LA SAGESSE DU MONDE (7) NOUVEAU MONDE LE MONDE PERDU [EXTRAITS[1]] Un nouveau fondement pour la morale Ne pouvant pu être renvoyée à la structure du monde physique la morale doit trouver des fondements différents. Cétait déjà le cas, par exemple chez Épicure[2] ou dans un style très différent chez Kant[3]. Et Aristote qui a pourtant marqué plus quaucun autre à la fois la cosmologie antique et médiévale et la morale de lOccident, ne mentionne à peu près jamais des phénomènes cosmologiques dans son éthique si ce nest de façon très allusive et indirecte. Exigences cosmologiques de léthique La vision moderne du monde a une conséquence importante quant à lexpérience que lhomme fait de sa dimension morale. Tout un aspect de lhomme, à savoir sa présence dans le monde, reste dépourvu de pertinence éthique En quoi cette situation reste-t-elle préoccupante ? Il nest pas gênant que léthique ne puisse se fonder sur une cosmologie et sur lanthropologie qui sen déduit puisque de toute façon, rappelle Rémi Brague, on ne peut jamais tirer une norme dune description. En outre, comme lempereur philosophe Marc Aurèle ( 180) la fait remarquer, « même si, par impossible, le monde était en désordre, ce ne serait pas une raison de se laisser aller ». En revanche, ce qui gêne est que nous ne puissions plus dire quel rapport il y a entre léthique et le fait que lhomme soit dans le monde. Certes, dans la pratique, nous pouvons aménager, au sein dune nature hostile ou simplement muette, un domaine vivable ou en tout cas nous devrions pouvoir le faire. Cest lexistence même de lhomme dans le monde qui, pour nous, est sans dimension morale Des possibilités subsistent cependant. Nous pouvons : peut-être définir les règles qui permettent aux hommes une coexistence plus ou moins pacifique. donner même à ces règles un minimum de plausibilité en les ramenant, justement, à cette exigence de coexistence : sera bien, dans cette optique, ce qui élimine les frictions avec le moins possible de résidu. enfin élever au rang de principe suprême les conditions qui rendent possible une telle coexistence. Ce que nous ne savons plus, cest en quoi il est moralement bien que, dans le monde, il y ait des hommes Et, par exemple, pourquoi il est bien quil continue à y en avoir ; que leur existence se justifie par rapport aux sacrifices quelle coûte à la biosphère, à leurs parents, voire à eux-mêmes. Que léthique nait plus de fondement cosmologique et anthropologique, voilà donc, au fond, qui nest pas bien grave ; ce qui lest davantage, cest plutôt linverse ; cest, si lon peut dire que la cosmologie et lanthropologie naient plus de fondement éthique. Chez Wittgenstein, cette idée dun fondement éthique persiste Celui-ci prolonge une phrase citée plus haut par : « Il faut que léthique soit une condition du monde comme la logique[4]. » Cest peut-être ce statut de condition de possibilité qui explique que Wittgenstein qualifie ailleurs léthique en reprenant le terme kantien de « transcendantal ». Lexpression est dautant plus intéressante quelle semble résulter dun choix délibéré la première formulation disait en effet « transcendant[5] ». Le 17 décembre 1930, [son confrère du Cercle de Vienne] Friedrich Waismann lui demande : « Lexistence du monde est-elle cohérente avec ce qui est éthique ? ». Wittgenstein ne répond pas directement mais rappelle que ce rapport a été ressenti par les gens qui lui ont donné une expression théologique. Celle-ci nest rien de moins que le dogme chrétien de la Trinité. Dieu le Père a créé le monde. Dieu le Fils (ou le Verbe, qui procède de Dieu) est ce qui est éthique. Que lon pense la divinité comme partagée et quand même comme quelque chose dun, cela indique quil y a une cohérence[6]. » Sans vouloir faire de Wittgenstein un Père de lÉglise, il est cependant intéressant quil semble sêtre contenté, pour répondre à une telle question dune image théologique. On peut se demander dans quelle mesure ce nest pas éluder la question, ou indiquer quelle ne peut avoir de réponse que métaphorique, ou narrative. Pourquoi lhomme est-il à la fois éthique et dans le monde ? LAntiquité ne se lest guère demandé. Pour elle, la réponse étant donnée demblée avec la nature éthique du monde, la question ne simposait pas. Cette réponse implicite était que la sagesse ne se réalise pas contre la structure du monde mais est, sinon exigée mais encouragée par celle-ci. Cest dans un texte de Plotin que cette question, à la connaissance de Rémi Brague, affleure le plus nettement, à savoir dans le traité contre les gnostiques. Ce nest dailleurs pas par hasard, puisque les gnostiques contestaient justement ce présupposé de base de la pensée grecque classique que le monde est « bon ». Plotin écrit donc : « Si le tout que voici est tel quil est permis, à lintérieur de celui-ci, et de posséder la sagesse et, en étant ici [-bas] de mener une vie conforme aux choses de là-haut, comment {ce tout] ne témoigne-t-il pas de ce quil est suspendu aux réalités dau-delà[7] ? » Plotin est daccord avec ses adversaires, au moins sur un point : il y a de la sagesse dans le monde. Peut-être choisit-il même, en employant le mot sophia, rare chez lui, de parler comme les gnostiques qui racontent les malheurs de Sophie[8]. Celle-ci, comme hypostase divine, est bien présente dans le monde puisquelle y est tombée. La question implicitement posée est transcendantale. On pourrait la poser ainsi : Que faut-il que soit le monde pour que la sagesse y soit possible ? Une question de ce genre reste fondamentale pour nous aussi. Et le problème du fondement éthique du monde nest pas purement académique. Il a pris une allure moderne et brûlante avec la modernité et le projet dune « conquête » technique de la nature, rendue possible par une science mathématisée de celle-ci. Car, du coup, cest la question même de lêtre qui se pose autrement. Il se peut en effet que notre existence ait été jadis le résultat du hasard. Rémi Brague le concède, sans sengager sur le fond. Mais, même si cétait vrai, cela ne lest plus hic et nunc. Notre existence même est le résultat de la connaissance scientifique et de la maîtrise technique de la nature. Certes, lhomme na jamais pu survivre sans lartifice. Mais aujourdhui la technique nest pas seulement ce qui permet de survivre ; elle est de plus en plus ce qui nous permet de vivre. Nous avons vu comment la pensée classique cherchait à mettre en accord la quête morale du bien avec la présence massive de celui-ci dans la nature, conçue et perçue comme le bel ordre, comme un kosmos. Nous avons vu comment le pilier physique de ce pont entre lhomme et le monde sest écroulé. Il nous faut maintenant pour répondre à la même question, chercher un autre concept de monde, qui ne sera pas physique mais qui exprimera la façon même dont lhomme est présent et vit dans le monde. Le monde humanisé Une première tentative consiste à constater la présence, à côté dun monde naturel ou créé, dun monde humain. Lidée médiévale selon laquelle lhomme possède une activité créatrice qui imite celle de Dieu LAntiquité ayant reculé devant le parallèle ou layant refusé explicitement comme le fit le rhéteur grec Dion Chrysostome ( 120), elle se rencontra dans la théorie de lart, au Moyen Âge, chez le penseur allemand Nicolas de Cuse ( 1464), pour sépanouir dans la théorie de la peinture de la Renaissance italienne surtout chez Léonard de Vinci[9] (1452-1519). Mais, souligne Rémi Brague, il ne va pas de soi que lon puisse appeler ce que lhomme crée par analogie avec lobjet de la création divine, du nom de monde. Le pas nest franchi que quand on néglige la différence entre le réel et limaginaire : soit en mettant sur le même plan la reconstitution intellectuelle de la structure du monde et sa production effective, soit quand on parle dun monde des poètes, le mundus fabulosus du disciple de Leibniz, A. G. Baumgarten[10] (1714-1762). Lidée moderne du poète comme créateur Ce cliché qui nous est devenu familier, nest rendu possible quau prix de bien des décisions conceptuelles prises à lépoque moderne. Elle connaît son apogée à lépoque romantique, spécialement chez le poète britannique Shelley (1792-1822). On y trouve formulée lidée du poème comme second monde, ou « hétérocosme », idée qui gagnera les mondes plastiques[11]. Le parallèle strict entre lhistoire humaine et lunivers physique Le langage utilise le mot « monde » de très longue date pour désigner la communauté des hommes. Mais cela ne suffit pas pour que lon ait élevé cet usage au concept et dit pourquoi la communauté humaine constitue un monde. Il a fallu attendre le « philosophe de lhistoire », le napolitain Giovan Battista Vico (1668-1744) pour établir ce parallèle. Il conçoit lactivité historique de lhomme comme constituant un « monde de la cité » (mondo civile). Lhomme en est le créateur comme Dieu est celui de lunivers physique. En conséquence, lhomme quil crée, et parce quil le crée, connaît ce monde comme Dieu connaît le monde de la nature : « Ce monde civil (mondo civile) a, lui, certainement été fait par les hommes. Du coup, les principes peuvent puisquils doivent, sen retrouver dans les modifications de notre esprit humain lui-même. Voilà qui doit plonger dans létonnement quiconque y réfléchit : tous les philosophes se sont avec grand sérieux mis en tête datteindre la science du monde naturel que Dieu seul possède, puisque cest Lui qui la fait, et ils ont négligé de méditer sur ce monde des nations, ou monde civil dont, puisque ce sont les hommes qui lont fait, les hommes peuvent atteindre la science[12]. » Dans le sillage de Vico, dont il cite lidée centrale au moins une fois, Marx (1818-1883) élargit la perspective pour faire de lhomme en son travail le créateur de ce quil appelle un monde : « Lengendrement pratique dun monde objectif, le fait de travailler la nature non organique, est la façon dont lhomme fait ses preuves comme être générique conscient, cest-à-dire comme un être qui se rapporte à lespèce comme à sa propre essence, ou comme un être générique[13]. » Il reproche au chef de file du courant hégélien de gauche, Feuerbach (1804-1872) de navoir pas vu « comment le monde sensible qui lentoure nest pas une chose donnée immédiatement de toute éternité, toujours égale à elle-même, mais le produit de lindustrie et de létat de la société, et en ce sens quil est un produit historique, le résultat de lactivité de toute une série de générations ». Selon Marx : « Cette activité, cette façon constante de travailler et dagir sensiblement, cette production [est] le fondement de tout le monde sensible. Il faudrait concevoir « le monde sensible comme lensemble de lactivité vivante et sensible des individus qui le composent ». On remarquera cependant que « monde » désigne alors la nature, ou simplement la terre : ce qui sappelle production du monde sappelle aussi ailleurs « production de la terre entière[14] ». Marx peut concevoir le rapport de lhomme et de la nature, la sensibilité, le travail, etc., dune façon originale et féconde ; en revanche il ne semble pas sêtre interrogé sur la mondanéité du monde en tant que telle[15]. Cette attitude a une conséquence chez ceux qui se réclamèrent légitimement ou non, de la pensée de Marx. Un prétendu « matérialisme » qui clame pourtant son « réalisme », aboutit en fait à un « idéalisme » pratique (ce dernier mot pris lui aussi en un sens très flou). Lesprit révolutionnaire a tendance à considérer que lhomme est à même de refaire le monde, et voit en cette capacité de détruire le monde existant de quoi compenser limpression de nêtre que quantité négligeable. On a un bel exemple de cette attitude dans lexpressionnisme allemand et en particulier chez ladmirateur de la Révolution russe, Ludwig Rubiner (1881-1920) ; « Alors quà lépoque de limpressionnisme artistique et spirituel, lhomme se considérait lui-même comme un être sans défense et que lon ne pouvait sauver un être infiniment minuscule et oppressé par les murs monstrueux et sombres de la nature, lhomme se reconnaît aujourdhui comme créateur. Il sait quil est le centre du monde autour duquel il crée toujours à nouveau le monde qui lentoure en un cercle. Cette périphérie du monde quil se crée à lui-même, il lui faut aussi en répondre. [
] Nous navons jamais le droit de laisser tomber dans loubli lavertissement le plus terrible : lÊtre même nexiste pas ; ce qui subsiste nexiste pas. Cest nous qui faisons tout[16] ! » Comme on le voit, Rubiner nhésite pas à plaider pour un anthropocentrisme très littéral. En dehors de lhomme, il ny a rien, mais lunivers entier est en dehors de nous Cest ce quexprime, en le caricaturant George Orwell (1903-1950) dans son roman « 1984 » publié en 1949. Le personnage central de son chef duvre est interrogé par OBrien, le fonctionnaire chargé par le Parti de le rééduquer et qui affirme la puissance absolue de celui-ci sur toutes choses. Il lui objecte que le monde nest quun grain de poussière, lhomme minuscule et sans défense, venu sur cette terre bien plus vieille que lui. Voici la réponse : « Absurdité. La terre est aussi vieille que nous, pas plus. Comment pourrait-elle être plus vieille ? Rien nexiste si ce nest par la conscience humaine [
]. Avant lhomme il ny avait rien. Après lhomme sil pouvait finir, il ny aurait rien. En dehors de lhomme, il ny a rien. Mais lunivers entier est en dehors de nous. Regardez les étoiles ! Certaines dentre elles sont à un million dannées-lumière. Elles semblent hors de notre portée pour toujours. Quest-ce que cest que les étoiles ?...Ce sont des morceaux de feu à quelques kilomètres de distance ? Nous pourrions les atteindre si nous le voulions. Ou nous pourrions les supprimer. La terre est le centre de lunivers. Le soleil et les étoiles tournent autour[17]. » Ce quexprime Orwell ainsi, en le poussant au paroxysme représente, malgré les dénégations emphatiques des léninistes, le sens de la pratique révolutionnaire. Celle-ci doit ressentir comme une limitation insupportable lexistence de réalités naturelles et donc irréformables. Une des solutions est un idéalisme outrancier, qui ne peut apparaître que malgré la doctrine officielle, en marge de celle-ci, comme à titre dacte manqué. Orwell pensait-il à des doctrines particulières lorsquil faisait dire au tortionnaire que les étoiles sont à portée de lintervention humaine ? On a lexemple, parmi les cosmologies fumeuses de lAllemagne nazie, de la théorie du monde creux selon laquelle le monde est une bulle dans un infini rocheux, et les étoiles rien de plus que des étincelles lumineuses dans lamas gazeux qui en occupent le centre. Il est intéressant de noter un geste que lon retrouve tout au long de lhistoire de la pensée, à savoir le recours aux étoiles comme ultime garantie de lexistence dune réalité indépendante[18]. Le mépris pour les corps célestes nest que la conséquence ultime dune attitude déjà attestée chez Hegel et chez Marx. Lattitude dOBrien mène à retourner le retournement copernicien. Cette tentative se paie donc dun oubli volontaire de tout ce qui ne se réduit pas au « monde » que lon prétend ainsi créer. Le monde intelligible Jusquà présent aucune tentative de repenser la notion même de monde na été notée. Cest sans doute Kant qui en a refait lobjet dune interrogation[19]. Dans la période précritique, le monde est apparu comme problématique. La Dissertation de 1770 [20]voit dans le concept de totalité absolue la croix des philosophes[21]. Car cette totalité ne peut jamais être donnée : la marche vers le plus grand et le plus petit, la régression vers la cause, le parcours de la série des effets ne peuvent être menés à bien. Avec cette constatation le concept de monde se déplace vers un autre domaine, quittant celui de la contemplation dans lequel il était installé depuis lAntiquité : le monde ne peut plus être lobjet dune expérience, mais seulement celui dune pensée. La critique de Kant La première Critique procède à la destruction de la cosmologie rationnelle, sous la forme que le philosophe et juriste Christian Wolff[22] (1679-1754) lui avait donnée en 1731, en montrant quelle aboutit [hic et nunc] à des antinomies. Le monde suppose une totalité absolue. Il nest dailleurs pas le seul à lexiger : toutes les idées transcendantales le font. Cest pourquoi toutes ont droit au nom de « concepts cosmiques » ; et ce que nous appelons le « monde » que lon peut distinguer plus finement en monde et nature, nest quun cas particulier de ce caractère cosmique, qui marque en général toute idée[23]. Les idées sont le fait de la raison. Celle-ci ne peut trouver un champ à sa mesure dans le domaine théorique. Elles y sont avec elle, restreintes à un usage purement régulateur. Mais Kant néloigne la raison pure de son escapade théorique que pour la rendre à son domaine authentique, qui est pratique-éthique. Il y retrouve donc, sous un autre mode ce quil avait expulsé du théorique. Les idées de la raison, qui, dans leur usage théorique étaient réservées à un usage régulateur redeviennent alors législatrices. Et cest justement le cas de lidée de monde. Le vrai monde est le monde des esprits. Le langage courant le pressent qui parle de « connaissance du monde » alors quil nentend par là que lexpérience des hommes. Kant approfondit cette intuition en la fondant sur lanalyse de ce qui fait de lhomme ce quil est, à savoir la liberté. Le monde physique est impuissant à être adéquat au concept du monde, il nest pas assez « mondain ». Kant réalise de la sorte un découplage capital : lidée de monde est libérée de la physique. Le monde entre dans le domaine éthique sous la figure du monde intelligible En soi, lidée dun monde intelligible est ancienne. Elle ne se trouve pas chez Platon qui parle bien dun « lieu supracéleste » dans le mythe de Phèdre, mais qui ne fait pas de ce lieu un « monde » ; réciproquement l« autre monde » dont parle le christianisme nest pas le lieu des idées platoniciennes, comme le souligne Origène[24]. Mais lidée apparaît avec Philon et, chez Plotin, elle est accompagnée de cette affirmation, capitale pour le lien de lidée de monde avec la subjectivité que ce monde intelligible se trouve en nous, et même, que nous sommes ce monde[25]. Cependant, si lidée de « monde intelligible » est ancienne et ambiguë, comme Kant le sait très bien[26], cest uniquement après lui que lon est à même de penser comme tel le caractère « mondain » de lédifice des idées. Les trois idées chassées de lusage spéculatif de la raison par la dialectique transcendantale retrouvent leur droit à partir de loptique morale Cela ne vaut pas seulement pour celles du Moi et de Dieu, mais pour celle du monde. 1/ « La visée du souverain bien, rendue nécessaire par le respect pour la loi morale, et la présupposition qui en découle de la réalité objective de celui-ci, mènent donc [
] à un concept qui était certes pensable de façon problématique, mais qui restait pour elle indémontrable quant à sa réalité objective, à savoir lidée cosmologique dun monde intelligible et la conscience de notre existence en celui-ci[27]. » 2 / Le monde physique nest pas assez solide pour fournir une base permettant laccès à Dieu, car nous ne pouvons savoir si le monde réel est le meilleur des mondes possibles sans connaître ceux-ci, ce qui demanderait une exploration successive, interminable[28]. 3/ En revanche, le monde moral est donné dun coup comme le seul possible. Le vrai monde est le règne des fins. Cela est implicite dans la Critique de la raison pratique. La présence en moi de la loi morale « me représente [comme] dans un monde qui possède une vraie infinité, mais dont seul lentendement peut percevoir la trace, et avec lequel (mais du coup, aussi avec tous ces modes visibles) je ne me reconnais pas seulement, à la différence de ce dernier cas, comme lié de façon purement contingente, mais de façon universelle et nécessaire[29] ». Reprenant limage ancienne de lamphibie, voire ses réflexions de jeunesse sur le scientifique suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772), Kant écrit que nous appartenons à deux mondes[30]. Comment réconcilier ces deux mondes ? Le gouffre entre lharmonie du monde physique et le désordre de lhistoire humaine semble béant. Kant ne peut québaucher une réconciliation entre le monde moral et lunivers physique à partir dune philosophie de lhistoire et de lesthétique. La beauté du monde ne pourra servir que comme symbole de la moralité. Formule magnifique, qui rencontre peut-être inconsciemment le sens grec du symbolon. Celui-ci était le signe de reconnaissance permettant aux voyageurs, entre lesquels existaient des liens dhospitalité de sidentifier à travers les générations. Le simple fait que nous soyons sensibles au beau montre que, sans avoir dans le monde une demeure permanente, nous ny sommes pas de purs étrangers, mais des hôtes. La nouvelle détermination du concept de monde Cest elle qui réussit à résoudre la question de notre présence en celui-ci. On peut bien percevoir dans le caractère «contingent » (zufällig, « tombé comme cela ») dans lunivers physique une trace ultime dantiques images : celle gnostique du jet[31], ou limage épicurienne du naufrage[32]. Mais dire que nous sommes « dans le monde » nest pleinement vrai que si lon entend par là le monde intelligible. En effet, si notre présence dans lunivers physique est contingente, notre appartenance au monde moral est nécessaire. En même temps, laspect anthropologique du concept de monde prend une nouvelle dimension. En effet, le concept même sur lequel repose lanthropologie, le concept dhomme, donc, est déterminé à nouveaux frais : la morale ne saurait concerner lhomme : comme un certain type danimal, mais tout être rationnel en général dans la mesure où, sil est fini, un être de ce genre éprouvera la loi comme quelque chose dextérieur. Dans le sillage de Kant, lidéalisme allemand a voulu aller plus loin que lui en tentant une déduction, non plus seulement du monde comme monde moral, mais de la nature. Fichte (1762-1814), lun des fondateurs de lidéalisme, montre que la nature est requise pour la liberté humaine comme condition de son action. Pour son contemporain Hegel (1770-1831), lesprit pose la nature, et la pose comme son monde[33]. Le concept phénoménologique de monde Un approfondissement analogue du concept de monde est proposé, en un autre style par Heidegger[34] (1889-1976). Celui-ci ne part pas du rapport perceptif avec les choses qui, à ses yeux, nest pas premier, mais sous-tendu par un rapport dusage avec des ustensiles. Le monde en tant quobjet dune expérience Sans être perceptive, elle est celle dune habitation. Elle est celle dune présence totale, dun tout ou rien. Le concept de monde devient ainsi subjectif ou plutôt constitutif de la subjectivité. Lanalyse du concept de monde par Heidegger occupe une période qui sétend sur dix ans : il commence par lidée de « monde environnant », ce monde de tout « ce qui monde » (verbe forgé par Heidegger pour le dire) ; il en dégage lidée selon laquelle la vie est essentiellement marquée par le fait de vivre « dans le monde » : « Notre vie est le monde dans lequel nous vivons, en direction duquel et à chaque fois à lintérieur duquel les tendances de la vie courent. Et notre vie nexiste comme vie que dans la mesure où elle vit dans un monde [
]. Notre vie factice[35] est notre monde [
]. Lexpérience factice de la vie est au pied de la lettre « mondaine », elle vit toujours en direction dun monde, elle se trouve dans un monde de la vie [
]. Le monde est la catégorie fondamentale de ce qui a pour sens dêtre contenu dans le phénomène de la vie[36]. » Sein und Zeit[37], luvre maîtresse de 1927 Elle fournit une première synthèse avec lanalyse de l« être-dans-le-monde ». Celui-ci nest pas une catégorie, une caractéristique de ce qui est disponible, mais un « existential », une caractéristique du Dasein. Il faut distinguer entre le monde et la nature : toute lontologie passée a enjambé le phénomène du monde ; elle confondait celui-ci avec la nature quelle prenait comme fil conducteur. Or la nature nest pas le monde, mais un étant qui se rencontre à lintérieur du monde. En revanche, « ontologiquement parlant », monde nest pas une détermination de létant, qui nest essentiellement pas le Dasein, mais est un caractère du Dasein lui-même[38] ». Lapprofondissement de lanalyse du phénomène du monde par Vom Wesen des Grundes de 1929 Luvre fournit en particulier des éléments sur lhistoire du concept. Le Dasein nest pas être-dans-le-monde, parce que, et seulement parce quil existe de façon factice. Mais au contraire il ne peut être comme existant, c-à-d comme Dasein, que parce que sa constitution essentielle réside dans lêtre-dans-le-monde [
] Il est par suite tout aussi erroné dutiliser lexpression de monde : soit comme désignation de la totalité des choses de la nature (concept naturel du monde), soit comme titre pour la communauté des hommes (concept personnel de monde). Ce quil y a dessentiel métaphysiquement dans la signification plus ou moins clairement mise en relief, de kosmos, mundus, monde, réside dans ce quelle vise linterprétation de lexistence (Dasein) humaine dans son rapport avec létant dans sa totalité [
]. Le monde appartient à lipséité ; celui-ci est essentiellement orienté au Dasein[39]. » Lapprofondissement de lanalyse du phénomène du monde dans le cours du semestre dhiver 1929-1930 Cest sans doute là où Heidegger a poussé le plus loin cette analyse en la reliant à Vom Wesen des Grundes. Il le fait à partir dune comparaison entre minéral, animal et humain qui développe une triple thèse : 1. La pierre (ce qui est matériel) est sans monde ; 2. lanimal est pauvre en monde ; 3. Lhomme est tel quil constitue un monde[40]. Le dernier point na pas été lobjet dun développement aussi minutieux que le second et reste, selon Rémi Brague, programmatique. La pensée de Heidegger ne reviendra ensuite vers la question du monde quindirectement et à un autre niveau. Rémi Brague, quant à lui, se contente de remarquer que dans cette optique et dune façon au moins aussi radicale que chez Kant, le concept dhomme est repensé et enlevé à toute « anthropologie ». Et cest la présence dans le monde qui permet de repenser ainsi lhumanité de lhomme une fois pensé comme Dasein, comme être-là, le monde est conçu comme à partir du « là » de lhomme. Mais être « là » est lobjet dune invitation adressée à lhomme, du fait que lexistence (Dasein) comme telle est assignée à lhomme [
], il reçoit pour tâche dexister (Dasein) [
]. Lhomme, sil doit devenir ce quil est, doit justement chaque fois endosser lexistence [
]. Il sagit de libérer lhumanité en lhomme, lhumanité de lhomme, c-à-d lessence de lhomme, de faire que lexistence devienne essentielle en lui. Cette libération de lexistence en lhomme ne signifie pas le laisser à ses caprices, mais imposer lexistence à lhomme comme son fardeau le plus propre[41] ».On constate ainsi que Heidegger est plus proche de Kant quil ne semble de prime abord et dun aspect du kantisme inattendu, à savoir la morale. On pourrait interpréter le concept heideggérien comme une généralisation du concept kantien. Le monde relève, dans les deux cas, du domaine pratique[42]. Le monde subjectif Ainsi, le concept de monde vers lequel soriente la philosophie contemporaine est, en un sens, tout trouvé. Il na rien doriginal, puisquil correspond à ce que nous vivons plus ou moins explicitement quand nous disons, sans trop y réfléchir, que lenfant qui naît « vient au monde », ou que mourir, cest « quitter le monde ». Ces expressions ne se rencontrent dailleurs quà partir dune époque déterminée de lhistoire de la pensée et tout spécialement lors de lentrée des représentations juives et chrétiennes dans la culture dexpression grecque. Heidegger remarquait que cest avec le christianisme que « le monde du soi en tant que tel entre dans la vie et est vécu comme tel[43] ». Certaines langues empruntent à cette expérience leur mot pour « monde », en le dérivant de lidée de durée de vie (grec aiôn), d« âge dhomme » : ainsi les langues germaniques qui forment world, Welt, vereld, sur les racines de homme (latin vir) et d« âge » (anglais old, allemand alt). Cette étymologie est mentionnée par Shelling qui, dailleurs rattache Welt à währen, durer[44] ». Élaboration très élémentaire des implications du concept de monde Rémi Brague, pour terminer, propose de réaliser cet essai. « Venir au monde » ou « quitter le monde » : est entendu aujourdhui, la plupart du temps, par entrer dans la compagnie des hommes ou en sortir ; mais perçu toujours comme une totalité : celle à laquelle la naissance nous mène et à linverse celle que la mort nous enlève. Et lon trouve des penseurs qui élèvent ce sentiment à une formulation explicite : ainsi Montaigne : « Comme nostre naissance nous apporte la naissance de toutes choses, aussi fera la mort de toutes choses, nostre mort[45] ». ou encore Pascal : « Chacun est un tout pour soi-même, car, une fois mort, le tout sera mort pour soi[46] ». Pascal se replace ici, comme souvent, dans le sillage de Montaigne, même sil nenvisage que la mortalité et passe sous silence la « natalité de lhomme » (Hannah Arendt). Mais sa formule, outre une plus grande prégnance stylistique, a le mérite de faire passer lidée de totalité du côté du sujet. Montaigne parle de « toutes choses » ; Pascal parle du tout que nous sommes, et qui fait que les choses sont pour nous une totalité. Le caractère total des choses, qui fait de celles-ci le monde quelles forment, tient à notre mortalité, ou à son anticipation. « Il faut du tout pour faire un monde » : Il faut bien voir que la totalité dont il est ici question nest pas obtenue par une synthèse, elle est donnée demblée. Elle nest pas quantitative. Lunité ne résulte pas du parcours de la multiplicité, comme son épuisement. Elle précède et rend possible tout parcours, et subsiste en tout point de celui-ci. Le caractère total de la présence au/du monde na rien à voir avec la quantité dobjets dont nous faisons lexpérience, qui est bien entendu une partie infime de tout ce que contient le monde. De la sorte le monde nest pas monde par soi, sa « mondanité » ne vient pas de lui, mais de nous. Sil en est ainsi, mettre lidée de monde en rapport avec lanthologie ne consiste nullement à rejeter lunivers au profit de la chaude intimité de lenvironnement. En entrant dans le monde à notre naissance [façon Montaigne et Pascal], nous entrons dans ce qui contient tout aussi décidément, mais aussi indifféremment notre berceau que les plus lointaines nébuleuses. Plus radicalement, il ne sagit pas non plus de se réfugier dans la subjectivité en abandonnant le monde des objets « concrets ». Cest linverse : il sagit de montrer que le vrai monde est situé du côté du sujet et que ce que nous appelons « le monde » soit lunivers des objets nest pas capable de satisfaire aux réquisits du concept de monde, en un mot, nest pas encore assez « mondain » pour lhomme. Ainsi nous avons vu : dabord, comment lidée de monde, dès sa formulation grecque comme kosmos, impliquait une anthropologie déterminée ; ensuite, nous avons vu comment ce qui restait virtuel sest développé dans lAntiquité et au Moyen Âge, en une anthropologie cosmologique ou une cosmologie anthropologique ; puis, nous avons vu comment ce lien sest défait à lépoque moderne ; enfin, nous avons vu comment il pourrait se reformer, voire se resserrer encore plus étroitement. Mais ce serait au prix dune double reformulation de lidée de monde et de celle dhomme, pensées dans leur appartenance réciproque[47].
[1] RÉMI BRAGUE, La Sagesse du monde, Editions Fayard, biblio essais, Paris, avril 2011, p. 317-333. [2] Dans lépicurisme, le confort nest plus ce qui, nourrissant le courage, permetttait dendurer la tribulation comme telle ; il est désormais supposé sy substituer. La tâche de lhomme est de se construire un îlot dordre au sein dun océan infini, quil aura pour tâche de faire oublier. [3] Chez Kant, la racine « sensible » et « affective » du comportement moral humain réside dans la « pitié » (mitleid) que lon appellerait aujourdhui lempathie. [4] Wittgenstein, 24, 7, 1916, [3]. [5] Wittgenstein, Tractatus, 6, 421 et Prototractatus , 6, 422 ; comparer avec 30.7. 1916 [9]. [6] Entretien du 17 décembre 1930, dans Ludwig Wittgenstein und der Wiener Kreis, p. 118. [7] Plotin, II, 9, [33], 8, 43-45, t. I, p. 235; Alt (1990), p. 25. [8] « Sophia, le dernier des éons, est un des noms, légitimement, du Monogénês (du Fils un). Mais se produit u premier désordre dans le Plérôme (dans la plénitude des dénominations). Autrement dit le désordre chez les hommes. Pourquoi ? Parce que la base du désordre chez les hommes est la surdité mutuelle, cest-à-dire la méprise, le malentendu. Or Sophia, cet Éon qui est le dernier, veut saisir le Père et sélance pour le saisir. Mais seule la totalité du Nom qui est le Monogénês voit le Père, les noms partiels par eux-mêmes, nont pas la possibilité de voir le Père donc elle le manque. Et cest ce qui institue le premier désordre pour le Plérôme avant que ce désordre natteigne la région des hommes. (Grande Notice dIrénée de Lyon) ». [9] Voir textes cités dans Panofsky (1924) , p. 121, n. 303. [10] Baumgarten, Aesthetica, § 455, dans Schweizer, (1973), p. 188. [11] Voir Curtius (1953), p. 400- 401 ; Abrams (1953), ch. 10 § III :The Poem as Heterocosm, p. 272-285 : Kandinsky, dans Besançon (1994), p. 448. [12] Vico, Scienza Nuova, (1744), livre I, section 3, Des principes, § 331, éd. F. Nicolini, Milan et Naples, Ricciardi, p. 479. [13] Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte (1744), 1er Ms., XXIV, loc. cit., p. 517 ; Das Kapital , IV, XV, I, note ; tr. M. Rubel, Paris Gallimard PLéïade, t. I p. 915. [14] Marx, Deutsche Ideologie, Berlin, Dietz 1960, p. 41-43, puis p. 34. [16] Ludwig Rubiner, « Zur Krise des geistigen Lebens, 1916, Berlin, Dietz, dans Künstler bauen Barrikaden. Texte und Manifeste 1908-1919 . [17] George Orwell, Nineteen eighty-four, III, 3, Londres, Penguin, 1954, p. 213. [18] Dès Aristote, Mét., Z, 16, 1041a1-2, et voir Happ (1968) p. 87. Orwell a peut-être emprunté lidée selon laquelle les étoiles représentent une limite inaccessible à toute tyrannie à une scène du film de Charlie Chaplin, Le Dictateur (1940). [19] Voir Unger (1924), Clavier (1997). [20] Dans la Dissertation de 1770, Kant tente de saisir ensemble différentes lignes de pensée constituées pendant la décennie 1760 : le problème dun usage réel de lentendement préservé de la contagion des connaissances sensibles; le désaccord des facultés; la conception dun espace ni relatif ni absolu; la distinction des phénomènes et des noumènes. [21] Kant, De mundi sensibilis atque intelligibilis forma et principiis, I, § 2, III, WW, t. III, p. 24. [22] Même si l'on peut reprocher à Wolff une trop grande prolixité, résultant de la folle prétention d'appliquer à toutes les sciences la méthode géométrique, ses ouvrages, grâce à leur clarté et à leur unité systématique, devinrent l'encyclopédie philosophique de toutes les universités allemandes. Il y eut ainsi, durant plus d'un demi-siècle, une école wolffienne, alors qu'il n'y eut pas d'école leibnizienne proprement dite. Le rationalisme wolffien inspira toutes les sciences particulières, depuis la médecine jusquà l'esthétique. Malgré son admiration pour lui, Kant, dont la critique visait à détruire son dogmatisme, parle de lui en ces termes : "tel celui qui loge dans l'ordre des choses arrangé par Wolff avec peu de matériaux pris de l'expérience mais une majorité de notion subreptices. Hegel, quant à lui, a dit que Wolff avait été « lInstituteur de lAllemagne »". [23] Si l'âme est bien une représentation du corps, une perspective singulière sur l'Univers, comment pourrait-elle posséder des idées abstraites qui ne soient pas une image de ce qui arrive au corps? La réponse est la suivante : les idées abstraites en l'homme supposent toujours une idée du signe qui la désigne. Le signe a bien un support dans le corps, mais pas l'abstraction qu'il désigne. Par exemple, quand nous entendons le mot "Dieu", nous avons dans l'âme une idée de ce signe (une image acoustique). Seul ce signe existe dans le corps, dans le cerveau. [24] Platon, Phèdre, 247c3 ; Origène, PA, II, 3, 6, p. 316. [25] Plotin, III, 4 [15], 3, 22 ; IV, 7 [2], 10, 35-36 ; voir aussi CH, XIII, 21 ; t. II, p. 209 ; Kranz (1955), p. 91-92. [26] Kant, Kritik der reinen Vernunft, A 256 / B 312. [27] Id., KPV, 1, 2, 2, VI, p. 239-240. [28] Ibid.,I, 2, 2, VII, p. 251. [29] Id., KPV, Conclusion, p. 289. [30] Ibid., I, I, 3, p. 155. [31] Chez les membres delécole juive ou samaritaine des naassènes-ophites du IIe siècle, on rencontre limage où lâme jetée vers le malheur se lamente ». [32] Lhomme, à sa naissance est comme un naufragé drossé au rivage. [33] Fichte, Fondement du droit naturel, § 5-6 ; Hegel, Encyclopédie, § 384, p. 314 Meiner. [35] En langage philosophique, la facticité est la contingence. [36] Heidegger, Grundprobleme der Phänomenologie, cours hiver 1919-1920, éd. H.H. Gander , GA, 58, p. 33-34, 96, 250 ; puis Phänomenologisch Interprationen zu Aristoteles, cours 1921-1922, éd. Brücker et al . GA, 61, p. 86. [37] Luvre est préparée par tous les cours précédents, mais plus particulièrement par Ontologie, cours été 1923, éd. K. Brücker-Oltmanns, GA, 63, § 16-26, p. 79-104, et Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs, cours été 1925, éd. P. Jäeger, GA, 20, § 18-26. [38] Heidegger, Sein und Zeit, § 14, p. 63-64. [39] Repris dans Wegmarken, op. cit. p. 35-55, cité : p. 37, 51-52, 53. Première version dans Anfangsgründe der Logiik, cours été 1928, § 11, éd. K. Held, GA, 26, p. 203-252. [40]Heidegger, Grundbegriffe der Metaphysik, cours hiver 1929-1930, éd. F. W. von Hermann, GA 29/30, p. 261-262, 263. [41] Ibid., p. 246-248 , t voir p.2555. [42] « Monde » peut être compris dans un sens ontique. Il ne désigne plus, à présent, létant que leDasein nest essentiellement pas et qui peut faire encontre de manière intramondaine, mais ce « où » un Dasein factice « vit » en tant que tel. Le monde a ici une signification existentielle préontologique, qui comporte à nouveau diverses possibilités, selon que le monde désigne le monde « public » du « nous » ou le monde ambiant « propre » et prochain (domestique). » [43] Heidegger, Grundprobleme der Phänomenologie, hiver 1919-1920 ; éd. H. H. Gander, GA, 58, p. 61. [44] Schelling, Philosophie der Offenbarung, leçon 14, p. 308 ; tr. fr. t. II, p. 160. [45] Montaigne, E, I, 20 ; t. I, p. 166. [46] Pascal, Pensées, Br 457, p. 369. [47] Le Dasein existe dune façon contingente. Le questionnement porte sur lunité ontologique de lexistentialité et de la contingence, ou sur lappartenance essentielle de celle-ci à celle-là. Le Dasein, sur la base de laffection qui lui appartient essentiellement, a un mode dêtre où il est placé devant lui-même et où sonêtre-jeté lui est ouvert. Mais lêtre-jeté est le mode dêtre dun étant qui est à chaque fois lui-même ses possibilités, de telle manière quil se comprend dans et partir delles (se projette vers elles). Lêtre-au-monde, auquel lêtre auprès de là-portée-de-la-main appartient tout aussi originairement que lêtre-avec avec autrui, est à chaque fois en-vue-de lui-même. Mais le Soi-même est de prime abord et le plus souvent inauthentique - le On-même. Lêtre-au-monde est toujours déjà échu. La quotidienneté médiocre du Dasein peut par conséquent être déterminée comme lêtre-au-monde échéant-ouvert, jeté-projetant, pour lequel il y va, en son être auprès du « monde » et en lêtre-avec avec autrui, du pouvoir-être le plus propre lui-même.
|