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Sociologie - Le Fondamentalisme
LE FONDAMENTALISME Extrait de « Conflit et irruption de la violence en société démocratique, par Yves Charles Zarka (a)» « Le fondamentalisme, dans la mesure même où il confère à une religion particulière la fonction de définir la légitimité ou lillégitimité des autres ordres de la vie collective des hommes, est nécessairement lié à un unilitéralisme et à un exclusivisme qui conduisent nécessairement à un conflit avec la démocratie dans la mesure même où les principes démocratiques, tenus pour simplement humains, sont subordonnés à dautres enseignements, tenus pour divins. Ainsi défini, on comprend que le fondamentalisme puisse être à lorigine de doctrines irrationnelles au sens où elles ne tiennent en aucune façon la raison pour fondement de leur validité, mais un savoir quon suppose procéder directement dune source divine révélée ou autre. Cette forme dirrationalité existe bien entendu dans les démocraties, elle y fait même parfois des ravages, en particulier lorsquelle donne lieu à une violence terroriste aveugle. Il importe donc de définir très précisément, les lieux de confrontation nécessaires entre doctrines fondamentalistes et principes ou valeurs démocratiques. Je retiendrai ici trois lieux de confrontation : le fondamentalisme soppose radicalement à la tolérance, à la laïcité et même à la citoyenneté démocratique. A/ Le fondamentalisme est contraire à la tolérance Le fondamentalisme nest pas un rapport quelconque avec la religion. On ne saurait non plus le définir comme un rapport intense ou particulièrement fort à celle-ci, parce que ces termes restent vagues et indéfinis. Or le fondamentalisme comporte un rapport très précis à la religion. Il considère en effet la religion du point de vue de la vérité. Il va de soi que tout croyant considère sa religion comme vraie, si ce nétait pas le cas, sa croyance naurait plus de raison dêtre et disparaîtrait. La croyance est une adhésion à ce que lon tient pour une vérité. Mais je montrerai un peu plus loin que la religion peut aussi être considérée sous un angle différent que celui de la vérité. Le fondamentaliste considère la religion prioritairement sous langle de la vérité. Plus exactement, il considère sa propre interprétation ou sa propre conception ou ce quil imagine de sa religion comme une vérité révélée, absolue et indiscutable. Toute critique qui en relève est ressentie comme un blasphème ou une apostasie. Or, lorsquon considère les religions sous langle de la vérité, on saperçoit quelles sont incompatibles entre elles. Lune croit que le messie est déjà arrivé, lautre non. Lun croit que larchange Gabriel sest révélé au prophète, lautre non, etc. Les religions considérées sous langle de la vérité entrent dans une dynamique dopposition et daffrontement, parce que, de ce point de vue, les religions sont incompatibles entre elles, exclusives les unes des autres. Langle de la vérité en matière de croyance religieuse est toujours celui de lintolérance et de la persécution. Cest parce quon croit posséder la vérité que lon estime légitime lintolérance à légard de lerrance de lautre et, par voie de conséquence la persécution dont il est lobjet. Le but affiché de cette persécution étant dobtenir par la force ce quil na pas été possible dobtenir par la douceur, dans le giron de ce que le fondamentalisme considère comme la vérité. Le fondamentalisme qui tient la religion exclusivement sous langle de la vérité est persécuteur. On voit également très bien comment la certitude de posséder la vérité absolue peut conduire de lintolérance à la violence, et même à la violence terroriste aveugle, puisque ce qui est hors de la vérité est supposé impur, sans valeur et ne méritant pas dexister. Mais, pourrait-on objecter, sous quel autre rapport que la vérité peut-on considérer la religion ? Sous quel rapport les religions deviennent-elles compatibles les unes avec les autres ? Cest un auteur qui a mis en évidence dune manière éblouissante cet autre rapport. Il sagit du philosophe français Bayle qui sétait réfugié à la fin du XVIIe siècle à Rotterdam, à cause de la persécution dont les protestants faisaient lobjet en France. Il disait en somme : si lon veut sortir de lintolérance des religions, si lon veut que les religions puissent coexister les unes avec les autres dans un même État, de sorte que lon substituerait une tolérance des religions à une intolérance de religions, il ne faut plus considérer les religions sous langle de la vérité mais sous celui de la conviction. Des convictions différentes touchant des objets, des dogmes ou des croyances peuvent être non seulement compatibles entre elles, mais aussi égales entre elles, ou relevant dune égale dignité. Que je croie que le messie est déjà venu, ou que je ny croie pas, relève de convictions différentes, mais il ny a aucune raison de penser que lune soit supérieure ou meilleure que lautre. Elles sont dégale dignité. Il sagit des deux côtés dune libre adhésion du croyant à un contenu de croyance qui repose en définitive sur la dignité de lhomme. Ainsi Bayle pouvait-il dire que si un homme refuse de se convertir, ce nest pas pare quil est opiniâtre, aveugle à la vérité ou entêté dans lerreur, mais au contraire parce quil est libre et quil entend le rester même sous la contrainte et les affres de la persécution. Mais le fondamentalisme reste sourd à ce discours, aveuglé quil est par sa croyance de posséder le vrai, et donc le droit pour lui. Par là même, sous ce nouveau rapport les religions sont pensables comme compatibles les unes avec les autres. La conviction comme libre adhésion, elle-même fondée sur la dignité de lhomme : tel est le fondement éthique ultime de la tolérance. On comprend donc non seulement que le fondamentalisme est intolérant et persécuteur, mais aussi pourquoi il lest et pourquoi il peut donner lieu à des violences radicales. Il convient donc de remettre radicalement en cause lexclusivité de la vérité quil prétend détenir. B/ Le fondamentalisme est aussi contraire à la laïcité La laïcité est une version particulière de la tolérance. Il y a en effet une façon de penser la tolérance et de létablir qui nimplique pas du tout la laïcité. Cest le cas en Angleterre où la reine est à la fois le chef de lÉtat et le chef de lÉglise anglicane. On ne saurait dire cependant quil ny a pas de tolérance des religions dans ce pays, elle existe mais sous un autre mode que la laïcité. Mais la tolérance peut être aussi pensée et mise en pratique par la laïcité, cest-à-dire à travers lidée dune non reconnaissance par lÉtat des religions. Cest le cas en France depuis la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de lÉtat. Larticle 2 de cette déclaration stipule que « La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte ». La laïcité est donc une façon de peser et de mettre en pratique la tolérance : celle qui fait reposer celle-ci sur lexistence dun espace public neutre absolument non affecté par les religions. Cet espace public est commun à lÉtat et à tous les organismes publics directement sous sa dépendance : la fonction publique, lécole, etc. Or le fondamentalisme est opposé à la séparation des ordres religieux et politiques : il entend subordonner le second au premier. Ainsi, par exemple, lorsquil y a un conflit entre un précepte (ou une loi) religieus(e) et une loi politique, le fondamentaliste dit quil faut obéir à la loi de Dieu qui est plus vraie et plus absolue que la loi des hommes. Cest là un principe ancien qui est particulièrement virulent aujourdhui. Il sagit ici de la négation des ordres, par subordination de tous les ordres à la religion. On comprend donc que dans ce contexte la sphère publique nexiste plus. Cest pourquoi le fondamentalisme porte la religion à couvrir tout lespace du social et du politique. Il est contraire à la laïcité. Sil en prend parfois le masque cest pour tromper. On peut même dire que le fondamentalisme est un ennemi de la laïcité, ennemi de ce qui pourrait vouloir échapper à la loi religieuse ou lui être soustrait. Un ennemi à détruire. C/ Le fondamentalisme est enfin contraire à la citoyenneté Si le fondamentalisme est particulariste et exclusiviste, la citoyenneté est à linverse universelle ou nest pas. Mais il existe aussi une conception non universelle de la citoyenneté : la citoyenneté multiculturelle. Cette citoyenneté particulariste est selon moi proprement destructrice de lidée de citoyenneté. Ce quon appelle en effet citoyenneté multiculturelle nest rien dautre que léclatement de la citoyenneté dans létablissement de régimes distinctifs, exclusifs et discriminatoires, même si cette discrimination est prétendument positive. Lidée du citoyen est une grande idée. Elle suppose une capacité dabstraction : la capacité de saisir ce qui en nous, malgré toutes nos différences (sexuelles, physiques, sociales, religieuses, politiques, culturelles et autres) demeure identique. Cette capacité à reconnaître ce qui est universel en nous nimplique nullement que chacun ait à se dépouiller de ce qui fait sa singularité. Les différences sont réelles, ce sont des réalités qui nous distinguent et parfois nous opposent, où nous situent à des niveaux différents de la hiérarchie sociale. Par contre, la citoyenneté est ce que nous avons en commun. Cest le point sur lequel nous sommes exactement identiques. Je dis bien identiques, parce que même la différence sexuelle ne saurait y introduire une distinction : un citoyen nest pas seulement légal dun autre citoyen de sexe différent, il lui est exactement identique. Or, cette ouverture vers luniversel cest ce que le fondamentalisme hait au-dessus de tout. Alors que luniversalisme de la citoyenneté est intégratrice des différences quelle laisse subsister, luniversalité que recherche le fondamentaliste est en revanche sectaire, cest-à-dire tyrannique. Il entend imposer à tous une particularité, donc universaliser une particularité, par le discours ou par la violence. Si la citoyenneté démocratique libère la dimension politique de chaque individu comme membre du souverain, en revanche le fondamentaliste tyrannise et violente les individus pour les asservir à une particularité. Si le citoyen aime la liberté, le fondamentaliste pense au contraire que le salut se trouve dans la servitude. » (a) In « Repenser la démocratie », ouvrage collectif édité par Armand Colin, oct.2010. Date de création : 22/06/2011 @ 08:29 Réactions à cet article
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