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Glossématique - Etre(L')

ÊTRE (L’)
 
LÉVINAS
 
AUTREMENT QU’ÊTRE
 
Le philosophe cherche et exprime la vérité. La vérité, avant de caractériser un énoncé ou un jugement, consiste en l’exhibition de l’être. Mais qu’est-ce qui se montre sous le nom d’être ? Ce nom n’est pas sans équivoque . S’agit-il d’un nom ou d’un verbe ? Le mot être désigne-t-il une entité qui est – idéale ou réelle – ou le processus d’être de cette identité : l’essence ? Le mot désigne-t-il ? Sans doute, il désigne. Mais désigne-t-il seulement ? Car s’il désigne seulement, même verbe, il est nom. Et le processus, sous le coup de la désignation, fût-il mouvement, se montre, mais s’immobilise dans le Dit. Le mystère de l’être et de l’étant – leur différence – inquiète-t-elle déjà ? Dès le départ, la distinction et l’amphibologie de l’être et de l’étant se montreront importantes et l’être – déterminant pour la vérité ; mais cette distinction est aussi une amphibologie et ne signifie pas l’ultime. Si cette différence se montre dans le Dit – dans les mots, ce qui n’est pas épi-phénoménal – si elle tient à la monstration comme telle, elle appartient au même rang que l’être dont le jeu à cache-cache est, certes essentiel, mais si la monstration est une modalité de la signification, il faut du Dit remonter au Dire. Le Dit et le Non-Dit n’absorbent pas tout le Dire, lequel reste en deçà – ou au-delà – du Dit.
Mais tenons-nous en, pour le moment, aux implications du sens général de la vérité. La question « qu’est-ce qui se montre ? » est posée par celui-là même qui regarde, avant même qu’il ne distingue thématiquement la différence entre être et étant. La question énonce un quoi ? un qu’est-ce ? Un qu’est-ce que c’est ? De ce qui est, il s’agit de savoir ce qu’il est. Le quoi ? est déjà tout enveloppé d’être, n’a d’yeux que pour l’être où déjà il s’enfonce. De l’être de ce qui est, il s’agit de savoir ce qu’il est. La question – et serait-elle « qu’est-ce qu’être ? » – interroge donc par rapport à l’être, par rapport à ce qui est précisément en question. La réponse est d’emblée exigée en termes d’être, que l’on entende par là étant ou être de l’étant, étant ou essence de l’être. La question quoi ? est ainsi corrélative de ce qu’elle veut découvrir et, déjà, elle y a recours. Sa quête se déroule entièrement dans l’être – au sein de ce qu’elle recherche seulement. Elle est, à la fois, ontologie et a sa part dans l’effectuation de l’être même qu’elle cherche à comprendre. Si la question quoi ? dans son adhérence à l’être, est à l’origine de toute pensée (peut-il en être autrement tant que la pensée procède par termes déterminés ?) toute recherche et toute philosophie remontent à l’ontologie, à l’intellection de l’être de l’étant, à l’intellection de l’essence. L’être ne serait pas seulement le plus problématique – il serait le plus intelligible.
Et cependant, cette intelligibilité se fait question. Que l’intelligibilité se fasse question – étonne. Voilà un problème, préliminaire à la question qui ? et quoi ? Pourquoi il y a question dans l’exhibition ?
On pourrait dès l’abord y répondre ainsi : il y a question, parce qu’il y a recherche et parce que l’apparoir de l’être est aussi la possibilité de son apparence et que l’apparence dissimule l’être dans son dévoilement même et que la recherche de la vérité doit arracher l’être au paraître, ou bien – mais n’est-ce pas la même chose ? – il y a question parce que toute manifestation est partielle et en cela apparente, alors que la vérité ne se fractionne pas sans s’altérer et que, par conséquent elle est progression et s’expose en plusieurs temps restant problématique en chacun. Mais la question de la Question est plus radicale. Pourquoi la recherche se fait-elle question ? Comment se fait-il que le quoi ? déjà plongé dans l’être pour l’ouvrir davantage, se fait demande et prière, langage spécial insérant, dans la « communication » du donné, un appel au secours, à l’aide adressé à autrui ?
Le problème n’est certainement pas suscité, comme une mauvaise querelle par un sujet capricieux ou curieux ou industrieux abordant l’être, lequel, en soi, serait non problématique. Mais il n’est pas nécessaire de prendre à la lettre la métaphore de l’interpellation du sujet par l ‘être qui se manifeste. La manifestation de l’être – l’apparoir – est certes événement premier, mais la primauté même du premier est dans la présence du présent. Un passé plus ancien que tout présent – un passé qui jamais ne fut présent et dont l’antiquité an-archique n’a jamais « donné dans le jeu » de dissimulations et de manifestations – un passé dont la signification autre reste à décrire – signifie par-delà la manifestation de l’être laquelle ne traduirait ainsi qu’un moment de cette signifiante signification. On peut soupçonner dans la dia-chronie qui nous est venue sous la plume plus haut, à propos de la progressivité de la manifestation, l’intervalle qui sépare le Même de l’Autre, l’intervalle qui se reflète dans la manifestation (…). Allégeance [du Même à l’Autre] qui se décrira comme responsabilité du Même pour l’Autre, comme réponse à sa proximité d’avant toute question, mais où se laissera surprendre la naissance latente de la conscience elle-même – perception ou écoute de l’être – et le dialogue à partir du questionnement.
L’être ne serait donc pas la construction d’un sujet connaissant, contrairement aux prétentions de l’idéalisme. Le sujet s’ouvrant à la pensée et à la vérité de l’être auxquelles incontestablement il s’ouvre, s’y ouvre sur une voie toute différente de celle qui laisse voir le sujet comme ontologie ou intelligence de l’être. L’être ne viendrait pas de la connaissance. Ce ne-pas-venir-de-la-connaissance a un tout autre sens que l’ontologie ne le suppose. Être et connaissance, ensemble, signifieraient dans la proximité de l’autre et dans une certaine modalité de ma responsabilité pour l’autre de cette réponse précédant toute question, de ce Dire d’avant le Dit.
L’être signifierait, à partir de l’Un-pour-l’autre, de la substitution du Même à l’Autre. Et la vision de l’être et l’être renvoient à un sujet qui s’est levé plus tôt que l’être et la connaissance – plus tôt et en-deçà, dans un temps immémorial qu’une réminiscence ne saurait récupérer comme a priori. La « naissance » de l’être dans le questionnement où se tient lesujetconnaissant, renverrait ainsi vers un avant le questionnement, vers l’an-archie de la responsabilité et comme en deçà de toute naissance. On essayera dans la notion du Dire sans Dit, d’exposer une telle modalité du subjectif, un autrement qu’être.
[Autrement qu’être, pp. 43 à 48]
TOTALITÉ ET INFINI
 
L’être est extériorité
 
Cette formule ne revient pas seulement à dénoncer les illusions du subjectif et à prétendre que seules les formes objectives, opposées aux sables où s’embourbe et seperdlapensée arbitraire, méritent le nom d’être. Une telle conception démolirait 
en fin de compte l’extériorité, puisque la subjectivité elle-même s’absorberait dans l’extériorité, se révélant comme un moment d’un jeu panoramique. Extériorité ne signifierait plus rien alors puisqu’elle engloberait l’intériorité même qui justifiait cette appellation.   
Mais l’extériorité ne se maintient pas pour autant, si on affirme un sujet insoluble dans l’objectivité et auquel l’extériorité s’opposerait. Cette fois-ci l’extériorité prendrait un sens relatif comme le grand par rapport au petit. Sans l’absolu cependant, le sujet et l’objet feraient encore partie du même système, se jouant et se révélant panoramiquement. L’extériorité – ou si l’on préfère l’altérité – se convertirait en Même, et au-delà du rapport entre l’intérieur et l’extérieur, il y aurait place pour la perception de ce rapport à une vue latérale qui embrasserait et percevrait (ou percerait) leur jeu ou qui fournirait une scène ultime où ce rapport se jouerait, où véritablement s’évertuerait son être.  
L’être est extériorité : l’exercice même de son être consiste en l’extériorité, et aucune pensée ne saurait mieux obéir à l’être qu’en se laissant dominer par cette extériorité. L’extériorité est vraie non pas dans une vue latérale l’apercevant dans son opposition à l’intériorité, elle est vraie dans un face à face qui n’est plus entièrement vision, mais va plus loin que la vision ; le face à face s’établit à partir d’un point, séparé de l’extériorité si radicalement qu’il se tient de lui-même, est moi ; en sorte que toute autre relation qui ne partirait pas de ce point séparé et par conséquent arbitraire, (mais dont l’arbitraire et la séparation se produisent d’une façon positive comme moi), manquerait le champ – nécessairement subjectif – de la vérité. La vraie essence de l’homme se présente dans son visage où il est infiniment autre qu’une violence à la mienne pareille, à la mienne opposée et hostile et déjà aux prises avec la mienne dans un monde historique où nous participons au même système. Il arrête et paralyse ma violence par son appel qui ne fait pas violence et qui vient de haut. La vérité de l’être n’est pas l’image de l’être, l’idée de sa nature, mais l’être situé dans un champ subjectif qui déforme la vision, mais permet précisément ainsi à l’extériorité de se dire, tout entière commandement et autorité : tout entière supériorité. Cette courbure de l’espace intersubjectif infléchit la distance en élévation, ne fausse pas l’être, mais rend seulement possible sa vérité.
On ne peut « escompter » cette réfraction « opérée » par le champ subjectif, pour la « corriger ». Elle constitue la façon même sont s’effectue l’extériorité de l’être dans sa vérité. L’impossibilité de la « réfraction totale » ne tient pas à un défaut de la subjectivité. La nature soi-disant « objective » des étant’s qui apparaîtrait en dehors de cette « courbure de l’espace » – le phénomène – indiquerait tout au contraire, la perte de la vérité métaphysique de la vérité supérieure – au sens littéral du terme. Il faut distinguer cette courbure de l’espace intersubjectif où s’effectue l’extériorité comme supériorité (nous ne disons pas « où elle apparaît »), de l’arbitraire des « points de vue » pris sur les objets qui apparaissent. Mais celui-ci, source des erreurs et des opinions, issu de la violence opposée à l’extériorité, paie le prix de celle-là.    
La « courbure de l’espace » exprime la relation entre êtres humains. Qu’Autrui se place plus haut que Moi – signifierait une erreur pure et simple, si l’accueil que je lui fais consistait à « percevoir » une nature. La sociologie, la psychologie, la physiologie – sont ainsi sourdes à l’extériorité. L’homme en tant qu’Autrui nous arrive du dehors, séparé – ou saint – visage. Son extériorité – c’est-à-dire son appel à moi, est sa vérité. Ma réponse ne s’ajoute pas à un « noyau » de son objectivité comme un accident, mais produit seulement sa vérité (que son « point devue »surmoi,ne saurait abolir). Ce surplus de la vérité sur l’être et sur son idée que nous suggérons par la métaphore de « courbure de l’espace intersubjectif », signifie l’intention divine de toute vérité. Cette « courbure de l’espace » est, peut être, la présence même de Dieu.   
Le face à face – relation dernière et irréductible qu’aucun concept ne saurait embrasser sans que le penseur qui pense ce concept se trouve aussitôt en face d’un nouvel interlocuteur – rend possible le pluralisme de la société.
[Totalité et Infini, Conclusions, p.322]
Au-delà de l’être
 
La thématisation n’épuise pas le sens du rapport avec l’extériorité. La thématisation ou l’objectivation ne se décrit pas seulement comme une contemplation impassible, mais comme relation avec le solide, avec la chose, terme de l’analogie de l’être depuis Aristote. Le solide ne se ramène pas aux structures imposées par l’impassibilité du regard qui le contemple, mais par sa relation avec le temps – qu’il traverse. L’être de l’objet est perduration, remplissage du temps vide et sans consolation contre la mort comme fin. Si l’extériorité ne consiste pas à se présenter comme thème, mais à se laisser désirer, l’existence de l’être séparé qui désire l’extériorité, ne consiste plus à se soucier d’être. Exister a un sens dans une autre dimension, que la perduration de la totalité. Il peut aller au-delà de l’être. Contrairement à la tradition spinoziste, ce dépassement de la mort ne se produit pas dans l’universalité de la pensée, mais dans la relation pluraliste, dans la bonté de l’être pour autrui, dans la justice. Le dépassement de l’être, à partir de l’être – la relation avec l’extériorité – ne se mesure pas par la durée. La durée elle-même devient visible dans la relation avec Autrui où l’être se dépasse.
[Totalité et Infini, Conclusions, p.336] 
RICOEUR
 
HISTOIRE ET VÉRITÉ (2ème Partie)
 
Lapositiondel’existenceparl’existence,del’existencedel’autrecommecondition de mon existence pleine et entière, ne me condamne pas à une philosophie des essences mais m’oriente vers une philosophie de l’acte d’exister. L’illusion de l’existentialisme est double : il confond la dénégation avec les passions qui l’enferment dans le négatif, il croit que l’autre alternative à la liberté-néant c’est l’être pétrifié dans l’essence.
Faisons le point, à ce stade de notre réflexion récupératrice d’affirmation, au sein même de la réflexion néantisante. Nous avons dit d’abord : le pouvoir de dénégation de la conscience est une négation au second degré ; c’est une négation de négation ; le néant de finitude étant le néant de premier degré. La possibilité de retrouver une affirmation dans la dénégation était ainsi ouverte par cette analyse. Puis nous avons dit : en fait on peut toujours retrouver une affirmation implicite aux négations les plus virulentes de la conscience : rupture avec le passé, entrée dans l’avenir par la révolte.(…)
C’est donc le caractère originaire de l’affirmation qui est en jeu. Il me semble que si cette voie paraît bien souvent barrée c’est parce qu’on se donne au départ une idée étroite et pauvre de l’être, réduit au statut de la chose, du donné brut, ou de l’essence, elle-même grossièrement identifiée à quelque paradigme immuable et sans relations, comme l’Idée platonicienne interprétée par les « Amis des Formes » que Platon précisément combat dans le Sophiste. Ce point est clair chez Sartre[1] : c’est sa notion de l’être en soi, qui sert de repoussoir à sa notion du néant, qui est trop pauvre et déjà choséifiée ; à partir de ce moment, le néant que la réalité est à elle-même, n’est pas néant de tout l’être mais de la choséité qui envahit mon corps, mon passé, à la faveur d’une sorte de tassement, de sédimentation, de rechute au sommeil du minéral ; si Sartre a pu ainsi pratiquer une sorte d’hypostase de l’acte néantisant dans un néant actuel, c’est qu’il a préalablement rabattu l’être sur le donné, sur le mondain hors de moi et en moi ; dès lors tout ce qu’il a démontré , c’est que pour être libre, il faut se constituer en non-chose ; mais non-chose n’est point non-être ; nothing is not not being : c’est ici, à mes yeux, le point difficile de sa philosophie, sa philosophie du néant est la conséquence d’une philosophie insuffisante de l’être ; en particulier toute sa théorie de la valeur est grevée par cette conception pauvre de l’être ; si l’être est le donné brut, la valeur qui aère en quelque sorte le donné, qui introduit du devoir être dans l’être, ne peut plus être que lacune et manque ; toute possibilité de fonder les actes néantisants dans une affirmation supérieure est exclue sous peine de retomber à l’engluement initial ; l’être ne peut plus être recours, mais piège ; glu, mais non élan et fondement ; la valeur doit tirer son être de son exigence et non son exigence de son être et il ne reste plus qu’à s’en remettre au néant de la liberté pour faire exister la valeur comme valeur, « du seul fait de la reconnaître comme telle » : « en tant qu’être par qui les valeurs existent, je suis injustifiable » et ma liberté s’angoisse d’être « le fondement sans fondement des valeurs ».
Dès lors, ne faut-il pas procéder en sens inverse ? Au lieu de fermer à l’avance notre idée de l’être, de la refermer sur une notion de l’en-soi tout entière bâtie sur le modèle de la chose, demandons-nous plutôt ce que doit être l’être pour qu’il soit l’âme de la dénégation, du doute et de la révolte, de l’interrogation et de la contestation.
Le bénéfice d’une méditation sur le négatif n’est pas de faire une philosophie du néant, mais de reporter notre idée de l’être par-delà une phénoménologie de la chose ou une métaphysique de l’essence, jusqu’à cet acte d’exister dont on peut dire indifféremment qu’il est sans essence ou que toute son essence est d’exister. Mais cette affirmation est-elle une affirmation nécessaire ?       
La philosophie est née avec les Présocratiques avec cette découverte immense que « penser » c’est penser l’être, c’est penser l’archè(άρχή) au double sens de commencement et de fondement de tout ce que nous pouvons poser et déposer, croire et mettre en doute. Anaximandre, le pemier, si l’on en croit les doxographes, l’a vu : « Tout, en effet dit Aristote (qui semble ici avoir sous la main un recueil des tetes présocratiques), tout en effet ou est principe ou vient d’un principe ; or, il n’y a pas de principe de l’infini ; ce serait en effet sa limite. » Et encore : « Il n’a pas de principe, mais c’est lui qui paraît être principe des autres choses et les embrasser et les gouverner toutes » (Physique III, 213b ; cf. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, fgmt A9 et A15). L’idée de quelque chose qui fait commencer le reste sans avoir soi-même de commencement met un terme à cette régression sans fin dans les générations des dieux de la mythologie. En même temps, on peut trouver dans cet archaïsme philosophique deux traits décisifs pour notre méditation. D’abord la conviction que cet archè, ce principe, est « ordre » (χοσμόζ) et « justice » (διχή) ; ce principe en effet est la racine commune d’intelligibilité du physique, de l’éthique et du politique. Ce que nous prenons pour une confusion entre le réel et l’idéal, entre le fait et la valeur, est la conviction que l’ontologie, sous peine de se casser en deux, est la racine commune de l’être au sens du donné et de l’être au sens de la valeur. Le second trait qui nous importe est que la même méditation sur l’archè fonde la négation sur le plan de l’affirmation. Le Premier, dit Anaximandre, ne comporte pas les déterminations de ce qui vit après le Premier ; il est non-ceci, non-cela, précisément parce qu’il est, purement et simplement ; ainsi l’archè des Présocratiques, est apeiron (άπειρον), il-limitée, in-déterminée, in-essentielle ; le mouvement de la négation est secrètement animé par l’aveu de l’archè. Xénophane a su le premier en tirer la critique de l’anthropomorphisme dans la représentation du divin ; pour nous le dieu n’est plus bœuf ou homme ; il pourrait être essence ou valeur ; la critique est la même.
Le cantus firmus de l’être et de la pensée de l’être se poursuit des Grecs à nous, plus fondamental que les différences d’école. Peu importe que Parménide est tenu le « (il) est » – que la déesse lui découvre au terme de son voyage par-delà les portes du Jour et de la Nuit – pour une sphère physique ; peu importe que Platon ait appelé Bien ce qui donne aux Idées d’être connues et d’exister ; et qu’Aristote l’ait appelé « l’être en tant qu’être ». Tous ont défini l’homme par cet acte qu’ils appellent noeiu (νοειυ) ou phroneiu (φρονειυ) – penser, méditer ; pour eux, l’affirmation de l’être fonde l’existence de l’homme et met fin à ce que Parménide appelait l’ « errance », c’est-à-dire par-delà l’erreur, la condition d’errance.
Mais, dira-t-on, ne puis-je pas interroger encore et toujours et poser la question de l’origine de l’origine ? Cette seule possibilité n’atteste-t-elle pas que l’homme est cette interrogation sans fin capable de mettre en question et de néantiser la position même d’un principe de l’être ? Plotin a connu ce genre de vertige et en a démontré le faux prestige ; quel est le principe du principe, demandons-nous ? Cette question n’est pas une question sans réponse, ce n’est pas une question du tout. La notion du Premier est l’extinction même de la question de l’origine du Premier. Dans le Traité 8 de la VIe Ennéade sur la Liberté de l’Un, il dit, comme Anaximandre huit siècles avant lui : « Demander sa cause c’est lui chercher un autre principe, or le principe universel n’a pas de principe » ; puis, cherchant à percer le motif de la question, il le voit dans une illusion spatialisante qui ferait surgir l’être comme dans un trou antérieur qu’il viendrait boucher ; c’est cette venue d’un étranger, hantant soudain son absence préalable, qui suscite la vaine question de son origine (Enn., VI, 8, II) . La philosophie s’annonce ainsi comme la pensée qui supprime le motif de l’aporie de l’être.
Ce devait être le mérite inestimable de Kant de confirmer que la pensée est pensée de l’Inconditionné, parce qu’elle est la limite – Grenze – de toute pensée par objet, de toute pensée phénoménale, animée par la prétention de la sensibilité. Par là Kant ramenait à l’intuition d’Anaximandre : l’être est originairement dialectique : déterminant et indéterminé. C’est par cette structure dialectique qu’il éteint l’interrogation concernant son origine et fonde la possibilité d’interroger sur tout le reste.
S’il en est ainsi, nous pouvons considérer tout notre itinéraire à partir de son acte terminal et fondateur. Il me semble qu’une philosophie de l’être qui ne s’abîme pasdansunemétaphysiquede l’essence, et encore moins dans une phénoménologie de la chose, est seule capable de justifier et de limiter en même temps le pacte de la réalité humaine avec la négativité.(…)
Mais la même réflexion récupératrice qui justifie une philosophie de la négativité en montre aussi la limite ; le caractère dissimulé et perdu de la question de l’être, fait que je dois m’arracher à l’étant, mais aussi que je puis apercevoir cette négativité de l’homme sans son fondement dans l’être. Une philosophie tronquée rete possible. Cette philosophie tronquée, c’est la philosophie du Néant ; mais c’est seulement la philosophie de la transition entre étant et être. Toutes les expressions sartriennes – arrachement, décollement, désengluement, recul néantisant – témoignent avec génie cette philosophie de la transition ; la néantisation représente la moitié d’ombre d’un acte total dont la face de lumière n’a pas été dévoilée ; c’est pourquoi une expression telle que être son propre néant estdénuéedesens.Plotinparleenapparencelemême langage de la « néantisation » lorsqu’il décrit l’âme ensorcelée par la fascination de son corps et qu’il résume l’approche de l’Un dans l’héroïque précepte : « supprime tout le reste » ; mais les mêmes mots rendent un autre son, parce qu’ils sont pris dans le mouvement de l’affirmation (Enn., VI, 8, 21). Sans doute est-ce le mérite des philosophies de la négativité depuis Hegel de nous avoir remis sur le chemin d’une philosophie de l’être qui devra décrocher de la chose et de l’essence. Toutes les philosophies classiques sont à des degrés divers des philosophies de la forme, que ce soit de la forme comme Idée ou comme substance et quiddité. La fonction de la négation est de rendre difficile la philosophie de l’être, comme Platon le premier, l’a reconnu dans le Sophiste : « l’être et le non-être nous embarrassent également ». Sous la pression du négatif, des expériences en négatif, nous avons à reconquérir une notion de l’être qui soit acte plutôt que forme, affirmation vivante, puissance d’exister, et de faire exister.     
Laissons une dernière fois la parole à Platon, par la bouche de l’Etranger du Sophiste : « Eh quoi par Zeus : nous laisserons-nous si facilement convaincre que le mouvement, la vie, l’âme, la pensée n’ont réellement point de place au sein de l’être universel, qu’il ne vit ni ne pense, et que, solennel et sacré, vide d’intellect, il reste là, planté, sans pouvoir bouger ? – L’effrayante doctrine que nous accepterions là, étranger ».   
[Histoire et vérité. Deuxième partie, chap.4 pp.399 à 405]
 
KANT
 
FONDEMENT DE L’EXISTENCE DE DIEU
 
PREMIÈRE CONSIDÉRATION
 
DE L’EXISTENCE EN GÉNÉRAL
 
La règle de la solidité n’exige pas toujours, même dans la dissertation la plus approfondie, que tout concept présenté soit développé ou expliqué[2]. C’est notamment le cas lorsqu’on est sûr qu’un concept, simple, clair et commun, là où il est employé, ne peut donner lieu à une méprise quelconque. Ainsi le géomètre découvre avec la plus grande certitude les propriétés les plus cachées et les rapports de ce qui est étendu, bien qu’il se serve uniquement à cette occasion, de la notion vulgaire de l’espace. Ainsi encore, dans la science la plus profonde de toutes, le mot représentation est bien compris et employé avec confiance, bien que sa signification ne puisse jamais être explicitée par une définition[3].
Je n’irai pas jusqu’à avoir la prétention, dans ces considérations, d’expliciter la notion d’existence, notion très simple et très intelligible, si on ne se trouvait précisément dans un cas où, en négligeant de le faire, on risquerait de commettre des erreurs importantes. Il est sûr qu’on peut employer cette notion sans hésitation dans toutes les parties de la philosophie où elle a le même sens que dans le langage courant, à une seule exception près : lorsqu’il s’agit de l’existence absolument nécessaire et de l’existence contingente[4] ; ici, d’un concept malheureusement sophistiqué, quoique très pur autrement, on a tiré par un examen subtil des conclusions erronées qui se sont répandues dans une des parties les plus élevées de la philosophie. 
Il ne faut pas s’attendre à me voir commencer ici par une définition de l’existence en bonne et due forme[5]. Il serait à souhaiter qu’on ne procède jamais ainsi là où l’on est si peu certain d’avoir défini exactement ; et cela arrive plus souvent qu’on ne le croit. Je procéderai donc comme quelqu’un qui cherche la définition et s’assure d’abord de ce qu’on peut affirmer ou nier de son objet avec certitude, même s’il ne peut pas encore décider en quoi consiste son concept, une fois déterminé avec toutes ses particularités. Bien avant de se permettre de donner une définition d’un objet, et lorsque même on ne compte pas la donner, on peut dre beaucoup de l’objet avec la plus grande certitude. Je doute que personne ait jamais expliqué exactement ce qu’est l’espace. Mais, sans me compromettre ici , je suis certain que, là où il y a de l’espace, il y a nécessairement des rapports extérieurs, que l’espace ne peut qu’avoir trois dimensions, etc. Un désir peut être ce que vous voudrez, il repose en tout cas sur quelque représentation ; il présuppose qu’on attende un plaisir de son objet. Si l’on risque de se perdre dans des difficultés inutiles, lorsqu’on va jusqu’à prétendre qu’on doit donner d’abord la définition elle-même, on peut souvent tirer avec certitude, de ce qu’on sait antérieurement à toute définition, tout ce qui intéresse le domaine de la recherche. La rage de la méthode, la tendance à imiter, sur ce terrain glissant de la métaphysique, les démarches du mathématicien progressant avec sûreté sur une route bien aplanie, fut la cause d’une quantité de faux pas ; et leur nature est telle que, même en les ayant constamment devant les yeux, il y a cependant peu d’espoir que nous apprenions par là à devenir plus avertis et plus circonspects. Au contraire, la méthode que je préconise ici et qui, je l’espère, m’apportera quelques lumières, est    
la seule méthode applicable, et c’est vainement que je l’ai cherchée chez les autres[6]. Car, en ce qui concerne l’opinion flatteuse qu’on se fait, que grâce à une pénétration d’esprit plus grande, on pourra réussir mieux que les autres, on comprend bien qu’elle a été de tout temps celle des gens qui, de l’erreur d’autrui, veulent nous faire tomber dans la leur. 
 
Puis-jebiendirequedansl’existence il y a plus que dans la simple possibilité ?
 
Pour répondre à cette question, je remarque d’abord qu’on doit, dans ce problème, distinguer deux points : « ce qui est posé » et « comment cela est posé ». En ce qui concerne le premier point, il n’est posé rien de plus dans une chose réelle que dans une chose possible, car toutes les déterminations et prédicats de la chose réelle peuvent se trouver aussi dans sa simple possibilité. Quant au second point, il est certain que, par le mot existence, on pose quelque chose de plus. En effet, je demande : Comment tout cela est-il posé dans le cas de la simple possibilité ? Je m’aperçois que cela n’a lieu que relativement à un sujet. Par exemple, un triangle étant donné, il y a trois côtés, un espace fermé, trois angles, etc. Pour mieux dire, on pose simplement ces déterminations par rapport à une chose telle que le triangle. Au contraire, si le triangle existe, tout cela est posé absolument ; autrement dit la chose elle-même est posée avec toutes ses déterminations. Par conséquent, dans l’existence est posé quelque chose de plus. C’est pourquoi afin de résumer de façon condensée tout ce qui se rapporte à une matière si subtile – chose requise pour éviter l’erreur – , je dirai : Dans ce qui existe, il n’est rien posé de plus que dans le simple possible (car il est question alors de ses prédicats), mais par « quelque chose d’existant[7] » il est posé plus que dans le simple possible, et ce « plus » a trait à la position absolue de la chose elle-même. Et même dans le simple possible, ce qui est posé ce n’est pas la chose même, mais seulement des relations entre quelque chose[8] et quelque chose[9] selon le principe de contradiction[10]. Il est ainsi établi que l’existence n’est pas du tout le prédicat d’une chose quelconque.(…)
L’explication wolffienne de l’existence, à savoir qu’elle est un complément de la possibilité, est manifestement très vague[11]. Si l’on ne sait pas déjà préalablement ce que l’on peut penser sur la possibilité dans une chose, cette explication ne nous l’apprendra pas. Pour Baumgarten, ce qu’il y a de plus dans l’existence que dans la simple possibilité, c’est la complète détermination interne, en tant qu’elle complète ce qui reste indéterminé par les prédicats inhérents à l’essence, ou qui en découlent[12]. Mais nous avons déjà vu que, dans les relations d’une chose avec n’importe quel prédicat concevable, on ne découvrira jamais une différence entre celle-ci et un simple possible. En outre, la thèse qu’une chose possible, considérée comme telle, est indéterminée par rapport à un grand nombre de prédicats peut, si on la prend à la lettre, occasionner une grave erreur. En effet, la règle de l’exclusion d’un moyen terme entre termes contradictoires interdit cette indétermination. Et c’est pourquoi, par exemple un homme dont la nature, le temps, l’âge, le lieu, etc. seraient indéterminés est impossible. Il vaut mieux comprendre cette thèse dans le sens suivant : l’ensemble des prédicats pensés dans une chose laisse tout à fait indéterminés beaucoup d’autres prédicats, exactement comme dans les prédicats qu’on réunit dans le concept d’un homme, considéré comme tel, nous laissent dans l’indécision eu égard aux caractères particuliers d’âge, de lieu, etc. Seulement, cette sorte d’indétermination peut alors être trouvée aussi bien dans une chose existante que dans une chose simplement possible. C’est pourquoi elle ne peut servir de critère pour les distinguer l’une de l’autre. Le célèbre Crusius[13] compte l’en quelque lieu et l’en quelque temps parmi les déterminations infaillibles de l’existence. Mais sans nous engager dans l’examen de la thèse elle-même, en cherchant si tout ce qui existe en quelque lieu et en quelque temps, il demeure que ces prédicats appartiennent aussi à des choses simplement possibles. C’est ainsi, en effet, que pourrait exister, dans un tel lieu et dans un tel temps, tel homme dont l’Omniscient connaît bien toutes les déterminations, telles qu’elles lui seraient inhérentes, s’il existait et qui, cependant, en réalité n’existe pas ; et le Juif éternel Ahasvérus, eu égard à tous les pays qu’il doit parcourir et à tous les temps où il doit vivre, est sans aucun doute un homme possible. On ne va tout de même pas prétendre, je l’espère, que l’ « en-quelque lieu » et l’ « en-quelque temps » ne sont des moyens suffisants de l’existence que si la chose est réellement « ici » et « maintenant ». Ce serait exiger qu’on accorde déjà ce qu’on se fait fort de rendre manifeste de soi-même par un signe convenable.                    
[Fondement de l’existence de Dieu, II, 71, 76, 77]
 
DEUXIÈME CONSIDÉRATION
 
DE LA POSSIBILITÉ INTERNE EN TANT QU’ELLE PRÉSUPPOSE UNE EXISTENCE
 
Toute possibilité est donnée dans quelque chose d’existant, soit en lui à titre de détermination, soit par lui, à titre de conséquence
 
Il s’agit de démontrer, pour toute possibilité en général, et pour chaque possibilité en particulier, qu’elle présuppose quelque chose de réel , que ce soit une chose ou plusieurs. Ce rapport de toute possibilité à un existant quelconque peut prendre deux formes. Ou bien le possible n’est pensable qu’en tant qu’il est lui-même réel, et alors la possibilité est donnée dans le réel à titre de détermination ; ou bien le possible est possible, parce que quelque autre chose est réelle : sa possibilité interne est alors donnée comme une conséquence d’un autre existant. On ne peut encore présenter ici des exemples pour éclairer ce qu’on vient de dire. Il faut, en premier lieu, examiner la nature du sujet qui seul, en l’espèce, peut servir dans cette considération. En attendant, je me borne à remarquer que cet existant par lequel est donnée comme par un fondement la possibilité interne de toute autre chose, je l’appellerai le « premier fondement réel[14] » de cette possibilité absolue, exactement comme le principe de contradiction en est le premier fondement logique. C’est dans l’accord avec ce dernier fondement que réside l’élément formel de la possibilité : le premier fondement nous fournit les data et l’élément matériel dans ce qui est pensable.         
Je conçois bien que pour accéder à la lumière que toute connaissance évidente requiert, des propositions comme celles que j’avance dans cette considération ont encore besoin de maint éclaircissement. Mais l’obstacle auquel se heurte notre effort pour supporter plus de lumière se trouve ici dans la nature même de notre sujet, tellement abstrait. Il en est de lui comme des procédés microscopiques de vision qui, certes, agrandissent l’image de l’objet jusqu’à ce qu’on y distingue des parties très petites, mais qui diminuent dans la même proportion, la luminosité et la vivacité de l’impression. Cependant, je veux, dans la mesure de mes moyens, rapprocher davantage des concepts communs de l’entendement mes réflexions sur l’existant, qui sert toujours de fondement à la possibilité interne elle-même.
Vous admettez qu’un corps en feu, un homme astucieux ou telle autre chose semblable représente quelque chose de possible, et, si je ne demande rien d’autre que la possibilité interne, vous ne trouverez nullement nécessaire qu’un corps ou que du feu, etc., doivent exister à cet effet à titre de data ; ces possibles sont concevables, et cela suffit. L’accord du prédicat « en feu » avec le sujet « corps » selon le principe de contradiction résident dans ces concepts eux-mêmes, que ce soient des choses réelles ou possibles. J’accorde, moi aussi, que ni le corps, ni le feu n’ont besoin d’être des choses réelles pour qu’un corps en feu soit intrinsèquement possible. Mais je continue de demander : Un corps considéré en lui-même, est-il possible ? Puisque vous ne pouvez pas en appeler à l’expérience, vous énoncerez, en détaillant, les data que sa possibilité requiert – à savoir l’étendue, l’mpénétrabilité, la force, et que sais-je encore ? – et vous ajouterez qu’il n’y a entre ces données aucun conflit interne. J’accorde encore tout cela, mais vous devez m’expliquer de quel droit vous prenez sans détour l’étendue pour un datum. A supposer que cette donnée ne signifie rien, la possibilité du corps que vous en tirez n’est qu’une chimère. Il serait aussi très incorrect, dans le cas de ce datum, d’en appeler à l’expérience, car il s’agit précisément de savoir si la possibilité interne du corps en feu est admissible, même si rien n’existe. A supposer que vous ne puissiez, désormais, décomposer le concept d’étendue en des data plus simples, afin de montrer qu’il n’y a en lui rien de contradictoire – puisqu’il faut bien que vous parveniez nécessairement, en fin de compte, à quelque chose dont la possibilité ne puisse plus être décomposée –, la question se pose alors de savoir si l’espace ou l’étendue sont des choses vides, ou s’ils désignent quelque chose[15]. L’absence de contradiction ne fait rien ici ; un mot vide ne désigne jamais une chose contradictoire. Si l’espace n’esiste pas, ou si au moins, il n’est pas donné par quelque existant à titre de conséquence, le mot espace ne signifie rien. Aussi longtemps que vous confirmez la possibilité par le principe de contradiction, vous vous appuyez sur ce qui, dans l’objet, vous est donné comme pensable, et vous considérez seulement la liaison d’après cette règle logique. Mais, à la fin, quand vous vous demandez comment cette chose vous est donnée, vous ne pouvez plus vous référer qu’à une existence[16].         
Mais nous voulons remettre à plus tard la suite de ces considérations. L’application que nous en ferons rendra plus clair un concept qu’on réussirait à peine – à moins de se surpasser – à se rendre évident à soi-même, puisque ce concept lui-même a trait au fondement premier de toute chose pensable.
[Fondement de l’existence de Dieu, II, 80, 81]
 
TROISIÈME CONSIDÉRATION
 
DE L’EXISTENCE ABSOLUMENT NÉCESSAIRE
 
L’Être nécessaire contient la plus haute réalité
 
Puisque les data de toute possibilité doivent se rencontrer en lui, soit comme des déterminations, soit comme des suites qui en découlent, en tant qu’il est leur premier fondement réel, on voit que toute réalité est conçue par lui d’une manière ou d’une autre[17]. Or, ces mêmes déterminations, en vertu desquelles cet Être est le fondement de toute réalité possible, mettent en lui le plus haut degré d’attributs réels qui puisse jamais exister dans un être. Mais l’affirmation qu’un tel Être est ainsi le plus réel de tous les êtres possibles – attendu, dis-je, que tous les autres êtres ne sont possibles que par lui – ne doit pas être comprise comme si on affirmait que toute réalité possible fait partie de ses déterminations. C’est là une confusion d’idées qui a souvent prédominé jusqu’à présent. On accorde à Dieu ou à l’Être absolument nécessaire, à titre de prédicats, toutes les réalités sans distinction, sans se rendre compte qu’elles ne peuvent jamais se trouver les unes à côté des autres, à titre de déterminations dans un seul sujet. L’impénétrabilité des corps, l’étendue, etc., ne peuvent pas être les attributs d’un sujet doué d’entendement et de volonté. C’est en vain qu’en cherchant un faux-fuyant, on affirme qu’on ne considère pas les attributs qu’on vient de mentionner comme des réalités véritables[18]. Il est hors de doute que le choc d’un corps ou la force de cohésion sont quelque chose de vraiment positif[19]. De même la douleur, parmi les affections de l’âme, n’est jamais une simple privation[20]. C’est une pensée erronée qui a servi de justification apparente à cette façon de se représenter les choses. On dit : Une réalité et une autre réalité ne se contredisent jamais, parce qu’elles sont toutes deux des affirmations vraies ; donc elles ne se contredisent pas non plus dans un sujet. En admettant même que j’accorde qu’il n’y a ici aucun conflit logique, le conflit réel n’est pas aboli pour autant. Il se produit chaque fois qu’une chose, en tant que cause, abolit, par une opposition réelle l’effet d’une autre. La force qui produit le mouvement d’un corps dans une direction et la tendance égale qui l’entraîne dans le sens opposé ne sont pas en contradiction. Elles sont réellement possibles en même temps dans un corps. Mais l’une abolit l’effet réel de l’autre. Sans cela, l’effet de chacune en particulier serait un mouvement réel. Dans le cas présent, l’effet des deux forces s’opposant dans un sujet est égal à zéro, – autrement dit l’effet de ces deux forces contraires est le repos. Or, le repos est assurément possible. D’où l’on voit aussi que le conflit réel est tout autre chose que le conflit logique ou la contradiction[21]. Car ce qui suit de cette dernière est radicalement impossible. Or, dans l’Être réel par excellence, il ne peut pas y avoir contrariétéréelleouconflitpositifentresespropresdéterminations ;la conséquence en serait, en effet, une privation ou un manque, ce qui contredirait sa suprême réalité. Mais un tel conflit devrait en résulter si toutes les réalités résidaient en lui à titre de déterminations. Elles ne peuvent donc pas être en lui toutes ensembles comme prédicats. Or, puisqu’elles sont cependant données par lui, elles appartiennent, par voie de conséquence , les unes à ses déterminations, les autres à ses suites[22]. On pourrait aussi, à première vue, être porté à croire qu’étant donné qu’il contient en lui le dernier fondement réel de toute possibilité, l’Être nécessaire contient aussi le fondement des manques[23] et des négations que présentent les essences des choses. Et cela admis, on serait amené à conclure aussi qu’il doit contenir, parmi ses prédicats, des négations et non pas exclusivement des réalités. Mais, en concluant ainsi, ne perdons-nous pas de vue l’idée de l’Être nécessaire établie une fois pour toutes ? Dans son existence, sa propre possibilité est originairement donnée. Or, puisqu’il y a d’autres possibilités dont il contient le fondement réel, il suit, selon le principe de contradiction, que ces possibilités-ci ne peuvent constituer la possibilité du plus réel de tous les êtres. Par conséquent, de telles possibilités contiennent de négations et des imperfections[24].                
En conclusion, la possibilité de toutes les autres choses, eu égard à ce qu’il y a en elles de réel, repose sur l’Être nécessaire comme un fondement réel. Ce qu’il y a en elles de négatif, ce qui fonde leur altérité eu égard à l’Être premier lui-même, repose sur lui comme sur un fondement logique. La possibilité des corps en ce qu’ils possèdent l’étendue, l’impénétrabilité, etc., est fondée sur le premier de tous les êtres ; mais, en tant que la force de penser leur fait défaut, cette négation réside en eux-mêmes, en vertu du principe de contradiction[25].  
En fait, les négations en elles-mêmes ne sont pas quelque chose et ne sont pas pensables. C’est ce dont on peut se rendre compte de la façon suivante : si l’on ne pose que des négations, alors rien n’est donné, rien ne peut être pensé. Les négations ne sont concevables que par des affirmations contraires ou, et peut-être mieux, par des affirmations incomplètes. Que ce soit en cela que consistent les négations, cela ressort déjà du principe d’identité lui-même. Aussi est-il évident que toutes les négations inhérentes aux possibilités des autres choses ne supposent aucun fondement réel, puisqu’elles n’ont rien de positif ; elles présupposent seulement un fondement logique.  
[Fondement de l’existence de Dieu, II, 86, 87]
 
SPINOZA
 
L’ÉTHIQUE
démontrée selon
LA MÉTHODE GÉOMÉTRIQUE
 
ORIGINE ET NATURE DES SENTIMENTS
 
Proposition VI
 
Chaque chose suivant sa puissance d’être (quantum in se est[26]), s’efforce de persévérer dans son être.
 
DÉMONSTRATION
Les choses singulières, en effet, sont des modes par lesquels s’expriment les attributs de Dieu d’une façon définie (certo) et déterminée (selon le corollaire de la proposition 23, partie I[27]) ; c’est-à-dire (selon la proposition 34 , partie I [28]) des choses qui expriment d’une façon définie et déterminée la puissance de Dieu, par laquelle Dieu est et agit ; et nulle chose n’a rien en soi qui la puisse détruire, autrement dit qui supprime son existence (selon la proposition 4[29]). Au contraire, elle s’oppose à tout ce qui peut supprimer son existence (selon la proposition précédente[30]; par conséquent, autant qu’elle peut et selon son être propre (quantum potest, et in se est), elle s’efforce de persévérer dans son être (in suo esse). 
C.Q.F.D.
Proposition VII
 
L’effort (conatus) par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose.
 
DÉMONSTRATION
De l’essence donnée (essentia data[31]) d’une chose quelconque, suivent nécessairement certaines (quaedam) conséquences (selon la proposition 36 , partie I[32] ) ; et les choses ne peuvent rien d’autre que ce qui suit nécessairement de leur nature déterminée (selon la proposition 29, partie I[33]) ; c’est pourquoi la puissance d’une chose (rei) quelconque, autrement dit l’effort par lequel, soit seule, soit avec d’autres, elle fait ou s’efforce de faire quelque chose, c’est-à-dire (selon la proposition 6 ci-dessus) la puissance ou (sive) l’effort par lequel elle s’efforce de persévérer dans son être, n’est rien en dehors de l’essence donnée ou (sive) actuelle de cette chose.
 C.Q.F.D.
Proposition VIII
 
L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’enveloppe aucun temps fini, mais un temps indéfini.
 
DÉMONSTRATION
Si, en effet, il enveloppait un temps limité déterminant la durée de la chose, alors de la seule puissance par laquelle la chose existe il suivrait que la chose, après ce temps limité, ne pourrait exister et devrait être détruite ; or cela (selon la proposition 4 [34])estabsurde :doncl’effort par lequel une chose existe n’enveloppe aucun temps défini ; au contraire, puisque (selon la même proposition 4) si elle n’est détruite par aucune cause extérieure, elle continuera toujours d’exister par la même puissance qui la fait exister déjà ; cet effort donc enveloppe un temps indéfini.   
C.Q.F.D.
Proposition IX
 
L’esprit, en tant qu’il a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’il en a de confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une certaine durée indéfinie, et il est conscient de son effort.
 
DÉMONSTRATION
L’essencedel’espritestconstituéepardesidées adéquates et des idées inadéquates (comme nous l’avons montré dans la proposition 3 [35]) ; par conséquent (selon la proposition 7 ci-dessus) qu’il ait les unes ou les autres, il s’efforce de persévérer dans son être ; et cela (selon la proposition 8 ci-avant) pour une certaine durée indéfinie. – Comme d’ailleurs l’esprit (selon la proposition23 partie II[36]) est nécessairement conscient de soi par les idées des affections du corps, l’esprit (selon la proposition 7ci-dessus) est donc conscient de son effort.
C.Q.F.D.
SCOLIE
Cet effort, quand il se rapporte à l’esprit seul, est appelé Volonté[37] ; mais quand il se rapporte à la fois à l’esprit et au corps, on l’appelle Appétit (Appetitus[38]). L’appétit n’est don rien d’autre que l’essence même de l’homme, et de la nature de cette essence suivent nécessairement les choses qui servent à sa conservation ; et par conséquent l’homme est déterminé à les faire.
D’ailleurs entre l’Appétit et le Désir, il n’y a aucune différence, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu’ils sont conscients de leur appétit et c’est pourquoi il peut être ainsi défini : le Désir est l’appétit accompagné de (cum) la conscience de lui-même.  
Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit (appetere) ou désir, parce que nous jugeons qu’elle est bonne ; c’est l’inverse : nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir.
 
LETTRE XXXV . AU TRES SAGE HUDDE[39]
 
 Monsieur,
Ce qui, dans votre lettre reçue le 10 février, était encore obscur pour moi, s’est parfaitement éclairci dans votre lettre du 30 mars. Mais puisque je connais maintenant votre pensée, je vais poser le problème comme vous le posez vous-même : n’y a-t-il qu’un seul Être qui subsiste par sa propre suffisance, ou par son propre pouvoir ? Non seulement je l’affirme, mais je crois même le démontrer à partir du fait que sa nature implique l’existence nécessaire ; on pourrait partir aussi très facilement de l’entendement divin (comme je le fais dans ma proposition II de mes Principes de Descartes démontrés géométriquement) ou des autres attributs de Dieu. Pour commencer montrons d’abord quelles propriétés doit avoir un être qui implique l’existence nécessaire ; il faut dire évidemment que :
1° Cet être est éternel ; si on lui attribuait, en effet, une durée déterminée, en dehors de cette durée, il faudrait concevoir cet être ou bien comme n’existant pas, ou bien comme n’impliquant pas l’existence nécessaire, ce qui contredit à sa définition.
2° Cet être est simple, et non pas composé de parties. Il faudrait, en effet, que les parties composantes fussent, du point de vue de l’être et du point de vue de la connaissance, antérieures au composé : ce qui ne peut pas avoir lieu pour un être qui, de sa nature, est éternel.
3° Cet être ne peut être conçu comme déterminé, mais seulement comme infini. Si, en effet, la nature de cet être était déterminée, et si on la concevait aussi comme telle, il faudrait, en dehors de ces déterminations limitantes (terminos), concevoir cet être comme n’existant pas : ce qui contredit également à sa définition.
4° Cet être est indivisible. S’il était divisible, en effet, il pourrait être divisé en parties de même nature que lui ou de nature différente : dans ce dernier cas, il pourrait être détruit et par suite, ne pas exister, ce qui est contraire à sa définition. Dans le premier cas, une partie quelconque impliquerait par soi l’existence nécessaire, et pourrait donc par suite exister sans les autres, être conçue par soi seule, et comprise en ce cas comme finie ; mais d’après ce qui précède, cela est contraire à la définition. On voit par là que si on veut attribuer à un tel Être une quelconque imperfection, on tombe dans la contradiction. Cette imperfection, en effet, qu’on voudrait lui attribuer consisterait ou bien en quelque défaut ou limitation de sa nature, ou bien en quelque changement que celle-ci subirait de la part de causes extérieures, grâce au défaut de ses forces. Nous en revenons toujours à dire que cet être, qui implique l’existence nécessaire, ou n’existe pas, ou n’existe pas nécessairement. Je conclus donc :      
5° Tout ce qui inclut l’existence nécessaire ne peut avoir en soi aucune imperfection, mais doit exprimer la perfection pure.
6° Mais puisque c’est de la seule perfection qu’il peut résulter qu’un être existe par sa propre suffisance et son propre pouvoir, si nous supposons qu’un être existe qui ne possède pas toutes les perfections, nous devons de même supposer que cet être aussi existe qui comprend en soi toutes les perfections. Si, en effet, un être doué d’une certaine puissance peut exister par sa propre suffisance, ce sera d’autant plus vrai pour un être doué d’une puissance supérieure.
Mais, pour en venir enfin à notre sujet, j’affirme que l’existence ne peut appartenir qu’à la nature d’un être qui est unique, le seul être qui possède en soi toutes les perfections et que j’appelle Dieu. Si l’on pose, en effet, un être dont la nature implique l’existence, cet être ne peut en soi contenir aucune imperfection, mais doit au contraire exprimer toute la perfection (par la note 5). Aussi une telle nature doitappartenir à Dieu, – dont par la note 6, nous devons poser qu’il existe aussi, – Dieu qui possède en soi toutes les perfections, mais aucune imperfection. Et cette nature ne peut exister en dehors de Dieu : car, si elle existait hors de Dieu alors une même et unique nature, qui implique l’existence nécessaire, existerait deux fois ; ce qui, d’après la démonstration précédente, est absurde.
Dieu seul, par conséquent, implique l’existence nécessaire , et rien d’autre que lui. Ce qu’il fallait démontrer.
 
Voilà, Monsieur, ce que, pour le moment, je puis présenter comme démonstration. Je souhaite qu’il me soit possible de vous montrer que je suis…, etc. 
 
Voorburg (banlieue de La Haye), le 10 avril 1666.
 
DESCARTES
 
DISCOURS DE LA MÉTHODE (QUATRIÈME PARTIE)
 
Preuves de l’existence de Dieu et de l’âme humaine ou fondements de la métaphysique
 
…J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; mais pour ce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et, parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi servir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité ; Je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pourrais le recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n’étais point ; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de tout ce que j’avais imaginé eût été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été ; je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est.      
Après cela, je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine ; car puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies, mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement.
En suite de quoi, faisant réflexion sur ce que je doutais, et que, par conséquent, mon être n’était pas tout parfait, car je voyais clairement que c’était une plus grande perfection de connaître que de douter, je m’avisai de chercher d’où j’avais appris à penser à quelque chose de plus parfait que je n’étais ; et je connus évidemment que se devait être de quelque nature qui fût en effet plus parfaite. Pour ce qui est des pensées que j’avais de plusieurs autres choses hors de moi, comme du ciel, de la terre, de la lumière, de la chaleur et de mille autres, je n’étais point tant en peine de savoir d’où elles venaient, à cause que, ne remarquant rien en elles qui me semblât les rendre supérieures à moi, je pouvais croire que, si elles étaient vraies, c’étaient des dépendances de ma nature, en tant qu’elle avait quelque perfection ; et si elles ne l’étaient pas, que je les tenais du néant, c’est-à-dire qu’elles étaient en moi pour ce que j’avais du défaut. Mais ce ne pouvait être le même de l’idée d’un être plus parfait que le mien ; car, de la tenir du néant, c’était chose manifestement impossible ; et pour ce qu’il n’y a pas moins de répugnance que le plus parfait soit une suite et une dépendance du moins parfait, qu’il y en a que de rien procède quelque chose, je ne la pouvais tenir non plus de moi-même. De façon qu’il restait qu’elle eût été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus parfaite que je n’étais, et même qui eût en soi toutes les perfections dont je pouvais avoir quelque idée, c’est-à-dire, pour m’expliquer en un mot, qui fût Dieu. A quoi j’ajoutai que, puisque je connaissais quelques perfections que je n’avais point, je n’étais pas le seul être qui existât (j’userai, s’il vous plaît, ici librement les mots de l’Ecole) ; mais qu’il fallait de nécessité qu’il y en eût quelque autre plus parfait, duquel je dépendisse, et duquel j’eusse acquis tout ce que j’avais. Car si j’eusse été seul et indépendant de tout autre, en sorte que j’eusse eu de moi-même tout ce peu que je participais de l’Être parfait, j’eusse pu avoir de moi, par même raison tout le surplus que je connaissais me manquer, et ainsi être moi-même infini, éternel, immuable, tout connaissant, tout puissant, et enfin avoir toutes les perfections que je pouvais remarquer être en Dieu. Car suivant les raisonnements que je viens de faire, pour connaître la nature de Dieu autant que la mienne en était capable, je n’avais qu’à considérer, de toutes les choses dont je trouvais en moi quelque idée, si c’était perfection ou non de les posséder ; et j’étais assuré qu’aucune de celles qui marquaient quelque imperfection n’était en lui, mais que toutes les autres y étaient. Comme je voyais que le doute, l’inconstance, la tristesse et choses semblables n’y pouvaient être , vu que j’eusse été moi-même bien aise d’en être exempt. Puis, outre cela, j’avais des idées de plusieurs choses sensibles et corporelles ; car, quoique je supposasse que je rêvais, et tout ce que je voyais ou imaginais était faux, je ne pouvais nier toutefois que les idées n’en fussent véritablement en ma pensée ; mais, tout ce que j’avais connu en moi très clairement que la nature intelligente est distincte de la corporelle, considérant que toute composition témoigne de la dépendance et que la dépendance est manifestement un défaut, je jugeais de là que ce ne pouvait être une perfection en Dieu d’être composé de ces deux natures, et que, par conséquent, il ne l’était pas ; mais que s’il y avait quelques corps dans le monde, ou bien quelques intelligences ou autres natures qui ne fussent point toutes parfaites, leur être devait dépendre de sa puissance, en telle sorte qu’elles ne pouvaient subsister sans lui un seul moment.             
Je voudrais chercher, après cela d’autres vérités, et m’étant proposé l’objet des géomètres, que je concevais comme un corps continu, ou un espace indéfiniment étendu en longueur, largeur, et hauteur ou profondeur, divisible en diverses parties qui pourraient avoir diverses figures et grandeurs, et être mues ou transposées en toutes sortes, car les géomètres supposent tout cela en leur objet, je parcourus quelques unes de leurs plus simples démonstrations. Et, ayant pris garde que cette grande certitude que tout le monde leur attribue n’est fondée que sur ce qu’on les conçoit évidemment, suivant la règle que j’ai tantôt dite, je pris garde aussi qu’il n’y avait rien du tout en elle qui m’assurât de l’existence de leur objet. Car, par exemple, je voyais bien que, supposant un triangle, il fallait que ses trois angles fussent égaux à deux droits ; mais je ne voyais rien pour cela qui m’assurât qu’il y eût au monde aucun triangle. Au lieu que, revenant à examiner l’idée que j’avais d’un Être parfait, je trouvais que l’existence y était comprise de même façon qu’elle est comprise en celle d’un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle d’une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou même encore plus évidemment ; et que, par conséquent il est pour le moins aussi certain que Dieu, qui est un Être parfait, est ou existe, qu’aucune démonstration de géométrie le saurait être.
Mais ce qui fait qu’il y en a plusieurs qui se persuadent qu’il y a de la difficulté à le connaître, et même aussi à connaître ce que c’est que leur âme, c’est qu’ils n’élèvent jamais leur esprit au-delà des choses sensibles, et qu’ils sont tellement accoutumés à ne rien considérer qu’en l’imaginant, qui est une façon de penser particulière pour les chose matérielles, que tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelligible. Ce qui est assez manifeste de ce que même les philosophes tiennent pour maxime, dans les écoles, qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’est été premièrement dans le sens, où toutefois il est certain que les idées de Dieu et de l’âme n’ont jamais été. Et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre font tout de même que, pour ouir les sons ou sentir les odeurs, ils se voulaient servir de leurs yeux, sinon qu’il y a encore cette différence, que le sens de la vue ne nous assure pas moins de la vérité de ses objets que font ceux de l’odorat ou de l’ouïe ; au lieu que ni notre imagination, ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d’aucune chose, si notre entendement n’y intervient.
Enfin, s’il y a encore des hommes qui ne soient pas assez persuadés de l’existence de Dieu et de leur âme par les raisons que j’ai apportées, je veux bien qu’ils sachent que toutes les autres choses, dont ils se pensent peut-être plus assurés comme d’avoir un corps, et qu’il y a des astres et une terre, et choses semblables, sont moins certaines. Car, encore qu’on ait une assurance morale de ces choses, qui est telle qu’il semble qu’à moins que d’être extravagant on n’en peut douter, toutefois aussi, à moins que d’être déraisonnable, lorsqu’il est question d’une certitude métaphysique, on ne peut nier que ce ne soit assez de sujet, pour n’en être pas entièrement assuré, que d’avoir pris garde qu’on peut en même façon s’imaginer, étant endormi, qu’on a un autre corps, et qu’on voit d’autres astres et une autre terre, sans qu’il en soit rien. Car d’où sait-on que les pensées qui viennent en songe sont plutôt fausses que les autres, vu qu’elles ne sont pas moins vives et expresses ? Et que les meilleurs esprits y étudient tant qu’il leur plaira, je ne crois pas qu’ils puissent donner aucune raison qui soit suffisante pour ôter ce doute, s’ils ne présupposent l’existence de Dieu. Car, premièrement, cela même que j’ai tantôt pris pour une règle, à savoir, que les choses que nous concevons très clairement et très distinctement sont toutes vraies, n’est assuré qu’à cause que Dieu est ou existe, et qu’il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui. D’où il suit que nos idées et nos notions, étant des choses réelles, et qui viennent de Dieu en tout ce en quoi elles sont claires et distinctes, ne peuvent en cela être que vraies. En sorte que, si nous en avons assez souvent qui contiennent de la fausseté, ce ne peut être que de celles qui ont quelque chose de confus et d’obscur, en cause que cela elles participent du néant, c’est-à-dire qu ‘elles ne sont en nous ainsi confuses qu’à cause que nous ne sommes pas tout parfaits. Et il est évident qu’il n’y a pas moins de répugnance que la fausseté ou l’imperfection procèdent de Dieu en tant que telle, qu’il y en a que la vérité ou la perfection procède du néant. Mais si nous ne savions point que tout ce qui est en nous de réel et de vrai vient d’un être parfait et infini, pour claires et distinctes que fussent nos idées, nous n’aurions aucune raison qui nous assurât qu’elles eussent la perfection d’être vraies.                     
[Discours de la Méthode ,Quatrième partie,p.148-153]
 
PRNCIPES II § 37
 
La première loi de la nature : que chaque chose demeure en l’état qu’elle est, pendant que rien ne le change.
 
De cela aussi que Dieu n’est point sujet à changer, et qu’il agit toujours de même sorte, nous pouvons parvenir à la connaissance de certaines règles, que je nomme les lois de la nature, et qui sont les causes secondes des divers mouvements que nous remarquons en tous les corps ; ce qui les rend fort considérables. La première est que chaque chose en particulier continue d’être en même état autant qu’il se peut, et que jamais elle ne le change que par la rencontre des autres. Ainsi nous voyons tous les jours, lorsque quelque partie de cette matière est carrée, qu’elle demeure toujours carrée, s’il n’arrive rien qui change sa figure ; et que si elle est en repos, elle ne commence point à se mouvoir de soi-même. Mais lorsqu’elle a commencé une fois de se mouvoir, nous n’avons aussi aucune raison de penser qu’elle doive jamais cesser de se mouvoir de même force, pendant qu’elle ne rencontre rien qui retarde ou qui arrête son mouvement. De façon que, si un corps a commencé une fois de se mouvoir, nous devons conclure qu’il continue par après de se mouvoir, et que jamais il ne s’arrête de soi-même. Mais, parce que nous habitons une terre dont la constitution est telle que tous les mouvements qui se font auprès de nous cessent en peu de temps, et souvent pour des causes qui sont cachées à nos sens, nous avons jugé, dès le commencement de notre vie, que les mouvements qui cessent ainsi par des raisons qui nous sont inconnues, s’arrêtent d’eux-mêmes, et nous avons encore à présent beaucoup d’inclination à croire le semblable de tous les autres qui sont au monde, à savoir, que naturellement ils cessent d’eux-mêmes, et qu’ils tendent au repos, parce qu’il nous semble que nous en avons fait l’expérience en plusieurs rencontres. Et toutefois, ce n’est qu’un faux préjugé, qui répugne manifestement aux lois de la nature ; car le repos est contraire au mouvement, et rien ne se porte par l’instinct de sa nature à son contraire, ou à la destruction de soi-même.     
[Principes II,§ 37, p. 633]
ARISTOTE
 
MÉTAPHYSIQUE[40] LIVRE Δ CHAP.VI ET VII
 
…On peut se demander aussi : Quel est le premier de tous les mouvements ? C’est là un point d’une importance incalculable.[1072 a] Et pourtant, Platon lui-même ne peut dire que ce soit le principe qui, comme il l’affirme quelquefois, se donne le mouvement à lui-même. Car, à l’entendre l’âme est postérieure au Ciel, ou contemporaine du Ciel[41].
Mais supposer que la puissance est antérieure à l’acte, c’est une opinion qui est juste à certains égards, et qui, à certains égards, ne l’est pas. Nous en avons expliqué la raison. Que l’acte soit antérieur à la puissance, c’est ce que croit Anaxagore, puisque l’Intelligence telle qu’il la conçoit, est en acte. C’est ce que croit aussi Empédocle, avec sa doctrine de l’Amour et de la Discorde ; c’est ce que pensent, enfin, ceux qui, comme Leucippe affirment l’éternité du mouvement. Par conséquent le Chaos ou la Nuit, n’ont pas subsisté durant un temps infini. Or, les choses sont éternellement les mêmes qu’elles sont, soit qu’elles aient des périodes régulières, soit qu’elles aient toute autre organisation, du moment qu’on admet que sa périodicité, reste toujours la même, il faut qu’il y ait quelque chose de permanent et d’éternel, qui agisse toujours de la même manière. Enfin, pour qu’il y ait production et destruction des choses, il faut qu’il existe un autre principe qui puisse agir éternellement, soit dans un sens, soit dans l’autre.
Donc, il y a nécessité que ce principe agisse soi directement, et qu’il agisse aussi un autre que lui. Il faut, par conséquent, qu’il agisse ou principe , ou le primitif. Or, nécessairement, c’est ce dernier ; car, à son tour, le primitif est à la fois cause pour lui-même et pour l’autre. Le primitif est donc supérieur ; car c’est lui, comme nous l’avons vu, qui est cause de l’uniformité éternelle des choses, tandis que l’autre principe est cause de leur diversité. Mais, évidemment, ce sont les deux ensemble qui sont causes de leur diversité éternelle.
Voilà ce que sont les mouvements ; et à quoi bon, dès lors, chercher d’autres principes ?
 
Chapitre VII           
 
Comme il peut en être ainsi qu’on vient de le dire, et comme s’il n’en était pas ainsi, tout viendrait de la Nuit, ou de la confusion primitive de toutes choses, ou même [du Néant] du Non-Être, nous pouvons affirmer que ces difficultés sont résolues pour nous. Oui il existe quelque chose qui est éternellement mû, d’un mouvement qui ne s’arrête jamais ; et ce mouvement est circulaire. Cette vérité n’est pas évidente seulement pour la raison ; elle est, en outre, évidemment prouvée par les faits eux-mêmes. Donc, le premier ciel éternel ; donc, il existe aussi quelque chose, qui lui donne le mouvement. Mais, comme est mû et meut à son tour , il faut concevoir quelque chose qui meut sans être mû, quelque chose d’éternel, qui est substance et qui est acte. Or, voici comment il meut : c’est comme le désirable et l’intelligible, qui meuvent sans être mus. De part et d’autre [pour l’intelligible et le désirable,] les principes sont les mêmes[42]. L’objet désiré est ce qui nous paraît être bien ; et le primitif de la volonté c’est le bien même. Nous le souhaitons, parce qu’il nous paraît souhaitable, bien plutôt qu’il ne nous paraît souhaitable parce que nous le souhaitons : car, en ceci, c’est l’intelligence qui est le principe. Or, l’intelligence n’est mue que par l’intelligible. L’intelligible est l’autre série, qui existe par elle-même ; c’est en elle qu’est la substance première, et c’est en celle-ci qu’existent la substance absolue et la substance en acte. Mais l’Un et l’Absolu ne se confondent pas ; l’Un exprime la mesure ; l’Absolu exprime la manière d’être de la chose. Toutefois, le bien et le préférable en soi, sont dans la même série ; et c’est le primitif qui est toujours, ou le meilleur [1072 b] ou ce qui est analogue au meilleur.
Pour se convaincre que le pourquoi des choses est dans les immobiles, il suffit de faire la division suivante : Le pourquoi s’applique Le pourquoi détermine le mouvement, en tant qu’il est aimé ; et, une fois mû, il meut toute le reste.
Si donc une chose est mue, c’est qu’elle peut aussi être autrement qu’elle n’est. Par conséquent, si la translation est le premier des mouvements, et si elle est un acte en tant qu’elle est mue, il faut qu’elle puisse être autrement qu’elle n’est, au moins relativement au lieu, si ce n’est dans sa substance. Mais, du moment qu’il existe une chose qui donne le mouvement, en étant elle-même immobile et en étant actuelle, cette chose-là ne peut absolument point être autrement qu’elle n’est ; car la translation est le premier des changements ; la première des translations est la translation circulaire ; et c’est elle que produit le .                      
Donc, de toute nécessité, ce principe existe ; en tant que nécessaire, il est parfait tel qu’il existe ; et c’est à ce titre qu’il est le principe. D’ailleurs le nécessaire peut s’entendre avec diverses nuances ; nécessité de violence qui contraint notre penchant ; nécessité de ce qui est indispensable à la réalisation du bien ; enfin, nécessité de ce qui ne peut pas être autrement qu’il n’est, et est absolu. C’est à ce principe, sachons-le, qu’est suspendu le monde, et qu’est suspendue la nature. Cette vie, dans toute la perfection qu’elle comporte, ne dure qu’un instant pour nous. Mais lui, il en jouit éternellement, ce qui pour nous est impossible ; sa félicité suprême, c’est l’acte de cette vie supérieure. Et voilà comment aussi pour l’homme, veiller, sentir, penser, c’est le comble du bonheur, avec les espérances et les souvenirs qui se rattache à tous ces actes. L’intelligence soi s’adresse à ce qui est soi le meilleur ; et l’intelligence la plus parfaite s’adresse à ce qu’il y a de plus parfait. Or, l’intelligence[43] arrive à se penser elle-même en se saisissant intimement de l’intelligible ; elle devient intelligible en se touchant elle-même, et en se pensant, de telle sorte que l’intelligence et l’intelligible se confondent. En effet, ce qui peut à la fois l’intelligible et la substance, c’est l’intelligence ; et elle est en acte, quand elle les possède en elle-même. Par conséquent, ce que l’intelligence semble avoir de divin appartient plus particulièrement  ; et la contemplation est ce qu’il y a, dans l’intelligence, de plus délicieux et de plus relevé.      
Et donc Dieu[44] jouit éternellement de ce suprême bonheur, que nous, nous ne goûtons qu’un moment, c’est une chose déjà bien admirable : mais s’il y a plus que cela, c’est encore bien plus merveilleux ? Or, il en est bien ainsi ; et la vie appartient certainement Dieu, puisque l’acte de l’intelligence, c’est la vie même, et que l’intelligence n’est pas autre chose que l’acte[45]. Ainsi l’acte soi est la vie du Dieu ; c’est la vie la plus haute qu’on puisse lui attribuer ; c’est sa vie éternelle ; et voilà comment nous pouvons affirmer que Dieu est le éternel et parfait. Donc, la vie, avec une durée éternelle et continue, est son apanage ; car Dieu est précisément ce que nous venons de dire.
On méconnaît la vérité, quand on suppose, comme le font les Pythagoriciens et Speussipe, que le beau et le parfait ne sont pas dans le principe des choses, par cette raison que, si, dans les plantes et les animaux, leur principe sont aussi des causes, le beau et le parfait ne se trouvent, cependant, que dans les êtres qui proviennent de ces principes[46]. C’est là une erreur, puisque le germe provient lui-même d’êtres parfaits qui lui sont antérieurs ; [1073 a] car le primitif, ce n’est pas le germe ; c’est l’être complet [qui l’a produit]. Sans doute, on peut bien dire que l’homme est antérieur au germe, mais l’homme antérieur n’est pas l’homme qui est venu du germe, c’est, au contraire, cet autre homme d’où le germe est venu.
Ce qui précède suffit pour démontrer l’existence d’une substance éternelle, immobile, séparée de tous les autres êtres que nos sens peuvent percevoir. Il a été démontré aussi qu’une substance de cet ordre ne peut pas avoir une grandeur quelconque, mais qu’elle est sans parties et sans divisions possibles. Car elle produit le mouvement pendant le temps infini ; or, aucun être fini ne peut avoir une puissance infinie ; et comme toute grandeur est, ou infinie ou finie, ce principe ne peut être, ni une grandeur finie, d’après ce qu’on vient de dire, ni une grandeur infinie, parce que nulle grandeur ne peut être infinie, quelle qu’elle soit. Enfin ce principe doit également être, et impassible et inaltérable, puisque tous les autres mouvements ne viennent qu’après le mouvement de locomotion. Ces considérations doivent faire voir clairement que les choses sont bien ainsi que nous venons de les exposer.         
[Métaphysique, Livre Δ, chap. VI et VII, 1072 a à 1073 a]
 
MÉTAPHYSIQUE LIVRE Z (CHAPITRE PREMIER)
 
[1028 a] Ce mot d’Être peut recevoir plusieurs acceptions, comme l’a montré l’analyse que nous en avons faite antérieurement, en traitant des sens divers de ce mot [Livre Δ, chap. VII]. Être peut signifier, d’une part, la substance de la chose et son existence individuelle ; d’autre part, il signifie qu’elle a telle qualité, telle quantité, ou tel autre des attributs de cette sorte. Du moment que l’Être peut s ‘énoncer sous tant de formes, il est clair que l’Être premier entre tous est celui qui exprime ce qu’est la chose, c’est-à-dire son existence substantielle[47]. Ainsi, quand nous voulons désigner la qualité d’une chose, nous disons qu’elle est bonne ou mauvaise ; et alors nous ne disons pas plus que sa longueur est de trois coudées que nous ne disons qu’elle est un homme. Tout au contraire, si nous voulons exprimer ce qu’est la chose elle-même, nous ne disons plus qu’elle est blanche, ou chaude, ou de trois coudées : nous disons simplement que c’est un homme ou un Dieu. Toutes les autres espèces de choses ne sont appelées des êtres que parce que les unes sont des quantités de l’Être ainsi conçu ; les autres des qualités ; celles-ci des affects ; celles-là, telle autre modification analogue. Aussi, l’on peut se demander si chacune de ces façons d’être, qu’on désigne par ces mots Marcher, Se bien porter, S’asseoir, l’Être ou  ; et la même question se présente pour toutes les autres classes qu’on vient d’énumérer. Aucune de ces n’existe naturellement , et ne peut être séparée de la substance [individuelle] ; et ceci doit paraître d’autant plus rationnel que ce qui marche, ce qui se porte bien, ce qui est assis . Et ce qui fait surtout que ce sont là des êtres, c’est qu’il y a sous tout cela un être déterminé, qui leur sert de sujet. Ce sujet, c’est précisément la substance et l’individu, qui se montre clairement dans la catégorie qui y est attribuée. Sans cette première condition, on ne pourrait pas dire que l’être est bon, ou qu’il est assis.
Ainsi donc, il est bien clair que c’est uniquement grâce à cette catégorie de la substance, que chacun des autres attributs peut exister. Et par conséquent l’Être premier, qui n’est pas de telle ou de telle manière particulière, mais qui est simplement l’Être, c’est la substance. Le mot de Premier peut, il est vrai, être pris lui-même en plusieurs sens ; mais la substance n’en est pas moins le premier sens de l’Être, qu’on le considère d’ailleurs sous quelque rapport que ce soit, la définition, la connaissance, le temps, [et la nature]. Pas un seul des autres attributs de l’Être ne peut exister séparément ; il n’y a que la substance toute seule qui le puisse. D’abord, c’est bien cela qu’est le primitif sous le rapport de la définition ; car de toute nécessité, dans la définition d’une chose quelconque, la définition même de la substance est toujours implicitement comprise. Ajoutez que, quel que soit l’être dont il s’agit, nous ne croyons le connaître que quand nous savons, par exemple, que c’est un homme, ou que c’est du feu. Et alors, nous le connaissons bien plus que quand nous savons seulement qu’il a telle qualité, [1028 b] ou telle quantité, ou qu’il est dans tel lieu. Pour ces notions mêmes, nous les comprenons d’autant mieux que nous savons quel est l’être qui a telle quantité ou telle qualité.
On le voit donc : cette question agitée depuis si longtemps, agitée encore aujourd’hui, cette question toujours posée, et toujours douteuse de la nature de l’Être, revient à savoir ce qu’est la substance. Les uns prétendent que l’Être, c’est l’unité ; pour les autres, c’est la pluralité ; pour ceux-ci, les êtres sont limités ; pour ceux-là, ils sont infinis. Mais quant à nous, notre recherche principale, notre recherche première, et nous pourrions presque dire, notre unique recherche, c’est de savoir ce qu’est l’Être considéré sous le point de vue que nous avons indiqué.                        
[Métaphysique, Livre Z, chap.I, 1028 a et 1028 b]
 
PLATON
 
PARMÉNIDE
 
[Unité totale de l’Être d’une part, non-pluralité de l’autre] 
[128 a] Socrate : ainsi, Parménide, Zénon ici présent ne se contente pas de toute l’amitié par où il est associé à ta personne ; il veut l’être aussi à ton œuvre. C’est la même thèse dans son écrit, d’un certain biais que dans le tien ; mais il la tourne autrement et tente de nous le faire passer pour une thèse différente. Toi en effet, dans ton poème[48], tu affirmes l’unité de l’être total (b) et, ce cette thèse, tu produis des preuves aussi belles que bonnes ; lui, en retour, affirme que la pluralité n’est point ; et des preuves, il en fournit aussi d’innombrables, et impressionnantes ! Voilà donc l’un de vous qui affirme l’unité, l’autre qui nie la pluralité, et ainsi chacun de son côté parle, en ayant l’air de ne rien dire de pareil, tout en disant, peut s’en faut, la même chose ; c’est par-dessus notre tête , à nous autres, que paraissent se répondre vos discours ! (…)
Socrate [s’adressant à Zénon] – Mais voici ce que tu vas me dire : n’es-tu pas d’avis qu’il est une Idée absolue et en soi de la similitude, [129 a] et qu’à une telle Idée s’en oppose une autre qui lui est contraire, l’essence du Dissemblable ? Ces Idées, toutes deux ayant l’être, et moi et toi, et les autres objets que nous appelons multiples, y avons participation ; et ceux qui participent de la Similitude deviennent par là semblables et cela dans l’exacte mesure où ils participent, ceux qui participent de la Dissemblance dissemblables, ceux qui participent des deux, les deux à la fois. Or, s’il se trouve que toutes choses à ces deux Idées qui sont contraires ont participation, et que, par cette double participation, elles sont à la fois semblables et dissemblables à elles-mêmes, quoi d’étonnant ? (b) Si c’était en effet les Semblables en soi qu’on vînt nous déclarer devenir dissemblables, ou les Dissemblables semblables, il y aurait là, à mon avis, un prodige ; mais, si c’est les objets participant à ces deux Idées qu’on nous déclare affectés des deux manières, il n’est rien là pour moi, Zénon, qui puisse paraître étrange ; pas plus que si l’on nous déclare que toutes choses sont un, du fait qu’elles participent à l’Un, et en même temps plusieurs pour ce qu’elles participent de la Pluralité. Mais si l’essence de l’Un, celle-là même on nous la démontre multiple, et que, inversement, le multiple, on nous le démontre un, voilà où je commencerai à m’étonner. (c) Et pour tous les autres attributs il en est de même.(…)
[La participation et ses difficultés]
Parménide [s’adressant à Socrate] – [130 e]… Tu es d’avis, dis-tu, qu’il est des idées d’une certaine modalité ; et c’est pour ce qu’elles y participent que les autres choses qui sont ici-bas en revêtent les appellations ; ainsi, c’est pour ce qu’elles participent à la Similitude [131 a] qu’elles deviennent semblables, à la Grandeur, grandes ; à la Beauté et à la Justice, justes et belles ? – Parfaitement, répondit Socrate. – C’est donc ou au tout de l’Idée, ou seulement à une partie, que chaque participant participe ? ou bien y aurait-il quelque autre mode de participation, – Et, comment serait-ce possible, dit-il ? – Quel est dans ces conditions ton avis ? Le tout de l’Idée, quand il réside en chacun des multiples, demeure-t-il un ? ou quoi ? – [Suit la présentation de difficultés qui empêchent de répondre positivement à ces questions].  
[131 e]…De quelle manière donc, Socrate, demanda-t-il, aux Idées, d’après toi, les autres choses participeront-elles, puisque ce n’est ni selon les parties ni selon le tout qu’elles peuvent y participer ? – Non, par Zeus ! répondit-il ; il ne me paraît pas aisé, sur une telle question de se prononcer de quelque façon que ce soit[49] !
[L’Idée, principe d’unité]
– Et maintenant ? Sur la question que voici, quelle est ton attitude ? – Quelle question ? – [132 a] J’imagine que c’est la considération suivante qui te conduit à admettre dans son unité chaque Idée. Quand, à ton jugement, une pluralité d’objets sont grands, sans doute est-il, à ton jugement , un aspect un et identique, pour qui les regarde tous ensemble ; d’où tu estimes qu’il est une unité, celle du grand.– Tu dis vrai ! répondit-il – Et maintenant le Grand en soi et les autres objets grands, quand de la même façon mon esprit les regarde tous ensemble, est-ce qu’il ne va pas se montrer une nouvelle unité du Grand ? à ceux-ci tous ensemble, n’est-elle pas nécessaire pour qu’ils se montrent grands ? – C’est vraisemblable. – C’est donc une nouvelle Idée de la grandeur qui va se découvrir : à côté de la Grandeur en soi elle est venue à l’existence, tout comme à côté des objets qui y participaient ; et, par-dessus les termes de cet ensemble, encore une nouvelle Idée, (b) par quoi ceux-ci tous ensemble seront grands ; et c’en est fait de l’unité respective que tu voulais aux Idées ; c’est à l’infini qu’elle va se multiplier[50] ! –      
[L’Idée représentative]  
Pardon ! fit Socrate ; à moins que, Parménide, de ces Idées chacune ne fût une pensée, et que nulle part il ne lui convînt de venir à l’existence que dans des esprits ; de la sorte en effet, chacune conserverait son unité et n’aurait plus à subir les difficultés de tout à l’heure. – Eh bien alors, demanda Parménide, c’est une unité que chacune de ces pensées ; mais n’est-elle la pensée de rien ? – Non ; impossible ! répondit Socrate. – Alors de quelque objet ? – Oui. – Qui est ou qui n’est pas ? (c) – Qui est ! – N’est-ce pas celle d’un objet unique, que cette pensée pense comme recouvrant une totalité, et qui est une représentation unique et définie ? – Oui. – Alors, ne sera-ce pas une Idée que cet objet pensé comme étant une unité, comme toujours identique sur une totalité ? – C’est nécessaire encore à ce qu’il paraît ! – Et la conséquence ? poursuivit Parménide : n’est-il pas nécessaire, quand tu déclares que les autres choses participent aux Idées, d’admettre cette alternative ? ou bien c’est de pensées que chaque chose est faite, et tout pense ; ou bien ce sont des pensées qui cependant ne pensent pas[51] ? –           
[L’Idée modèle : paradigme]
Eh bien, ce n’est pas non plus cela, reprit Socrate, l’issue logique ; mais voici, Parménide, (d) à ce qu’au fond il me semble, le mieux que l’on puisse admettre : ces Idées dont nous parlons sont à titre de modèles, des « paradigmes », dans l’éternité de la Nature[52] ; quant aux objets, ils leur ressemblent et en sont des reproductions : et cette participation que les autres objets ont aux Idées ne consiste enriend’autrequ’à être faits à leur image. – Si alors un objet, continua Parménide, ressemble à quelque Idée, se peut-il que cete Idée ne soit pas semblable à l’objet fait à son image, pour autant qu’il en est la reproduction ? Ou bien y a-t-il quelque moyenquelesemblablenesoitpassemblableàsonsemblable ?–Iln’y en a point. –
Mais le semblable et son semblable , n’est-il pas de toute nécessité qu’à un unité (e) et à la même ils participent ? – C’est une nécessité ! – Or, ce dont la commune participation fait que les semblables sont semblables, cela ne sera-t-il pas l’Idée en soi ? – Oui, tout à fait. – Il ne se peut donc faire qu’un objet soit semblable à quelque Idée, ni l’Idée à un autre objet. Autrement, à côté de l’Idée, il se découvrira toujours une autre Idée, [133 a] et, si cette dernière est semblable à quelque objet, encore une autre ; et jamais il ne cessera d’apparaître indéfiniment une nouvelle Idée, si l’Idée à l’objet qui participe d’elle se montre semblable. – C’est la vérité même, ce que tu dis ! – Ce n’est donc point par similitude que les autres objets participent aux Idées[53] ; mais c’est autre chose qu’il faut chercher pour expliquer la participation. – C’est vraisemblable ! Tu vois donc, dit-il, Socrate l’immense difficulté qu’il y a à admettre comme Idées, des réalités absolues et en soi, objets de la définition. – Si je la vois ! –   
 
[Platon va montrer successivement que l’un n’est pas multiple et n’a pas de limite (quantité), qu’il n’ a pas de figure, qu’il n’est nulle part (lieu) , qu’il n’est ni immobile , ni mû (mouvement)[54].]
 
L’Un, c’est l’Un.
Conséquences : il n’est
a/ ni tout, ni parties
[137 c] Parménide, s’adressant à Aristote[55] : Eh bien, soit ! Si c’est l’Un , n’est-il pas vrai qu’il ne saurait être plusieurs, l’Un ? – Comment le pourrait-il ? – Il ne faut donc, ni qu’il ait des parties, ni qu’il soit un Tout. – Pourquoi cela ? – La partie sans doute est partie d’un Tout. – Oui. – Et le Tout ? n’est-ce pas ce à quoi ne manque aucune partie, que l’on appelle un Tout ? – Parfaitement ! – Des deux façons donc, l’Un serait constitué de parties, aussi bien pour être un Tout que pour avoir des parties. – Nécessairement. – Des deux façons donc, l’Un serait, comme cela, plusieurs et non pas un (d) – C’est vrai ! Or, ce qu’il faut, ce n’est pas « plusieurs », c’est « un » qu’il faut qu’il soit. – C’est ce qu’il faut ! – Ni donc il ne sera un Tout , ni il n’aura de parties, si c’est un qu’est l’Un . – Non, en effet ! –
b/ ni droit ni circulaire (sans figure)
Par conséquent, s’il n’a point de parties, il ne saurait y avoir ni commencement, ni fin ni milieu ; ce seraient en effet des parties déjà pour lui que de telles déterminations. – C’est juste ! – Or, la fin, n’est-il pas vrai ? et le commencement font la limite que chaque objet. – Comment le nier ? – Illimité donc sera l’Un, s’il n’a ni commencement ni fin. – Illimité. – Et sans figure par conséquent ; ni au rond, ni au droit il n’a part en effet.(e) – Comment cela ? – Rond, n‘est-ce pas est l’objet dont les extrémités, dans toutes les directions, sont à égale distance du milieu. – Oui. – Et droit, n’est-il pas vrai ? celui dont le milieu intercepte la vue entre les deux extrémités. – C’est cela. – Par conséquent, il aurait des parties, l’Un et il serait plusieurs, s’il avait part à la figure droite ou à la figure circulaire. – Parfaitement ! – Il ne se peut donc qu’il soit ni droit, ni circulaire, [138 a] s’il est vrai qu’il n’a pas même de parties. – C’est juste ! –        
c/ ni en soi-même, ni en autre chose (il n’est pas dans l’espace)
Mais n’est-il pas vrai ? avec de telles propriétés, il ne saurait être nulle part ; ce n’est en effet ni en autre chose, ni en soi-même qu’il pourrait être. – Comment cela ? – S’il était en autre chose, sans doute serait-il enveloppé circulairement par cela en quoi il serait contenu, et, en maint endroit, il serait en contact avec lui par plusieurs de ses points ; or, ce qui est un, sans parties, qui n’a point part au cercle, il est impossible que, par plusieurs points, en cercle, il se trouve en contact. – C’est impossible ! – D’un autre côté, n’est-ce pas ? si c’était en lui-même qu’il en fût, précisément lui-même il y aurait encore pour l’envelopper lui-même, s’il était vrai que c’est encore en lui-même qu’il serait. (b) Être en effet en quelque chose sas en être enveloppé, est impossible. – Impossible, en effet ! – Par conséquent, autre chose sera l’enveloppant comme tel, autre chose l’enveloppé ; car ce n’est point sa totalité qui peut assumer le double rôle d’être à l’égard d’un même effet, àlafoislepatientetl’agent ; et ainsi l’Un ne serait plus un, mais deux. – En effet. –    
Il ne se peut donc qu’il soit quelque part, l’Un, puisque c’est ni en soi-même ni en autre chose qu’il est contenu. – Il n’est pas quelque part ! –
d/ ni en repos, ni en mouvement
Examine donc si, en telle posture, il est possible qu’il soit en repos ou en mouvement. – Pourquoi donc ne le serait-il pas ? – Parce que s’il avait un mouvement, ce serait un déplacement ou une altération ; (c) ce sont là en effet les seuls mouvements. – Oui. – Or, s’il s’altère, l’Un, par rapport à soi-même, il est impossible sans doute qu’il soit encore un. – Impossible ! – Ce n’est donc point dans l’altération que consiste son mouvement. – Non, apparemment ! – Eh bien, serait-ce dans le déplacement ? – Peut-être. – Mais, n’est-il pas vrai ? s’il se déplace, l’Un, c’est ou bien sur place par une rotation circulaire , ou par changements de ses places occupées l’une après l’autre. – Nécessairement ! – Ne faut-il pas, dans le cas d’une rotation circulaire, qu’il ait un centre pour point d’appui nécessaire ? et, pour se déplacer autour de ce centre, qu’il possède en lui d’autres parties ? Or, ce qui n’a ni centre ni parties en apanage, (d) quel moyen y a-t-il que cela ait jamais rotation circulaire sur son centre ? – Aucun ! – Alors , c’est donc que, changeant de place, en divers temps, il vient être en divers lieux, et c’est de cette façon qu’il est en mouvement ? – Oui, si toutefois il est en mouvement. – Est-ce que « être quelque part, en quelque chose » ne nous a pas paru pour lui une impossibilité ? – Oui ! – Et alors « y venir être », n’est-ce pas alors une impossibilité plus grande ? – Je ne vois pas en quoi ! – Si en quelque chose quelque chose vient être, ne faut-il pas nécessairement, et qu’il ne soit pas encore en cette chose, puisqu’il ne fait encore qu’y venir être, et qu’il ne soit plus absolument en dehors d’elle, puisque déjà il y vient être. – Nécessairement ! – Si donc quelque chose en est susceptible (e) ce sera cela seulement dont il peut y avoir des parties ; une certaine partie en effet pourra déjà être en cette chose, l’autre en dehors, simultanément. Mais ce qui n’a point de parties, il ne sera pas possible sans doute, en aucune façon, que, indivis, à la fois il ne soit ni à l’intérieur d’un objet donné, ni à l’extérieur. – C’est vrai ! – Quant à ce qui ni n’est fait de parties, ni n’a la condition d’un Tout, n’y a-t-il pas, bien plus encore, impossibilité qu’il vienne être quelque part, puisque ce n’est ni par parties, ni en bloc, qu’il lui faudrait y venir être ? – Apparemment ! – Il n’a donc ni direction vers un lieu pour venir être en quelque chose [139 a] et par là changement de place, ni rotation sur place, ni altération. – Non, à ce qu’il semble ! – Suivant toute espèce de mouvement donc, l’Un est immobile.
 
L’Un, il est.
Conséquences : il
[…est sujet de toutes les relations][56]
 
…C’est aussi à l’inégalité, donc, qu’il a part, l’Un [161 d] pour qu’en retour les autres choses à lui soient inégales. – Il y a part ! – Mais n’est-il pas vrai ? à l’inégalité appartiennent grandeur et petitesse. – Elles y appartiennent, en effet. –Il appartient donc aussi grandeur et petitesse à l’Un tel que nous le considérons. – Il y a des chances ! – La grandeur n’est-ce pas ? et la petitesse toujours sont distantes l’une de l’autre. – Oui, absolument ! – Un intermédiaire donc entre elles toujours se trouve. – Il s’y trouve ! – Peux-tu, dans ces conditions, désigner quelque autre intermédiaire entre elles, sinon l’égalité ? – Non, il n’y a que celui-là ! – cela donc à quoi appartiennent grandeur et petitesse, à cela appartient aussi l’égalité, qui est intermédiaire entre elles. – Apparemment !(e) – A l’Un donc qui n’est pas, de l’égalité, semble-t-il, il revient sa part, ainsi que de la grandeur et de la petitesse. – Il le semble. –
[…possède l’Être et le Non–Être impliqués dans la relation]
Bien mieux : c’est à l’Être même qu’il faut que lui-même ait part, en quelque façon. – Comment donc ? – Il en est de lui, il le faut, de la façon que nous disons. Car, s’il n’en était pas ainsi, ce ne serait pas vrai ce que nous disons, nous, en disant que l’Un «n’est pas » ; mais, si c’est vrai, il est évident que c’est « ce qui est » que nous disons là. N’est-ce point cela ? – C’est cela bien sûr ! – Or, du moment que nous prétendons dire vrai, c’est une nécessité pour nous de prétendre aussi dire ce qui est . – Une nécessité ? – [162 a] – Il est donc, à ce qu’il semble, l’Un qui n’est pas[57]. Supposons, en effet, qu’il ne soit point un « qui n’est pas » ; que, au contraire d’être cela un tant soit peu il se relâche pour ne pas l’être ; tout de suite il « sera un qui est ». – Hé ! oui, absolument ! – Il faut donc, s’il doit « ne pas être » posséder cette propriété, pour relier à soi le Non-Être, d’« être » un qui n’est pas ; tout pareillement à ce qui est, il faut cette propriété de « n’être pas » un « qui n’est pas », pour que parfaitement, à son tour, il ait l’être[58]. C’est de cette façon, en effet, que ce qui est pourra on ne peut mieux « être » et ce qui n’est pas, « ne pas être » : en ayant part, ce qui est, à l’essence d’être « qui est » et à la non-essence d’être « qui n’est pas », (b) s’il doit parfaitement être ; en ayant part, ce qui n’est pas, à la non-essence de n’être pas un « qui n’est pas », mais à l’essence d’être un « qui n’est pas », s’il faut aussi que ce qui n’est pas, de son côté, parfaitement ne soit pas[59]. – C’est on ne peut plus vrai ! – Dans ces conditions, du moment qu'à ce qui est, du « ne pas être » et à ce qui n'est pas, de l' « être », il revient leur part, à l'Un aussi dès lors qu'il n'est pas, de l'être nécessairement il lui revient sa part, en vue de son « ne pas être ».– Nécessairement ! – Et c’est l’Être, ainsi, qui apparaît chez l’Un, dans l’hypothèse où il n’est pas ! – Il y apparaît. – Et le Non-être aussi, donc, puisqu’il n’est pas ! – Comment le nier ! –…                                                                                                                            
                                   
 
 
 


[1] J.P. Sartre, L’Etre et le Néant : rééd. « Tel »n°1, 1976.
[2] Point de vue diamétralement opposé à celui de Leibniz qui loue Pascal et Arnauld d’avoir soutenu que le géomètre doit définir tous les termes tant soit peu obscurs et prouver toutes les vérités tant soit peu douteuses.
[3] Kant, dans une de ses œuvres, donne comme exemples de concepts inanalysables ceux de représentation, d’espace et du temps.
[4] En distinguant deux types d’existence, celle qui se déduit nécessairement de la chose et celle qui ne s’en déduit pas, on obscurcit la notion. 
[5] Ce thème sera développé en 1764 dans l’Essai sur l’évidence des principes de la théologie naturelle et de la morale… « Dans la philosophie, la définition […] doit plutôt terminer l’œuvre que la commencer ».
[6] Il s’agit de la méthode analytique, analogue à celle des Naturforscher et à celle que Newton utilise dans sa physique.
[7] L’existence, qui a trait à la position absolue de la chose elle-même, constitue un « plus » qu’on ne pourrait jamais déduire du possible.
[8] Abstraction faite de cette position absolue de la chose elle-même, on ne peut connaître que les rapports logiques qui lient les termes d’une chose possible.
[9] Mais même dans les possibles où ces termes sont indéterminés, ceux-ci sont des données qui renvoient à l’existant.  
[10] Principe d’identité : A tout sujet convient un prédicat qui lui est identique.
    Principe de contradiction : A aucun sujet ne convient un prédicat qui soit en contradiction avec
    lui.
Les deux constituent ensemble, dans le sens formel, les principes suprêmes et universels de toute la raison humaine.  
[11] L’existence possible d’une chose est sa possibilité interne, définie par la compatibilité logique de ses éléments, complétée par sa possibilité externe, définie par son engagement dans un système causal bien déterminé. C’est la proxima causa qui apporte à l’existence possible, le dernier complément de détermination, et réalise ainsi le passage de l’existence possible à l’existence réelle (Ch. Wolff)..
[12] L’ens possibile est l’ens universalix. Celui-ci devient ens in actu et ens singularis lorsque de nouvelles déterminations compossibles s’ajoutent aux déterminations de l’essentia universalis. C’est ainsi qu’on passe de la détermination incomplète à la détermination complète de l’être (Metaphysica , III, Halle, 1750).
[13] Crusius est un adversaire de la tendance logiciste de la philosophie wolffienne. C’est, pour ainsi dire, le Hume allemand. La non-contradiction ne constitue pas, selon lui, la moindre preuve de l’existence d’un être. Les moyens essentiels de l’existence sont l’en-quelque lieu et l’en-quelque temps. La force, l’espace et le temps sont des éléments qui appartiennent à la possibilité complète d’une chose pensée. Il faut aller non du possible au réel, mais du réel au possible. 
[14] Le premier fondement réel, le datum qui fonde les data, c’est-à-dire la matière de toute possibilité, sera présenté dans la Dialectique transcendantale, comme l’idéal transcendantal. pp.1195-2004. : y est donné l’exemple de l’aveugle-né qui ne peut se faire la moindre représentation de l’obscurité, parce qu’il n’en a aucune de la lumière ; ainsi tous les concepts des négations sont donc dérivés et les réalités contiennent les data et, pour ainsi dire, la matière ou le contenu transcendantal de la possibilité et de la détermination complète de toutes choses. Comme le montrait déjà Descartes, et contre l’apparence du langage, c’est le fini qu’il faut tenir pour la négation transcendantale. L’infini, au contraire, exprime le positif de l’affirmation.   
[15] Le problème de la concevabilité de l’étendue ou de l’espace n’a cessé de préoccuper Kant dans la période précritique. Il ne croit pas que Leibniz ait fait sortir les philosophes du labyrinthe de compositione continui (Lettre XII à Arnauld, dans Œuvres choisies).
[16] L’existence relève donc de la sphère de l’alogique.
[17] Si les data sont dans l’Être nécessaire à titre de déterminations, c’est-à-dire d’attributs, ils font partie de son être. L’Être nécessaire est alors l’Être de tous les êtres. S’ils dépendent de lui comme des suites, ils peuvent également ne pas exister sans lui, mais sont cependant autres que lui.
[18] Guéroult déclare : « C’est un dogme professé par tous les cartésiens que tout ce qu’il y a de positif dans la nature ne peut jamais s’annuler ni s’entre-détruire, mais seulement s’unir et s’ajouter pour constituer finalement…la souveraine réalité de l’Être infini. Un véritable accord entre la métaphysique et la science des phénomènes ne peut s’établir que si toutes les oppositions réelles qui nous sont présentées par la réalité sensible sont finalement réduites à des illusions ». Kant soutient, au contraire, qu’il y a des contrariétés dans la nature et que, par conséquent, les possibilités des choses ne peuvent se trouver en lui à titre d’attributs.  
[19] Sur la réalité véritable du choc, voir Nouvelles définitions du mouvement et du repos, in Quelques opuscules précritiques. Quant à la cohésion elle est liée à l’impénétrabilité, par laquelle un corps repousse les corps contigus hors de l’espace qu’il occupe. Si l’on fait abstraction de cette force par laquelle chaque élément physique remplit un espace, on ne saurait lui assigner un lieu déterminé (Monadologie physique, in Quelques opuscules précritiques).  
[20] Contrairement à la thèse de Leibniz, suivant laquelle la douleur est une privation, Kant soutient que le déplaisir n’est pas le contraire du plaisir, mais le motif positif de la suppression totale ou partielle du plaisir qui découle d’un autre principe.(Voir l’‘Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeurs négatives’, de Kant pp.283 à 302).    
[21] La distinction de l’opposition logique et l’opposition réelle est un apport de l’‘Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeurs négatives’, de Kant ; elle sera d’une importance considérable dans sa philosophie définitive.
[22] C’est l’existence des oppositions réelles qui nous interdit de considérer tous les data comme étant uniquement des déterminations de l’Être suprême.
[23] Par manque, il faut entendre les négations (le fait qu’étant ceci, un être fini ne peut pas être cela) qui découlent de la loi constitutive de son être. Ces négations sont irrémédiables. Mais alors on se demande si et comment on peut les rattacher au fondement suprême au même titre que ses réalités positives. Comment le positif peut-il être le fondement du négatif ? Kant croit apporter une réponse à cette question.
[24] L’Être nécessaire est le dernier fondement réel de sa propre possibilité et des possibilités des autres choses. Affirmer qu’il y a des négations dans les possibilités des autres choses, c’est dire qu’il n’y a entre sa possibilité originaire et les autres possibilités aucune commune mesure. « Or, personne ne peut penser une négation d’une manière déterminée, sans avoir pour fondement l’affirmation opposée. Tous les concepts des négations sont donc […] dérivés, et les réalités contiennent, pour ainsi dire […] la matière ou le contenu transcendantal de la possibilité ou de la détermination complète de toutes choses » (C.R.P. De l’idéal transcendantal, pp.385-392) . L’idée de l’antériorité de l’affirmation par rapport à la négation sera reprise par Bergson.  
[25] Thèse diamétralement opposée à celle de Spinoza qui érige l’étendue en attribut de Dieu. D’autre part, Kant affirme que l’entendement et la volonté sont des attributs de Dieu (quatrième considération).
[26] L’expression est empruntée à Descartes (Principes II, § 37 et fut traduite – avec son approbation –« autant qu’il se peut ». Spinoza la reproduit dans ses Principes II, prop. 14.
[27] « Les choses particulières ne sont que des affections des attributs de Dieu, autrement dit des modes, par lesquels les attributs de Dieu sont exprimés d’une façon définie et déterminée. La proposition est évidente d’après la proposition XV :‘Toutcequiest,estenDieu,etrien, sans Dieu, ne peut ni être ni être conçu’ ».
[28] « La puissance de Dieu est son essence même ».
[29] « Nulle chose ne peut être détruite, sinon par une chose extérieure ». 
[30] « Des choses sont de nature contraire, c’est-à-dire ne peuvent être dans la même sujet, dans la mesure où l’une peut détruire l’autre ».
[31] L’essence actuelle ou essence de la chose existant en acte, ou encore (quelques lignes plus bas) sa nature déterminée.
[32] « Il n’existe aucune chose dont la nature ne donne naissance à quelque effet ».     
[33] « Dans la nature, il n’y a donc rien de contingent ; mais toutes choses sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à produire un effet d’une certaine façon ».
[34] « Nulle chose ne peut être détruire, sinon par une chose extérieure ».
[35] « Les actions de l’esprit naissent des seules idées adéquates ; et les passions dépendent des seules idées inadéquates ».
[36] « L’esprit ne se connaît lui-même qu’en tant qu’il perçoit les idées des affections du corps ».
[37] La volonté apparaît comme conscience de soi ; or le soi n’est rien que l’esprit, autrement dit les idées. La volonté est donc la force inhérente aux idées qui constituent un esprit individuel et rien de plus.
[38] Appetitus. Le traducteur dit éviter le plus possible le mot appétit, son emploi étant aujourd’hui très restreint. Il n’existe d’ailleurs pas de différence entre appétit et désir du point de vue de l’essence, et Spinoza ne respecte pas toujours celle qu’il établit ici. Le mot latin entre parenthèses évitera les méprises. De même, il déclare employer le seul verbe désirer pour appetere et cupere.
[39] Hudde ; bourgmestre d’Amsterdam et mathématicien très apprécié par Leibniz qui lui rendit visite le 18 novembre 1676, lors de son voyage à Amsterdam. On a appris que Hudde ne voulait pas voir son nom figurer parmi les correspondants de l’athée Spinoza. Les 3 lettres de Spinoza à Hudde ont été écrites en hollandais.
[40] Ce titre ne semble pas avoir été expressément indiqué par le Stagirite lui-même ; ce serait une dénomination post-aristotélicienne qu’on explique d’ordinaire par l’obligation où se trouvaient les éditeurs de l’œuvre d’Aristote d’inventer un titre. Il entre en concurrence avec les titres de « science de l’être en tant qu’être », de « philosophie première (ou théologie) ». Nombre de commentateurs sont intervenus sur l’historicité de ces trois termes et sur leur synonymie. Même là où la philosophie première n’est pas assimilée à la théologie, elle est opposée à la physique entendue comme philosophie seconde, alors que la science de l’être en tant qu’être est toujours définie, par opposition, non à la physique, mais aux sciences particulières en tant que telles. La physique, rappelons-le, « considère les accidents et les principes des êtres, en tant que mus, et non en tant qu’êtres ». En fait, ce sur quoi Aristote a insisté, c’est sur l’antériorité de la philosophie première par rapport aux sciences secondes, mathématiques et surtout physique : antérieure à l’une et à l’autre.>   
[41] Il s’agit de l’Âme du monde, principe « automoteur » du Ciel , c’est-à-dire de l’Univers tout entier (Phèdre, 245 c ; Timée, 34 b).
[42] En ce sens que ce qui est absolument désirable est le Bien lui-même, objet de la sphère intelligible. Le « primitif » a donc partie liée avec l’« excellent ».
[43] L’intelligence est le « nous » (νούς ), dont l’acte est le νόησις, et l’objet le νοητόν.
[44] Le traducteur ajoute qu’il lui a paru nécessaire d’ajouter l’article défini au substantif « Dieu » pour éviter toutes formes de personnification auxquelles nous portent naturellement nos valeurs chrétiennes.
[45] On peut également comprendre : « …et que le Dieu n’est pas autre chose que l’acte. »
[46] C’est-à-dire dans les seuls êtres qui sont parvenus à maturité.
[47] Cette périphrase rend le grec « ousia ».
[48]LepoèmeduParménidehistorique,dontilrested’importantsfragments,opposaitvigoureusement la Vérité et l’Opinion, et assimilait l’être véritable à l’objet de la pensée logique : il est donc un, éternel, continu, immuable. 
[49] La participation ne doit donc pas être entendue en un sens local.
[50] C’est la fameuse objection dite du « troisième homme » (celui qui vient après l’homme sensible et l’homme intelligible), que développera Aristote. Elle ne vaut que contre la conception qui réduit l’Idée, acte intellectuel, à un représentation inerte, « peinture muette ».
[51] Pas plus qu’à une représentation nette, l’Idée ne se réduit pas à un être représentatif ; à celui-ci il faut un objet où il assure sa vérité. Réduire l’Idée, fondement de l’existence, à un mode purement subjectif de pensée est le fait d’un idéalisme psychologique, qui ne saisit pas distinctement l’activité de la pensée. 
[52] C’est-à-dire dans la réalité absolue et idéale, par opposition à notre expérience subjective.
[53] Cette forme de participation soulève de nouveau l’objection du « troisième homme ».
[54] Premières litanies de la théologie négative.
[55] Simple homonymie.
[56] Platon veut ici fonder la possibilité de la communication des Idées entre elles. Si, comme le
remarque Pierre Aubenque dans son livre (Le problème de l’être chez Aristote), « les Eléates et leurs disciples mégariques refusaient cette communication, c’est que pour eux l’être est, le non-être n’est pas, ce qui traduit en termes logiques signifiait : chaque chose est ce qu’elle est et n’est pas ce qui est autre qu’elle ; d’où l’impossibilité que  ‘quoi que ce soit reçoive un dénomination autre que la sienne’. Mais cette conséquence reposait sur la confusion entre le non-être absolu et ce non-être relatif qu’est l’altérité. Que le premier non-être ne soit pas, Platon l’accorde à Parménide ; mais il faut bien admettre l’altérité, à côté de l’être, parmi les genres suprêmes, comme fondement de la relation que ces genres eux-mêmes – et tous les autres genres d’ailleurs – entretiennent entre eux. Car tout genre est, donc participe à l’être ; mais, en même temps, dans la mesure où il est le même que lui-même, il est autre que tout le reste, donc autre que l’être , donc en ce sens non-être. Et réciproquement, tout le reste est autre que lui, qui est être, donc est autre que l’être, donc est également non-être. Il faut donc admettre qu’‘autant sont les autres, autant de fois, l’être n’est pas’, et, malgré le paradoxe apparent, il n’y a rien là dont il faille se fâcher, puisque la nature des genres comporte communauté mutuelle. »         
[57] Il y a une vérité dans la négation, et, en ce sens, un être du non-être. C'est là ce que, contre le Parménide historique entreprendra d'établir l'Etranger du "Sophiste".
[58] Ainsi, dialectiquement la double négation aboutit à une affirmation renforcée.
[59] L’essence et la non-essence correspondent respectivement ici à l’affirmation et à la négation, simultanément enveloppées dans l’assertion de toute relation. Cf. Sophiste 257 e sq.

Date de création : 06/04/2007 @ 15:42
Dernière modification : 23/05/2007 @ 15:28
Catégorie : Glossématique
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