naturaliste de lanimation » et une théorie culturelle de lexpression ». La première ne va pas plus loin que la localisation des champs sensoriels dans lexpansion corporelle : cest le corps qui est le terme de référence. La seconde reprend le sens du corps à partir des intentions de la conscience et le corps sy efface entièrement comme le son prononcé ou le mot imprimé, dans le dialogue ou la lecture, se résorbent dans le sens compris. Au terme de cette réflexion, le moi nest plus lannexe de son corps. Cest au contraire la personne qui lui sert de référence, le subissant, le conduisant, sexprimant à travers lui, lui cédant ou lui résistant. Tout est la « geste » de lesprit dans les sciences de lesprit. Cest par rapport à cette libre spontanéité que réactivité et passivité ont-elles-mêmes un sens, que lêtre du moi de prolonge dans un avoir qui se dégrade jusquà la nécessité subie.
LA RELATION DE LA NATURE À LESPRIT
Au terme de Ideen II Husserl pose la question que le lecteur attend depuis que lélucidation du Geist a introduit une péripétie nouvelle dans le problème de la constitution de la réalité. Si lesprit est autre que la nature, quelles relations sont pensables entre ces deux réalités ?
La relation que le corps entre lesprit et la nature ne mérite aucunement le nom de causalité, tout au plus on peut parler de condition et non de cause. Et cette relation na pas de sens en dehors du double statut du corps ; comme siège de sensations en style naturaliste, comme organe de volonté en style personnaliste. On dirait aussi bien que nature et esprit sont médiatisés par le double statut de la psyché, où lon peut lire tour à tour un phénomène mondain conditionné par la chose-corps et un soubassement spirituel par lequel lesprit pâtit et agit au monde. Lambiguïté nest pas aux extrêmes chose-esprit , mais dans le complexe médiateur corps animé ou psyché incarnée. Pour une visée naturaliste, tout de proche en proche est chose, même lesprit que seules ses uvres attestent. Pour une visée spiritualiste, tout de proche en proche est esprit, même les choses qui sont le théâtre qui sont le théâtre et le point dimpact de lagir et du pâtir. Mais cest au niveau âme-corps que la motivation sinfléchit en causalité ou que la causalité rebrousse en motivation. Est-ce à dire que la possibilité de passer dune lecture à lautre leur confère une égale dignité ? Cest ici que Husserl entend affirmer la « prééminence ontologique de lesprit sur la nature » (cest le titre même du chapitre III de la IIIe Section). Comme on va le voir, cest cette prééminence même qui pose la question la plus embarrassante de Ideen II : celle de la situation exacte de ce que Husserl appelle Geist dans cet ouvrage par rapport à ce que toute son uvre appelle la « conscience », le vécu de conscience conquis par la réduction phénoménologique. La prééminence de lesprit sur la nature apparaît assez bien si on reprend la question à partir de la théorie classique, à lépoque de Ideen II, du « parallélisme psycho-physique. Le parallélisme a deux postulats que la théorie du Geist récuse :
Or, il faut dire exactement le contraire : lélucidation de lesprit donne les raisons de principe qui excluent que lexplication des sensations par lorganisation du système nerveux, par exemple, puisse être généralisée à toute la vie de la conscience. En outre, le type propre dintelligibilité que comporte le Geist domine par principe lexplication psycho-physique. Considérons ces deux points séparément.
Cest alors à lexpérience seule et à lexpérimentation détablir la dépendance de fait de la face hylétique à lorganisme, dans les limites ouvertes par la connexion interne de la conscience. Ainsi Husserl pense réfuter radicalement le parallélisme sans se laisser enfermer dans lalternative fictive du « parallélisme » ou de « linfluence réciproque du mental et de lorganique ». Cette réfutation contient en même temps, dans ses motifs, laffirmation cardinale sur laquelle se termine le livre : « la nature est relative et lesprit absolu ». Biffez la nature : il reste le moi qui biffe par le geste réducteur. Biffez lesprit, la nature seffondre, faute dune conscience pour qui et en qui son sens sarticule. Largument nous ramène au principe même de lidéalisme husserlien : lesprit dont il est question ici na pas de sens hors du contexte de la fameuse réduction phénoménologique et ne se soutient que par lego meditans qui penserait encore sans monde. La notion dans laquelle il fait culminer létude de lesprit est celle de lindividu et de lindividuation. Une réalité réglée par une loi interne de motivation, une réalité qui senchaîne sur une loi propre de compatibilités entre vécus de conscience, une telle réalité est par excellence un « individu ». La façon dont elle sindividualise est exactement contraire à la façon dont une chose sindividualise :
Dira-t-on quêtre « tel » est un cas particulier de leccéité ? Le sophisme est clair : leccéité est une pure forme et non un genre commun. Cette méditation sur lindividuation, retrouvée à partir du thème de la motivation et de la suite que fait avec soi-même une conscience et qui est bien dans la ligne dune philosophie leibnizienne de lindividualité cette méditation confirme et consacre « la prééminence ontologique de lesprit sur la nature ». Lesprit réalise lindividuation primordiale, absolue ; une chose nacquiert dindividualité que pour une conscience qui la présume dans un cours dapparences. Son individuation est lindividuation seconde du vis-à-vis. Autrement dit, une unité dapparitions celle de la chose est relative à lunité absolue que forme avec soi-même, à titre primordial, une conscience. Lâme et le corps, dans leur ambiguïté, participent de lune et de lautre individuation :
Il y a là, assurément une énigme dans larchitecture jusque là simple de Ideen II. On peut lexpliquer ainsi, semble-t-il. Husserl trouve dans les sciences humaines de son temps un mouvement de réaction contre le naturalisme régnant. Il intègre ces sciences de lesprit à son système articulé de la réalité, en superposant le nouveau thème, lesprit, à la série chose-corps-psyché. Cette série ayant sa cohérence propre dans lattitude naturaliste, il organise ces nouvelles sciences sous le titre dune nouvelle attitude qui reste à lintérieur de la réalité puisquelles sont nées en marge de la réduction transcendantale et demeurent dans la « naïveté » de toute science qui pose son objet comme un étant. Mais, dautre part, pour intégrer cet objet nouveau à la réalité, il faut en constituer lidée, cest-à-dire déployer les actes intentionnels dont les concepts de base des sciences de lesprit sont les corrélats. Ces actes de base se découvrent alors comme identiques aux opérations réflexives dont use le phénoménologue. Le Geist nétait donc que lego de la phénoménologie, mais sans la lumière de la réduction phénoménologique. Cest une réalité, la réalité de la personne dans ses relations à son environnement, à des groupes sociaux et à dautres personnes. Mais le sens, lIdée directrice qui permet de thématiser les catégories des sciences humaines, cest le moi pur de la phénoménologie. Dès lors, le schéma, en somme très kantien, atteint au terme de la « constitution de la nature animée » (IIe Partie) est bouleversé. Entre le moi pur et la psyché en son corps, cette « constitution du monde spirituel » (IIIe Partie) introduit le terme intermédiaire, si étranger à la mentalité criticiste, de la personne dans son environnement de choses et de personnes. Husserl se trouve ainsi à une des sources de ces philosophies de la personne, de lexistence, du sujet concret, etc., qui tentent de combler le hiatus creusé par Kant entre la réflexion transcendantale et la psychologie empirique. Mais en même temps quil inaugure cette psychologie compréhensive de la personne, il en montre les limites : la personne na pas la pureté du sujet phénoménologique ; elle nest pas le dernier ego. Elle est encore dans le monde de « lexpérience ». Elle y est enfoncée par ses motivations. Sa « naïveté » précritique cest précisément de se définir par son comportement dans un Umwelt. Preuve en est le caractère réversible du rapport moi-monde : je comprends une personne par ses motifs, les influences quelle subit, etc. Husserl maintient, par delà tout engouement pour la personne et pour lexistence, son idéal de la philosophie qui est lémergence dun ego meditans qui na point part à sa propre mise en uvre (praxis). Du moins, ce terme intermédiaire entre lempirique et le transcendantal, entre le naturalisme et la phénoménologie pure, apprend-il au savant à démultiplier sa notion de la réalité, à lenrichir dautant de registres quil y a de styles méthodologiques ; de son côté le philosophe trouve dans la fréquentation de la psychologie compréhensive, dans lhistoire de la culture, une manifestation réelle, dans le champ même des sciences, de la conscience quil cherche et que lui dépeignent les objets culturels (monuments, uvres et institutions). Cette familiarité avec la conscience lincline à opérer ce retour à lego pur qui est, selon Husserl, le commencement toujours imminent de la philosophie.
[1] Paul RICUR, in « À lécole de la phénoménologie », Vrin, 1er trim. 2004, p. 139 à 157 [2] Ideen II, p. 246. [3] Ibid., p. 250-260. [4] Ibid., p. 275-280. [5] Ibid., p. 289. [6] Ibid., p. 295. [7]Ibid., p. 309-324.
Date de création : 03/01/2016 @ 15:05 Réactions à cet article
|