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Parcours deleuzien - Lunivocité de lEtre
UNIVOCITÉ DE LÊTRE LES TROIS MOMENTS PRINCIPAUX DE SON ÉLABORATION Cette recension est extraite de louvrage « Différence et répétition »[1] de Gilles Deleuze. Ce thème est inclus dans le Chapitre premier intitulé « La différence en elle-même ». I/ DUNS SCOT (1265-1308) Le premier de ces trois moments est représenté par Duns Scot. Dans lOpus Oxoniense le plus grand texte de lontologie pure, lêtre est pensé comme univoque , mais lêtre univoque est pensé comme neutre, neuter, indifférent à linfini et au fini, au singulier et à luniversel, au créé et à lincréé. Scot mérite donc le nom de « docteur subtil », parce que son regard discerne lêtre en-deçà de lentrecroisement de luniversel et du singulier. Pour neutraliser les forces danalogie dans le jugement, il prend les devants et neutralise lêtre dans un concept abstrait. Cest pourquoi il a seulement pensé lêtre univoque. Et lon voit lennemi quil sefforce de fuir, conformément aux exigences du christianisme : le panthéisme dans lequel il tomberait si lêtre commun nétait pas neutre. Toutefois, il avait su définir deux types de distinction qui rapportaient à la différence cet être neutre indifférent. 1) La distinction formelle, en effet, est bien une distinction réelle puisquelle est fondée dans lêtre ou dans la chose, mais nest pas nécessairement une distinction numérique, parce quelle sétablit entre des essences ou sens, entre des « raisons formelles » qui peuvent laisser subsister lunité du sujet auquel on les attribue. Ainsi non seulement lunivocité de lêtre (par rapport à Dieu et aux créatures) se prolonge dans lunivocité des « attributs », mais sous la condition de son infinité, Dieu peut posséder ces attributs univoques formellement distincts sans rien perdre de son unité. 2) La distinction modale, qui sétablit entre lêtre ou les attributs dune part et dautre part les variations intensives dont ils sont capables. Ces variations comme les degrés du blanc, sont des modalités individuantes dont linfini et le fini constituent précisément les intensités singulières. Du point de vue de sa propre neutralité, lêtre univoque nimplique pas seulement des formes qualitatives ou des attributs distincts eux-mêmes univoques, mais se rapporte et les rapporte à des facteurs intensifs ou des degrés individuants qui en varient le mode sans en modifier lessence en tant quêtre. Sil est vrai que la distinction en général rapporte lêtre à la différence, la distinction formelle et la distinction modale sont les deux types sous lesquels lêtre univoque se rapporte à la différence, en lui-même, par lui-même. II/ SPINOZA (1632-1677) Avec le second moment, Spinoza opère un progrès considérable. Au lieu de penser lêtre univoque comme neutre ou indifférent, il en fait un objet daffirmation pure. Lêtre univoque se confond avec la substance unique, universelle et infinie. Il est posé comme Deus sive Natura. Et la lutte que Spinoza entreprend contre Descartes nest pas sans rapport avec celle que Duns Scot menait contre saint Thomas. Contre la théorie cartésienne des substances toute pénétrée danalogie, contre la conception cartésienne des distinctions, qui mélange étroitement lontologie, le formel et le numérique (substance, qualité et quantité) Spinoza organise une admirable répartition de la substance, des modes et des attributs. 1) Dès les premières pages de lEthique, il fait valoir que les distinctions réelles ne sont jamais numériques, mais seulement formelles, cest-à-dire qualitatives ou essentielles (attributs essentiels de la substance unique) ; et inversement que les distinctions numériques ne sont jamais réelles, mais seulement modales (modes intrinsèques de la substance unique et de ses attributs). Les attributs se comportent réellement comme des sens qualitativement différents, qui se rapportent à la substance comme à un seul et même désigné ; si cette substance à son tour se comporte comme un sens ontologiquement un par rapport aux modes qui lexpriment, et qui sont en elle comme des facteurs individuants ou des degrés intrinsèques internes. 2) En découlent une détermination du mode comme degré de puissance, et une seule « obligation » pour le mode qui est de déployer toute sa puissance ou son être dans la limite elle-même. 3) Les attributs sont donc absolument communs à la substance et aux modes, bien que la substance et les modes naient pas la même essence ; lêtre lui-même se dit en un seul et même sens de la substance et des modes, bien que les modes et la substance naient pas le même sens, ou naient pas cet être de la même façon (in se et in alio). Toute hiérarchie, toute éminence est niée, pour autant que la substance est également désignée par tous les attributs conformément à leur essence, également exprimée par tous les modes conformément à leur degré de puissance. Cest avec Spinoza que lêtre univoque cesse dêtre neutralisé et devient expressif, devient une véritable proposition expressive affirmative. Cependant, subsiste encore une différence entre la substance et les modes : la substance spinoziste apparaît indépendante des modes et les modes dépendent de la substance, mais comme dautre chose. Il faudrait que la substance se dise elle-même des modes et seulement des modes. Une telle condition ne peut être remplie quau prix dun renversement catégorique plus général, daprès lequel lêtre se dit du devenir lidentité, du différent lun, du multiple, etc. Que lidentité nest pas première, quelle existe comme principe, comme principe « devenu » ; quelle tourne autour du Différent, telle est la nature dune révolution copernicienne qui ouvre à la différence la possibilité de son concept propre au lieu de la maintenir sous la domination dun concept en général posé déjà comme identique. III/ NIETZSCHE (1844-1900) Avec léternel retour, Nietzsche ne voulait pas dire autre chose. Léternel retour ne peut pas signifier le retour de lIdentique, puisquil suppose au contraire un monde (celui de la volonté de puissance) où toutes les entités préalables sont abolies et dissoutes. Revenir est lêtre, mais seulement lêtre du devenir. Léternel retour ne fait pas revenir « le même », mais le revenir constitue le seul Même de ce qui devient. Revenir cest le devenir-identique du devenir lui-même. Revenir est donc la seule identité, mais lidentité comme puissance seconde, lidentité de la différence, lidentique qui se dit du différent, qui tourne autour du différent. Une telle identité produite par la différence est déterminée comme « répétition ». Aussi bien la répétition dans léternel retour consiste-t-elle à penser le même à partir du différent. Mais cette pensée nest plus du tout une représentation théorique : elle opère pratiquement une sélection des différences daprès leur capacité de produire, cest-à-dire de revenir ou de supporter lépreuve de léternel retour. Le caractère sélectif de léternel retour apparaît nettement dans lidée de Nietzsche : ce qui revient, ce nest pas le Tout, le Même ou lidentité préalable en général, ce nest pas davantage le petit ou le grand comme parties du tout, ni comme éléments du même. Seules reviennent les formes extrêmes celles qui, petites ou grandes, se déploient dans la limite et vont jusquau bout de la puissance, se transformant et passant les unes dans les autres. Seul revient ce qui est extrême, ce qui est excessif, ce qui passe dans lautre et devient identique. Cest pourquoi léternel retour se dit seulement du monde théâtral des métamorphoses et des masques de la Volonté de puissance, des intensités pures de cette Volonté, comme facteurs mobiles individuants qui ne se laissent plus retenir dans les limites factices de tel ou tel individu, de tel ou tel Moi. Léternel retour, le revenir, exprime lêtre commun de toutes les métamorphoses, la mesure et lêtre commun de tout ce qui est extrême, de tous les degrés de puissance en tant que réalités. Cest lêtre-égal de tout ce qui est inégal, et qui a su réaliser pleinement son inégalité. Tout ce qui est extrême devenant le même communique dans un être égal et commun qui en détermine le retour. Cest pourquoi le surhomme est défini par la forme supérieure de tout ce qui « est ». Il faut deviner ce que Nietzsche appelle noble : il emprunte le langage du physicien de lénergie, il appelle noble lénergie capable de se transformer. Lorsque Nietzsche dit que lhybris est le problème de tout héraclitéen, ou que la hiérarchie est le problème des esprits libres, il veut dire une seule et même chose : que cest dans lhybris que chacun trouve lêtre qui le fait revenir, et aussi cette sorte danarchie couronnée, cette hiérarchie renversée qui, pou assurer la sélection de la différence, commence par subordonner lidentique au différent. Sous tous ses aspects, léternel retour est lunivocité de lêtre, la réalisation effective de cette univocité. Dans léternel retour, lêtre univoque nest pas seulement pensé et même affirmé, mais effectivement réalisé. LEtre se dit en un seul et même sens, mais ce sens est celui de léternel retour, comme retour ou répétition de ce dont il se dit. La roue dans léternel retour est à la fois production de la répétition à partir de la différence, et sélection de la différence à partir de la répétition. Date de création : 02/02/2010 @ 08:00 Réactions à cet article
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