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Parcours cartésien - Texte propre à la méthode de Descartes







TEXTE PROPRE À LA MÉTHODE DE DESCARTES



Dans ses Notes sur M. Bergson, Péguy souligne que « dans le Discours de la méthode de Descartes[1], paru en 1637, il n’y a qu’une partie, sur six, la deuxième, qui soit des règles de la méthode. En tout, sept pages et demie. Et dans cette deuxième partie même il n’y a que le cœur, en tout vingt lignes qui soient les règles de la méthode. Ce sont ces vingt lignes qui ont révolutionné le monde et la pensée ».


(132) J’étais alors[2] en Allemagne, où l’occasion des guerres qui n’y sont pas encore finies m’avaient appelé ; et, comme je retournais du couronnement de l’empereur vers l’armée, le commencement de l’hiver m’arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertit, et n’ayant d’ailleurs, par bonheur, aucun soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle où j’avais tout le loisir de m’entretenir avec mes pensées. Entre lesquelles une des premières, fut que je m’avisai de considérer que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins.

(133) Ainsi ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres, toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbes et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison qui les a ainsi disposés. Et si l’on considère qu’il y a eu néanmoins de tout temps quelques officiers qui ont eu charge de prendre garde aux bâtiments des particuliers pour les faire servir à l’ornement du public, on connaîtra bien qu’il est malaisé, en ne travaillant que sur les ouvrages d’autrui, de faire des choses fort accomplies. Ainsi je m’imaginai que les peuples qui, ayant été autrefois demi-sauvages, et ne s’étant civilisés que peu à peu, n’ont fait leur loi qu’à mesure que l’incommodité des crimes et des querelles les y a contraints, ne sauraient être aussi bien policés que ceux qui, dès le commencement qu’ils se sont assemblés, ont observé les constitutions de quelque prudent législateur. Comme il est bien certain que l’état de la vraie religion, dont Dieu seul a fait les ordonnances, doit être incomparablement mieux réglé que tous les autres. Et, pour parler des choses humaines, je crois que si Sparte a été autrefois très florissante, ce n’a pas été à cause de la bonté de chacune de ses lois en particulier, vu que plusieurs étaient fort étranges et même contraires aux bonnes mœurs, mais à cause que, n’ayant été inventées que par un seul, elles tendaient toutes à même fin. Et ainsi je pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi encore, je pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être (134) gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les unes aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle.

Il est vrai que nous ne voyons point qu’on jette par terre toute les maisons d’une ville pour le seul dessein de les refaire d’autre façon, et d’en rendre les rues plus belles ; mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir, et que même quelquefois ils y sont contraints quand elles sont en danger de tomber d’elles-mêmes et que les fondements n’en sont pas bien fermes. A l’exemple de quoi je me persuadai qu’il n’y aurait véritablement point d’apparence qu’un particulier fit dessein de réformer un Etat, en y changeant tout dès les fondements, et en le renversant pour le redresser ; ni même aussi de réformer le corps des sciences, ou l’ordre établi dans les écoles pour les enseigner ; mais que, pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre une bonne fois de les en ôter, afin d’y en remettre par après ou d’autres meilleurs ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. Et je crus fermement que, par ce moyen, je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m’appuyasse que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir jamais examiné s’ils étaient vrais. Car bien que je remarquasse en ceci diverses difficultés, elles n’étaient point toutefois sans remède, ni comparables à celles qui se trouvent en la réformation des moindres choses qui touchent le public. Ces grands corps sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes. Puis, pour leurs imperfections, s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute fort adoucies, et même il en a évité ou corrigé insensiblement quantité auxquelles on ne pourrait si bien pourvoir par prudence. . Et enfin elles sont quasi (135) toujours plus supportables que ne serait leur changement ; en même façon que les grands chemins, qui tournoient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre, que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au-dessus des rochers et descendant jusques au bas des précipices.

C’est pourquoi je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquiètes, qui, n’étant appelées ni par leur naissance ni par leur fortune au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d’y faire toujours, en idée quelque nouvelle réformation. Et si je pensais qu’il y eût la moindre chose en cet écrit par laquelle on me pût soupçonner de cette folie, je serais très marri de souffrir qu’il fût publié. Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si, mon ouvrage m’ayant assez plu, je vous en fais voir ici le modèle, ce n’est pas pour cela que je veuille conseiller à personne de l’imiter. Ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces auront peut-être des desseins plus relevés ; mais je crains que celui-ci ne soit déjà que trop hardi pour plusieurs. La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues auparavant en sa créance n’est pas un exemple que chacun doive suivre ; et le monde n’est quasi composé que de deux sortes d’esprits auxquels il ne convient aucunement. A savoir, de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées ; d’où vient que, s’ils avaient pris une fois la liberté de douter des principes qu’ils ont reçus et de s’écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient tenir le sentier qu’il faut prendre pour aller plus droit, et demeureraient égarés toute leur vie ; puis de ceux qui, ayant assez de raison, ou de modestie, pour juger qu’ils sont moins capables de distinguer le vrai d’avec le faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits, doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres qu’en chercher eux-mêmes de meilleures.

Et pour moi, j’aurais sans doute été du nombre de ces derniers, si je n’avais jamais eu qu’un seul maître ou que je n’eusse point su les différences qui ont été de tout (136) temps entre les opinions les plus doctes. Mais, ayant appris, dès le collège qu’on ne saurait rien imaginer de si étrange et si peu croyable, qu’il n’est été dit par quelqu’un des philosophes ; et depuis, en voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des sentiments fort contraire aux nôtres ne sont pas pour cela barbares ou sauvages, mais que plusieurs usent, autant ou plus que nous de raison ; et ayant considéré combien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu’il serait s’il avait toujours vécu entre des Chinois ou des cannibales ; et comment, jusques aux modes de nos habits, la même chose qui nous a plu il y a dix ans, et qui nous plaira peut-être encore avant dix ans, nous semble maintenant extravagante et ridicule ; en sorte que c’est bien plus la coutume et l’exemple qui nous persuadent qu’aucune connaissance n’est certaine, et que néanmoins la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à cause qu’il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les aient rencontrées que tout un peuple, je ne pouvais choisir personne dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je trouvai comme contraint d’entreprendre moi-même de me conduire.

Mais, comme un homme qui marche seul et dans les ténèbres, je résolus d’aller si lentement et d’user de tant de circonspection en toutes choses, que si je n’avançais que fort peu, je me garderais bien au moins de tomber. Même je ne voulus point à rejeter tout à fait aucune des opinions anciennes qui s’étaient pu glisser tout à fait autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n’eusse auparavant employé autant de temps à faire le projet de l’ouvrage que j’entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable.

J’avais un peu étudié, étant plus jeune, entre les parties de la philosophie, à la logique, et, entre les mathématiques, à l’analyse des géomètres et à l’algèbre, trois arts ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. Mais, en les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la (137) plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait, ou même comme l’art de Lulle[3], à parler sans jugement de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre. Et bien qu’elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois tant d’autres mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou superflus, qu’il est presque aussi malaisé de les en séparer que de tirer une Diane ou une Minerve hors d’un bloc de marbre qui n’est point encore ébauché. Puis pour l’analyse des anciens et l’algèbre des modernes, outre qu’elles ne s’étendent qu’ç des matières fort abstraites, et qui ne semblent d’aucun usage, la première est toujours si astreinte à la considération des figures, qu’elle ne peut exercer l’entendement sans fatiguer beaucoup l’imagination ; et on est tellement assujetti en la dernière à certaines règles et certains chiffres, qu’on e a fait un art confus et obscur qui embarrasse l’esprit, au lieu d’une science qui le cultive. Ce qui fut cause que je pensai qu’il fallait chercher quelque autre méthode qui, comprenant les avantages de ces trois, fût exempte de leurs défauts. Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un Etat est bien mieux réglé lorsque, n’en ayant que fort peu, elles y sont étroitement observées ; ainsi,

au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.

Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

(138) Le second de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les choses les plus simples et les plus aisées à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composées ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon, et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer, car je savais déjà que c’était par les plus simples et les plus aisées à connaître ; et, considérant qu’entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût pas les mêmes qu’ils ont examinées ; bien que je n’en espérasse aucune autre utilité, sinon qu’elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités et ne se contenter point de fausses raisons. Mais je n’eus pas dessein, pour cela, de tâcher d’apprendre toutes ces sciences particulières qu’on nomme communément mathématiques ; et, voyant encore que leurs objets soient différents, elles ne laissent pas de s’accorder toutes, en ce qu’elles n’y considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensais qu’il valait mieux que j’examinasse seulement ces proportions en général, et sans les supposer que (139) dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée ; même aussi sans les y astreindre aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres auxquels elles conviendraient. Puis, ayant pris garde que, pour les connaître, j’aurais quelquefois besoin de les considérer chacune en particulier, et quelquefois seulement de les retenir, ou de les comprendre plusieurs ensemble, je pensai que, pour les considérer mieux en particulier, je les devais supposer en des lignes, à cause que je trouvais rien de plus simple ni que je puisse plus distinctement représenter à mon imagination et à mes sens ; mais que, pour les retenir ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je les expliquasse par quelques chiffres, les plus courts qu’il serait possible ; et que, par ce moyen, j’emprunterais tout le meilleur de l’analyse géométrique et de l’algèbre, et corrigerais tous les défauts de l’une par l’autre.

Comment, en effet, j’ose dire que l’exacte observation de ce peu de préceptes que j’avais choisis me donne telle facilité à démêler toutes les questions auxquelles ces deux sciences s’étendent, qu’en deux ou trois mois que j’employai à les examiner, ayant commencé par les plus simples et les plus générales, et chaque vérité que je trouvais étant une règle qui me servait après à en trouver d’autres, non seulement je vins à bout de plusieurs que j’avais jugées autrefois très difficiles, mais il me sembla aussi vers la fin, que je pouvais déterminer, en celles mêmes que j’ignorais, par quels moyens et jusques où, il était possible de les résoudre. En quoi je ne vous paraîtrai pas peut-être pas être fort vain, si vous considérez que, n’ayant qu’une vérité de chaque chose, quiconque la trouve en sait autant qu’on en peut savoir ; et que, par exemple, un enfant instruit en l’arithmétique, ayant fait une addition suivant ses règles, se peut assurer d’avoir trouvé, touchant la somme qu’il examinait, tout ce que l’esprit humain saurait trouver. Car enfin la méthode qui enseigne à suivre le vrai ordre, et à dénombrer exactement toutes les circonstances de ce qu’on cherche, contient tout ce qui donne de la certitude aux règles d’arithmétique.

Mais ce qui me contentait le plus de cette méthode était que, par elle, j’étais assuré d’user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût (140) en mon pouvoir, outre que je sentais, en la pratiquant que mon esprit s’accoutumait peu à peu à concevoir plus nettement et plus directement ses objets, et que, ne l’ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettais de l’appliquer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j’avais fait à celle de l’algèbre. Non que pour cela, j’osasse entreprendre d’abord d’examiner toutes celles qui se présenteraient ; car cela même eût été contraire à l’ordre qu’elle prescrit. Mais, ayant pris garde que leurs principes devaient tous être empruntés de la philosophie, en laquelle je n’en trouvais point encore de certains, je pensais avant tout qu’il fallait que je tâchasse d’y en établir ; et que, cela étant la chose du monde la plus importante, et où la précipitation et la prévention étaient le plus à craindre, je ne devais point entreprendre d’en venir à bout que je n’eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt trois ans que j’avais alors ; et que je n’eusse auparavant employé beaucoup de temps à m’y préparer, tant en déracinant de mon esprit toutes les mauvaises opinions que j’y avais reçues avant ce temps-là, qu’en faisant amas de plusieurs expériences, pour être, après, la matière de mes raisonnements, et en m’exerçant toujours en la méthode que je m’étais prescrite, afin de m’y affirmer de plus en plus.


[1] In Descartes, Œuvres, Lettres, Gallimard, La Pléiade, 1953, pp.125-179.

[2] Pendant l’hiver 1619-1620. A cette date, il est engagé dans les troupes du duc de Bavière qui combattait pour la cause impériale contre l’électeur palatin. C’est alors, pendant les quartiers d’hiver que se produisit l’évènement décisif de sa vie. Le 10 novembre 1619, durant une nuit d’enthousiasme et de flamme, au cours de trois songes successifs, il acquiert la certitude de sa vocation et il est ébloui par une révélation admirable. Le centre de cette révélation, c’est assurément l’intuition d’un accord fondamental entre les lois de la nature et les lois des mathématiques, intuition qui devait le conduire, par voie de développement et de conséquence, d’un côté à chercher des principes nouveaux et certains pour une philosophie de la nature et pour une philosophie de l’esprit, et de l’autre, à reprendre, à préciser, à réaliser l’expérience pythagoricienne de soumettre l’univers au monde, et, du même coup, à trouver pour l’industrie de l’homme une prise assurée sur les choses.

[3] Raymond Lulle, philosophe et alchimiste espagnol, né à Majorque en 1235. Célèbre par l’invention du Grand Art, méthode générale destinée à déterminer toutes les formes et les combinaisons possibles de la pensée. L’application de cette méthode devait avoir pour conséquence la conversion des infidèles et l’union de tous les hommes. Pour essayer l’efficacité du Grand Art, Lulle entreprit des croisades pacifiques et fit à plusieurs reprises le voyage d’Afrique. Il fut lapidé à Bougie en 1315.



Date de création : 02/02/2010 @ 07:58
Dernière modification : 02/02/2010 @ 08:21
Catégorie : Parcours cartésien
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