CRITIQUES DU PROJET DE RÉFORMES DU CONSEIL SUPÉRIEUR DES PROGRAMMES
CRITIQUES DE CHARLES BEIDBEGER Notre ministre de lÉducation nationale ferait bien de méditer cette mise en garde prémonitoire de Charles Péguy : « Une société qui nenseigne pas est une société qui ne saime pas, qui ne sestime pas, et tel est précisément le cas de la société moderne ».[1] Et dajouter dix années plus tard : « Il y a quelque chose de pire que davoir une mauvaise pensée. Cest davoir une pensée toute faite ». [2] Tout est dit dans ces propos qui résument à merveille létat desprit de la réforme menée à la hussarde et sans concertation, par Najat Vallaud-Belkacem. Rejet de lenseignement dabord ! La ministre assigne de nombreux objectifs à lécole mais elle oublie lessentiel : la transmission du savoir. Que lécole puisse servir à sensibiliser les élèves au commerce équitable ou à la problématique du réchauffement climatique, pourquoi pas, mais ce nest pas là son rôle principal ! Quelle puisse lutter contre les « discriminations » et favoriser le « vivre ensemble », qui sen plaindrait, mais ce nest pas là le cur de sa mission ! Or, tout le sens de la réforme menée par Najat Vallaud-Belkacem consiste à réduire à létat dune peau de chagrin les enseignements disciplinaires au profit des EPI, sigle barbare qui désigne les enseignements pratiques interdisciplinaires. Concrètement, cela signifie quau lieu dapprendre la grammaire ou lhistoire, les élèves pourront débattre, sur leur temps de travail, de la liberté dexpression et des caricatures, évoquer limportance du développement durable ou apprendre à créer un blog, le leitmotiv de nos « pédagogistes » consistant à rendre les enseignements plus ludiques, afin dy tuer toute forme dennui. Mais comment débattre quand on ne possède pas les rudiments de la langue française ?[3] Il faut reconnaître que cette déconstruction du savoir na pas commencé, loin sen faut, avec la ministre actuelle, et que la droite tient aussi sa part de responsabilité, pour avoir trop longtemps négligé une institution réputée acquise à la gauche, au sein de laquelle les pédagogistes sont prêts à fourbir leurs armes contre quiconque voudrait remettre en cause la doxa déconstructiviste (Gilles de Robien en a fait les frais en 2006, en tentant de supprimer la méthode globale). Mais en reléguant le latin et le grec au rang des EPI, et en les fondant dans des cours de « langues et cultures de lAntiquité » proposés de la 5ème à la 3ème, Najat Vallaud-Belkacem donne le coup de grâce à ce quil restait de culture classique. Devant le tollé suscité par cette mesure, la ministre a affirmé, par la suite, vouloir maintenir un enseignement complémentaire du latin pour ceux qui le souhaitent. Mais cela dépendra du bon vouloir de chaque chef détablissement. Déjà, en 1902, Charles Péguy fustigeait la réforme scolaire qui portait en elle le déclassement des humanités au profit des savoirs utilitaristes. Le décret actuel est laboutissement de ce processus. Lenjeu dune telle réforme ? Le « fanatisme égalitariste » selon la formule de Marc Fumaroli,[4] la culture classique, jugée trop élitiste, étant censé accroître les inégalités découlant du milieu social. Pour Bourdieu, elle serait même linstrument choisi par la 1bourgeoise pour perpétuer sa domination culturelle. On oublie quelle constitue avant tout un socle commun de connaissances laborieusement construit au fil du temps, qui a permis à des générations denfants douvriers et de paysans, daccéder aux plus hautes sphères du savoir et aux plus intéressantes carrières administratives, politiques ou entrepreneuriales. Georges Pompidou en est dailleurs larchétype le plus illustre. Car le propre de la culture est délever lhomme au-dessus de limmédiateté de la vie présente pour lui permettre de communier aux plus grandes gloires littéraires ou historiques du passé, et de goûter à luniversalité du savoir. Tel est le sens de la culture générale qui unissait tous les hommes au sein dun même creuset. Certes, on peut déplorer le caractère figé qua pu parfois revêtir un tel enseignement dans notre histoire, notamment lorsque lon faisait apprendre « nos ancêtres les Gaulois » aux élèves de nos colonies. Il nen reste pas moins quil constituait un rempart contre le communautarisme autrement plus important que le « vivre-ensemble » incantatoire et vide de sens, lancé par des élites acquises au multiculturalisme, lequel ne signifie pas autre chose que la fin dune « culture générale » unissant les hommes dun même pays. Richard Descoings ne pourrait que sen réjouir, lui qui avait déjà supprimé lépreuve de culture générale à lentrée du concours de Sciences-Po en 2011. Najat Vallaud-Belkacem, ancienne élève de la rue saint-Guillaume, ne fait quachever luvre si bien commencée de son maître
On serait surpris de savoir que contrairement aux idées reçues, cest en Seine Saint-Denis que lenseignement du latin sest le plus développé ces dernières années[5], preuve que les élèves issus des milieux défavorisés éprouvent, peut-être plus que dautres, ce besoin denracinement si fondamental à lâme humaine. Cest en cela que la réforme actuelle, comme bien dautres, est profondément injuste : lécole a toujours permis à ceux qui ne pouvaient sélever intellectuellement par leurs propres moyens en raison dun milieu familial peu porteur, de compenser ce déficit par un enseignement structuré et solide. Cest dailleurs tout ce qui fait le succès du cours Alexandre Dumas à Montfermeil : transmission du savoir, autorité du maître, levée des couleurs, franche camaraderie et port de luniforme. On ne répètera jamais assez combien les couches sociales défavorisées sont les premières victimes de cette politique de nivellement par le bas. « À celui qui na rien, la Patrie est son seul bien » affirmait Jaurès. On pourrait en dire autant de lécole
Cest la même aspiration à la médiocrité universelle qui a conduit Najat Vallaud-Belkacem à supprimer les classes bilangues, au risque de provoquer un incident diplomatique avec lAllemagne, qui voit dun très mauvais il la réduction de la part délèves étudiant lAllemand comme seconde langue vivante. Crées en 2004, les classes bilangues avaient justement permis denrayer la chute de lapprentissage de lAllemand autour de 11%. Avec leur suppression, lenseignement de la langue de Goethe, fruit dun choix politique initié par le général de Gaulle lors de la signature du traité de lÉlysée en 1963, risque de rester lettre morte. Comme le souligne Alain Finkielkraut, la ministre de lÉducation, dans sa lutte obsessionnelle contre toute forme dinégalité, confond « lordre de lesprit où prévaut la hiérarchie la plus stricte, et lordre de la charité, où règne lamour universel ».[6] Lécole doit tirer les élèves par le haut et donner à chacun lopportunité de sélever intellectuellement cest ce quon appelle légalité des chances et non niveler le savoir par le bas sous le fallacieux prétexte dune égalité artificiellement décrétée. Mais le plus grave nest pas là. La réforme Belkacem a en effet décidé de mettre fin au « roman national », cest-à-dire à cet enseignement de lhistoire construit au cours du XIXème siècle, qui inscrivait tous les évènements de notre passé dans une trame patriotique destinée à montrer la grandeur de la France et à susciter un sentiment damour filial chez les élèves. Cela ne signifiait pas renoncer à lobjectivité ou verser dans la propagande, de même que cela nexonérait aucunement des programmes létude des zones dombre de notre histoire. Mais si lon réduit le Moyen-Âge à lInquisition ou lAncien-Régime aux guerres de religion, on risque de passer à côté dune certaine vérité et ne pas permettre aux élèves de sidentifier à des héros, tels que Jeanne dArc, Bayard ou du Guesclin, ou des poètes comme Marot, Ronsard ou du Bellay. Or, quand Michel Lussault, président du conseil supérieur des programmes, affirme qu« il y a quelque chose de dérangeant dans lidée, récurrente, de vouloir faire de lhistoire un roman national »[7], il omet de préciser que la République est largement tributaire de ce roman national qui a permis à des générations décoliers, de métropole ou de nos anciennes colonies, déprouver une légitime fierté à légard de luvre civilisatrice de la France. Rompre cette chaîne intellectuelle et affective, cest verser dans « la tyrannie de la pénitence » selon lexpression de Pascal Bruckner.[8] Cest précisément ce que fait Najat Vallaud-Belkacem, en valorisant excessivement lenseignement de lIslam, obligatoire en 5ème, tout comme létude de la traite négrière, alors que les empires byzantins et carolingiens deviendront des enseignements facultatifs, tout comme le module « une société rurale encadrée par lÉglise » à lintitulé peu flatteur, censé décrire laction de lÉglise au Moyen-Âge. Comme le souligne lacadémicien Pierre Nora, ces programmes « portent à lévidence la marque de lépoque : une forme de culpabilité nationale qui fait la part belle à lIslam, aux traites négrières, à lesclavage et qui tend à réinterpréter lensemble du développement de lOccident et de la France à travers le prisme du colonialisme et de ses crimes. »[9] « Dire quil faut transmettre les valeurs de la République, cest trop faible : il faut transmettre lamour de la France » expliquait Jean-Pierre Chevènement au Figaro, quelques semaines après les tueries qui ont embrasé la France au mois de janvier.[10]Puisse Najat Vallaud Belkacem entendre ce message ! CRITIQUES DE DANIÈLE MASSON (réseau-regain juin 2015) NOUVEAUX PROGRAMMES DHISTOIRE : LA GUERRE EST DECLARÉE Quand on sen prend à lHistoire on sen prend aux racines; et quand on coupe les racines on voue larbre à la mort UN ÉLÈVE MANIPULÉ Pour le lecteur attentif des programmes dHistoire élaborés par le «Conseil supérieur des programmes » et destinés à entrer en vigueur à la rentrée 2016, trois points suscitent, pour le moins, interrogations et suspicion. Cest dabord la conception de lélève et de sa formation. Dun côté lélève est invité, non à comprendre les enchaînements des effets et des causes, mais à sindigner devant lhorreur des guerres, des génocides, des crimes contre lhumanité. Dun autre côté, il est incité, dès le CM1, à saisir « la pluralité des héritages historiques », et pour cela à « confronter les traces de lhistoire » et «manipuler et réinvestir les repères historiques dans différents contextes ». Bref, primat de lémotion et hypercriticisme, pourtant antinomiques. En fait, lélève est manipulé, invité à deviner que tout est incertain, mouvant, migrant, et que lidentité et la quête de soi sont les ennemies du « vivre ensemble ». En 6ème « la longue histoire de lhumanité et des migrations » prendra le relais des « vagues migratoires du 5ème au Xe siècles » étudiées en CM1. Islam obligatoire, Église facultative Cest ensuite létude comparée du christianisme et de lislam. En 6ème, coincés entre «la romanisation» et «lancienne route de la soie et de la Chine des Han», apparaissent «les débuts du christianisme». En revanche, en 5ème, « lislam: débuts, expansion, sociétés et cultures » apparaît comme module obligatoire, alors que sont modules facultatifs en 5ème «une société rurale encadrée par lÉglise» et en 4ème, « sociétés et cultures au temps des Lumières». On peut sétonner que la République laïque place ainsi dans lombre les Lumières qui lont engendrée. On peut lexpliquer par le désir de complaire aux nouveaux arrivants, qui ne sont pas Charlie, napprécient pas Voltaire et son « imam pieux et compatissant » qui conseille dans Candide «de couper une seule fesse de ses prisonnières pour se garder une réserve de chair fraîche », ni Beaumarchais fustigeant dans Le mariage de Figaro ces « princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent lomoplate en nous disant « chiens de chrétiens!»» Quant au christianisme, loué dans ses origines, il est honni dans son inscription sociale, réduit à une Église encadrant des paysans; un « fait religieux » réducteur et mensonger, qui exclut lappartenance et la notion même de racines chrétiennes de lEurope. Gageons que les professeurs des «quartiers difficiles», qui ne peuvent aborder ni Le Cid de Corneille, ni Voltaire, ni Primo Levi et son roman Si cest un homme, se plieront aux exigences de lislamiquement correct. LEUROPE AU DOUBLE VISAGE Quant à lEurope, elle est perçue, dans les nouveaux programmes dhistoire, sous une double face, tour à tour lumineuse et sombre. Généralement oublieux des grandes figures de lHistoire de France, les concepteurs abordent cependant, en CM1, Charlemagne, parce quil est « loccasion dobserver les dynamiques territoriales dun Empire qui relèvent plus dune logique européenne que française». Et puis, en CM2, apparaissent, avec le centenaire de la République célébré en 1892 (les concepteurs des programmes raffolent des commémorations et des « symboles républicains ») les libertés qui semblent navoir jamais existé avant la République puisquelles «sont le fruit dune conquête et dune évolution de la démocratie». Enfin, lélève de CM2 découvrira le miracle de lUnion européenne, fruit de la paix de «pays européens autrefois en guerre les uns contre les autres », et « aujourdhui rassemblés». Incités en CM1 « construire» et à «confronter», les élèves sont invités en CM2 à célébrer dans une unanimité sans faille la République et lEurope. A cette vision idyllique soppose la face sombre de lEurope, celle des « empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières » - module obligatoire en 4ème Celle de la France de Vichy, et lon abordera en CM2 «la question du génocide des juifs dans le cadre de la France», sans dire et sans se demander pourquoi, en France, ils furent plus épargnés que dans les autres pays européens. Module à éviter dans les «quartiers sensibles». DE LAVISSE À NICOLAS OFFENSTADT Les nostalgiques du petit Lavisse se rappelleront la première de couverture du Cours moyen, classes de 8ème et 7ème : «Enfant, tu vois sur la couverture de ce livre les fleurs et les fruits de la France. Dans ce livre, tu apprendras lHistoire de la France. Tu dois aimer la France parce que la nature la faite belle, et parce que son histoire la faite grande». Cest peut-être un peu pompeux, mais cest clair, simple, convaincant: voir, apprendre, aimer son pays. Nicolas Offenstad, furieux des réactions contre les réformes, lance une contre-offensive qui est un aveu: « Cest une guerre culturelle : il y a une offensive réactionnaire dune droite incarnée par le trio Sarkozy Buisson Guaino, qui revendique le retour dune Histoire identitaire, dune Histoire adhésion qui doit nous rendre fiers dêtre français. Or lenseignement de lHistoire est, par nature, un instrument critique et doit apprendre à réfléchir». Au contraire de Lavisse, Offenstadt use du double langage : cest bien une adhésion quil requiert, non à la France, mais à une vision idéologique qui la défigure.
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