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Parcours ricordien - Les deux pôles de l'existence
LES DEUX PÔLES DE LEXISTENCE Dédoublement entre la pure production dans les actes et leur occultation dans les signes Selon Paul Ricur, dans « Conflit des interprétations », la question épistémologique de la diversité des pôles de réflexion un pôle de vérité et un pôle de liberté (ceux du Cogito) est dépassée au profit dune problématique plus radicale, celle de lexistence (219). Sil demeure toujours une différence entre la conscience qui se promeut et celle qui se regarde, cest que lexistence elle-même est constituée par une double relation : entre une affirmation qui linstitue et passe sa conscience, et un défaut dêtre quatteste le sentiment de la faute, de léchec, de la solitude. « Linégalité de lexistence à elle-même » est première par rapport à la pluralité des pôles de réflexion. Cest elle qui met, au centre de la philosophie la tâche de sapproprier laffirmation originaire à travers les signes de son activité dans le monde ou dans lhistoire : cest elle qui fait de cette philosophie une Éthique, au sens fort et vaste que Spinoza a donné à ce mot, cest-à-dire une histoire exemplaire du désir dêtre [Léthique comme sphère de décisions]. Que devient dans cette éthique la théorie du signe dont [la double esquisse se rencontre dans la théorie du motif et de la valeur (a)] ? Cest le deuxième thème qui englobe maintenant le premier, mais, sil peut maintenant jouer ce rôle, cest quil est lui-même dégagé dune théorie préalable ; il ne suppose plus quune chose : le rapport que la liberté noue avec le monde au cur de luvre. En effet, ce qui suit immédiatement linégalité de lexistence à elle-même, cest l « alternance » entre deux mouvements, celui d« une concentration du moi à sa source » et celui « de son expansion dans le monde ». Replacé dans le champ de cette alternance, le problème de la valeur prend une signification nouvelle : « ce que la réflexion saisit et affirme comme conscience pure de soi, le Moi se lapproprie comme valeur dans la mesure même où il se crée et devient réellement pour soi. Autant dire que la valeur apparaît en vue de lexistence et pour lexistence, quand la conscience pure de soi sinfléchit déjà vers le monde pour y devenir principe ou règle de laction, en même temps que mesure de la satisfaction dans une conscience concrète ». Cest dans ce mouvement que nous retrouvons loubli de lacte dans le signe : « La valeur est toujours liée à une certaine occultation du principe qui la fonde et la soutient A cet égard, loccultation du principe générateur de la valeur est lexpression dune loi qui affecte toutes les manifestations de lesprit humain. Ce que Maine de Biran dit des signes, cest-à-dire des actes qui révèlent à la conscience sa puissance constitutive, il faut le dire également des valeurs. Et pourtant, cette occultation « nest point diminution ou fléchissement du principe », comme dans les philosophies néo-platoniciennes de lintelligible. Le risque de trahison est sur le chemin même de lépreuve hors de laquelle il nest point dappropriation de soi. Peut-on aller plus loin que cette loi du signe ? Nabert suggère que le glissement du prédicat de valeur courageux, généreux à lessence du courage, de la bonté, procède de loubli du « caractère fondamental de lesprit de saffecter par ses propres créations ». Cest cette affectation de soi par soi, déjà invoquée par Kant dans la deuxième édition de la Critique, qui rend possible le dédoublement du mouvement générateur et de la loi intérieure de ce mouvement : une essence naît lorsque lacte créateur se retire de ses créations, de ses rythmes dexistence intime, offerts désormais à la contemplation. Laffection de soi par soi paraît bien être une sorte dinertie de limagination productrice : « Il est manifeste que lidéalité des valeurs connues nest rien de plus que lidéalité des créations, des directions permanentes nées de limagination productrice, et devenues règles daction et dévaluation pour la conscience individuelle. Elles sont revêtues, certes, dune autorité qui passe les mouvements contingents de la conscience. Mais seul le dédoublement de lesprit, capable tout ensemble de créer et de saffecter soi-même par ses propres créations, donne un caractère spécieux à la transcendance des essences ». Peut-être faudrait-il trouver ici la loi de tout symbole, dont la psychanalyse nous a montré par ailleurs quil cache et montre, quil exprime et déguise. Nabert lui-même esquisse une généralisation semblable, lorsquil explore le trajet inverse du désir vers la valeur, par un mouvement semblable à celui de louvrage intérieur, remontant de la tendance psychologique vers le motif et lacte. Partant donc du désir, nous dirons que tout le sens et la prétention de la valeur est d« obtenir du réel et de la vie une expression de [lintention créatrice] qui passe toute expression et toute réalisation ». Or, cette surélévation du désir par la valeur, cest le passage au symbole : « Des conditions de rigueur sans cesse accrue, des règles, des formes, des signes, des langages, substituent des perceptions ou des actions nouvelles aux actions et aux perceptions qui se faisaient dans des directions inscrites à linstinct Chacun des systèmes de symboles produits selon cette volonté de rigueur est tout dabord comme une méthode de dissolution du réel quil soffre à la conscience immédiate Par ce double accès à la valeur, objectivation de lacte pur et symbolisation du désir naturel, nous accédons au foyer tant cherché : comme chez Kant, l « imagination fait le passage ». Cest limagination qui recèle la double puissance dexprimer, puisquelle « symbolise » le principe en le vérifiant, et quelle élève au symbole le désir par la volonté de rigueur. De cette imagination, il faut dire quelle « crée linstrument, la matière de la valeur, autant que la valeur elle-même ». Cest dans cette imagination et dans la loi de laffection de soi par soi qui lui appartient et qui est le temps lui-même quil faudrait chercher la clef du dédoublement, qui nous a occupé dans cet article. Cest comme durée que la création jaillit mais cest comme temps que ses uvres se déposent en arrière de la durée et demeurent inertes, offertes au regard, comme des objets à contempler ou des essences à imiter. Sil fallait résumer sous un seul titre ce jeu de manifestation et doccultation, dans le motif et dans la valeur, cest celui du phénomène quil faudrait préférer. Le phénomène, cest la manifestation, dans une « expression saisissable », « dune opération intérieure qui ne peut sassurer de ce quelle est quen sefforçant vers cette expression ». Le phénomène est le corrélat de cette assurance de soi dans la différence à soi-même ; parce que nous ne sommes pas immédiatement en possession de nous-même, mais toujours inégaux à nous-même, parce que, selon lexpression de lExpérience intérieure de la liberté, nous ne produisons jamais lacte total que nous rassemblons et projetons dans lidéal dun choix absolu, il nous faut sans fin nous approprier ce que nous sommes à travers les expressions multiples de notre désir dêtre. Le détour du phénomène est alors fondé dans la structure même de laffirmation originaire comme différence et comme rapport entre la conscience pure et la conscience réelle. La loi du phénomène, cest indivisément une loi dexpression et doccultation. On comprend alors que « le monde sensible tout entier et tous les êtres avec qui nous avons commerce nous apparaissent parfois comme un texte à déchiffrer ». Pour employer un langage que luvre de Nabert semble encourager : parce que la réflexion nest pas une intuition de soi par soi, elle peut être, elle doit être une herméneutique [dont le vu le plus profond est de voir relier le langage symbolique à la compréhension de soi]. (a) Cest dans lidée de valeur que la « convertibilité » de la liberté et de la raison apparaît. Lidée de valeur offre ainsi le même caractère mixte que celle du motif (psychologie de la liberté et psychologie de la volition). La valeur regarde à la fois du côté de la norme « objective » et du côté de ladhésion contingente de la conscience : « La raison ne peut fournir que des normes. Cest la synthèse de ces normes et de la liberté qui donne des valeurs. Il ny a de valeur que par une adhésion contingente de la conscience aux normes dune pensée faite pour limpersonnalité. Lobjectivité des valeurs exprime la résistance des normes à notre désir, leur subjectivité exprime le consentement sans lequel la valeur ne serait quune force. Ce double visage de la valeur semblable à celui du motif, donne loccasion du même dédoublement ; loubli de linitiative qui soutient la valeur produit le même effacement de la conscience devant la vérité de lordre ; cest le même « transfert » du sujet de laction vers le pôle dentendement ou de raison qui donne à lidéal son apparente extériorité. Ce transfert est loin dêtre une déchéance ; grâce à lui, je peux me juger ; néanmoins cest une pente quil faut sans cesse remonter afin de délivrer la spontanéité première, doù procèdent les actes, de la contemplation et de la fascination de lordre. Date de création : 01/05/2010 @ 17:31 Réactions à cet article
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