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Parcours deleuzien - Notes philosophiques de Charles Péguy (I)
Notes philosophiques de Charles PÉGUY (I) (1873-1914) Tombé le 5 septembre 1914, lors de la contre-offensive de la bataille de la Marne, à Villeroy, non loin de Meaux. Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne Texte inédit à la mort de Charles Péguy, uvres en prose 1909-1914, Bibliothèque de la Pléïade. (Sous la signature de Mme Charles Péguy le 1er Août 1914.) I/ L homme impacté par la religion (1377) Le Juif est dune race où lon trouve toujours quelquun qui sait lire. Mais non seulement cela, mais lire pour eux ce nest pas lire un livre, cest lire le Livre. Cest lire le Livre et la Loi. Lire, cest lire la parole de Dieu sur les Tables et dans le Livre. Tous les Juifs sont lecteurs, tous les Juifs sont lisants, tous les Juifs sont récitants. Cest par cela que les Juifs sont visuels et visionnaires Le protestant est un homme qui lit depuis Calvin, le catholique est un homme qui lit depuis Ferry. (1378) Le catholique, de quelque côté quil remonte il est analphabet à la deuxième génération Aucun de ses grands-pères, aucune de ses grands-mères ne savait lire ni écrire. Et ils ne comptaient que de tête. Le catholique, le français, le paysan se retourne vers sa race et de quelque côté quil remonte, il se heurte, aussitôt après son père, aussitôt après sa mère, à ce quadruple front dillettrés. Ni son grand-père, ni sa grand-mère paternelle, ni son grand-père ni sa grand-mère maternelle. Et il serait bien embarrassé de remonter plus haut, Etant pauvre et français, catholique et paysan, il na pas de papiers de famille. Ses papiers de famille, ce sont les registres des paroisses. Aucune tenure dans cette longue race. Rien qui laisse trace dans les papiers de notaires. Ils nont jamais rien possédé. Pauvres et peuple, ils ont laissé aux Juifs, aux protestants, aux catholiques bourgeois davoir une généalogie inscrite. (1379) Il sarrête un peu ici. Il aperçoit une grande division du monde. Dun côté, toute linscription temporelle. De lautre, ces misérables registres des paroisses. Cest-à-dire le livre des baptêmes. Lhomme se retourne vers sa race et aussitôt après son père et sa mère, il voit avancer ce front de quatre et aussitôt après, aussitôt derrière, il ne voit plus rien quune immense masse et une innombrable race, aussitôt après, aussitôt derrière, il ne voit plus rien. Pourquoi ne pas le dire, il senfonce avec orgueil dans cet anonymat. Lanonyme est son patronyme. Lanonymat est son immense patronymat. Plus la terre est commune et plus il veut être poussé de cette terre. Plus la nuit est opaque, et plus il veut être sorti de cette ombre. Plus la race est commune et plus il a de joie secrète et il faut le dire un secret orgueil à être un homme de cette race. Il est bien le même homme dans le goût de sa race quil est dans le goût de tout. Il est bien le même homme qui ne sest jamais vêtu dune étoffe commune, qui na jamais écrit que sur du papier commun, qui ne sest jamais assis quà une table commune. Et ce goût du commun et du pauvre, qui est chez nos riches le crime le plus affreux, de la plus ignominieuse indécence, la plus (1380) monstrueuse affectation, la plus criminelle et la plus monstrueuse dérision, la simulation la plus frauduleuse et justement celle à qui il ne sera rien pardonné nest pour le pauvre que la plus dénuée décence. Ce qui chez le riche nest que la plus graveleuse et perverse invention de lorgueil et de la perversité, (Tolstoï), nest chez le pauvre que la plus pauvre décence. Ainsi notre homme ne veut être quun arbre dans cette forêt, un épi commun dans cette immense moisson. Un citoyen de lespèce commune, un chrétien de la commune espèce. Le citoyen dans le bourg ; le chrétien dans la paroisse. Et un pécheur de la plus commune espèce. Il regarde vers sa race et comme dans le passage de la Mer Rouge, une muraille de vagues masquait lénorme océan suspendu derrière, ainsi cette muraille de quatre, ses deux grands-pères, ses deux grands-mères, lui masque le silence dune innombrable race. Cest comme une paroi de lOcéan même. Et comme on ne sait rien de cette énorme masse qui est derrière la paroi, sinon que cest de leau, ainsi il ne sait rien de cette immense race qui est derrière cette muraille de quatre, sinon que cest de la chrétienté. Et il senfonce avec joie dans cet énorme anonymat. Il regarde vers sa race. Cette muraille même, cette muraille de quatre, elle se présente, cette muraille dillettrés, ce rang de quatre, il se présente lui-même comme un mur de silence. Et il remonte, et il se plonge non pas seulement avec joie dans cet énorme anonymat, il sy enfonce avec une joie secrète. Mais il sy enfonce aussi avec une sorte daccomplissement, de couronnement, de plénitude dhumilité. Et ne sy enfoncerait-il pas avec un couronnement et une plénitude dorgueil. Et plus encore peut-être avec on ne sait quel goût et quelle réussite et quelle plénitude danéantissement.
II/ La théorie de la fatigue et du travail Quand il est fatigué, et il lest toujours, il se dit que le paysan aussi est toujours courbaturé ; et quil nen travaille pas moins ; et quil nen travaille que mieux. (1381) Ce nest pas seulement une consolation, cest une théorie. Il a inventé cette théorie, quon travaille mieux quand on est au moins un peu fatigué. Comme il lest toujours beaucoup, il manque un peu de compétence en matière dun peu de fatigue. Et il manque tout à fait de lautre terme de comparaison, qui est de savoir ce que serait et ce que ferait quelquun qui ne serait pas fatigué du tout. Il a exposé longuement sa théorie. Il prétend que la fatigue du matin est la tradition du travail de la veille au travail du lendemain, que ce résidu de la fatigue du matin est la légation de la fatigue et du travail de la veille à la fatigue et au travail du lendemain, quelle est comme un ferment aigri, comme le levain de la veille et qui fera lever le pain du jour. Cest une belle théorie, pour les gens fatigués. Il prétend que le paysan, le voiturier se réveille toujours avec les reins cassés, les jambes raides et des courbatures qui lui font jurer le nom du Seigneur, mais quil se lève tout de même et quà midi il ny pense plus. (Ce qui enlève un peu de sa raison à la comparaison, cest que lui, à midi, il y pense encore.) Telle est la théorie de la fatigue et du travail. Il a beaucoup de théories. Ce quil y a de plus fort, cest quavec tant de théories il travaille tout de même et beaucoup. Et quand il travaille, et quand il produit, on ne saperçoit pas quil a des théories. Il a cette théorie que ce restant de la fatigue de la veille est ce qui opère dun jour à lautre, dun jour sur lautre, la continuité de luvre. III/ Lécriture et limprimé (1382) Mettre la main à la plume, ce solennel propos du troupier légendaire lui paraît [à lhomme] plein dun sens mystérieux. Mes chers parents, je mets la main à la plume, cest pour vous dire que le capitaine Il entrevoit à ces mots un sens redoutable. Ainsi passé son père, quil na même pas connu, passé sa mère, nul de sa race na jamais mis la main à la plume. Et sa mère même a une écriture si gauche, si maladroite, si peuple et si manuelle, si peu écrivain. Il est le premier et comme seul. Lui-même si maladroit. Et vraiment si peu habitué. Avec ses gros doigts maladroits où toutes les engelures de lenfance ont laissé leurs difformités. Cette plume, son instrument propre, elle lui paraît un instrument dangereux. Il la découvre un instrument dangereux. Mais il y a des compensations. Quand ça marche bien, quand les mécanismes sont montés, quand il écrit, il ne trouve pas que cest un instrument dangereux. Quand ça ne marche plus, quand les mécanismes sont démontés, quand il est sans nerf devant son papier commun, il peut se dire que cest très bien de ne pas savoir écrire, dêtre un mécanisme démonté, parce que cest un brevet dinhabitude. (Lhabitude étant, dans ce système, le plus dangereux, le seul dangereux ennemi.) Un brevet dêtre nouveau. Il y a dans lécriture un durcissement propre. Il y a dans limprimé un vieillissement propre. Les jours où il ne peut pas travailler, lhomme se dit que cest la preuve que par la nouveauté de sa race intellectuelle il échappe à ce durcissement, à ce vieillissement. Que cest la preuve quil nest pas un être habitué. (1383) Quoi quon écrive, (et ce serait une autre question), il y a dans lécriture même un durcissement. Quoi quon fasse imprimer, (et ce serait une autre question), il y a dans limprimé un vieillissement et une vulgarité. (Le vulgaire, dans ce système, étant le contraire du commun.) (Le vulgaire est de la foule, le commun est au contraire du peuple.) Les jours où ça va bien, notre homme fait comme tout le monde. Il écrit et fait imprimer. Les jours où ça va mal, il se rappelle quécrire et faire imprimer sont les premiers durcissements et vieillissements de la mort. Quoi quon écrive, il y a dans lécriture un durcissement qui ne sera plus assoupli. Quoi quon fasse imprimer, il y a dans limprimé un piétinement de mémoire que nulle abrogation neffacera jamais. On a trop foulé ce sentier (Quand même ce serait de belles traces). On a trop marché sur cette route (Quand même ce seraient des armées victorieuses). Quand lhomme était cendre et poudre, son néant même était grand. Son néant même était beau. Cétait encore de la terre. Et même quand il était de la boue sa bassesse même était grande. Cette boue, cétait encore du limon de la terre. Le creux même de la route était encore de la terre et lornière de la route était comme un sillon. Nos malheureuses mémoires modernes ne sont plus que des macadams. Et toujours les encombrements de ces trains de bagages. Il y a un raidissement de linscription, il y a un durcissement de lécriture ; et il ny a pas seulement une dureté de limprimé : il y a les innombrables duretés superposées des innombrables imprimés. Tout homme moderne est un misérable journal. Et non pas même un misérable journal dun jour. Dun seul jour. Mais il est comme un misérable vieux journal dun jour sur lequel, sur le même papier duquel on aurait tous les jours imprimé le journal de ce jour-là. Ainsi nos mémoires modernes ne sont jamais que de malheureuses mémoires fripées, de malheureuses mémoires savatées. Lillettré des anciens temps lisait au livre même de la nature. Ou plutôt il était du livre même, il était le livre même de la création. Le lettré de tous les anciens temps était un homme de livre(s) et lui-même il était un ou quelques livres. Le moderne est un journal, et non pas seulement un journal mais nos malheureuses (1384) mémoires modernes sont de malheureux papiers savatés sur lesquels on a, sans changer le papier, imprimé tous les jours le journal du jour. Et nous ne sommes plus que cet affreux piétinement de lettres. Nos ancêtres étaient de papier blanc et le lin même dont on fera le papier. Les lettrés étaient des livres. Nous modernes nous ne sommes plus que des macules de journaux. IV/ Le journal, la plus grande invention depuis la création de lâme (1387) Car il touche, il atteint à la constitution même de lâme. Le journal, seconde création. Spirituelle. Ou plutôt commencement, point dorigine de la décréation. Spirituelle. Point dorigine dune deuxième création. Ou plutôt point dorigine dune dégradation, dune déformation, dune altération qui constitue réellement le commencement de la décréation. Au moins de la décréation de la création éminente, de la création essentielle, de la création centrale, de la création profonde qui est la création spirituelle. Et en elle, par elle, des autres. Et ici il faut bien sentendre. Je suis convaincu quil y a des bons et des mauvais journaux. Et peut-être beaucoup dentre-deux. Ce quil y a de bon cest que la bonne presse est quelquefois mauvaise et peut-être souvent ; et que la mauvaise presse nest jamais bonne. Cest toujours le même système dirréversibilité et de la dégradation continue. On perd toujours, on ne gagne jamais. Eh bien ce que je dis cest que les mauvais journaux font infiniment plus de mal comme journaux que comme mauvais, la mauvaise presse fait infiniment plus de mal comme presse que comme mauvaise. Et cest ici enfin que nous rejoignons notre Bergson : une mauvaise idée toute faite est infiniment plus pernicieuse comme toute faite que comme mauvaise ; une idée fausse toute faite est infiniment plus fausse comme toute faite que comme fausse. (1388) Cest en ce sens que linvention du journal est sans aucun doute celle qui fait époque, celle qui marque une date depuis le commencement du monde et cette date est la date même du commencement de la décréation. Il y a quelque chose de pire que davoir une mauvaise pensée. Cest davoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que davoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. Cest davoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que davoir une âme même perverse. Cest davoir une âme habituée. On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse. Et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on na pas vu mouiller ce qui était verni, on na pas vu traverser ce qui était imperméable, on na pas vu tremper ce qui était habitué On a vu sauver les plus grands criminels. Par leur crime même. Par le mécanisme, par larticulation de leur crime. On na pas pu sauver les plus grands habitués par larticulation de lhabitude, parce que précisément lhabitude est celle qui na pas darticulation. Date de création : 16/01/2010 @ 18:48 Réactions à cet article
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