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Synthèses - Rôle de la philosophie dans l'évolution des sciences 1
INRODUCTION Il semble acquis de nos jours que lon doive conserver deux catégories denseignement : les sciences dune part, et la philosophie dautre part. On justifie souvent cette séparation pour des raisons pratiques, les premières étant réputées plus faciles à enseigner et à acquérir que la dernière. Tout en acceptant cet état de fait, certains pensent quun correctif pourrait être apporté si, avec chacune des disciplines, on enseignait lhistoire des sciences ; ce qui serait un bon moyen douvrir lesprit des étudiants à un autre domaine que le leur. En effet, si lon se réfère aux grands principes de la science moderne, on est à même dobserver que cette dichotomie nest pas représentative de la réalité, car il existe ce quon ignore généralement une grande pénétration de la philosophie dans la science. Cest cette réalité que nous voudrions porter à la connaissance des lecteurs en nous appuyant sur les deux ouvrages dAlexandre Koyré « Etudes dhistoire de la pensée scientifique » et « Du monde clos à lunivers infini », réédités en 2007. Lauteur que nous vous présentons sest attaché tout particulièrement à mettre en évidence le « rôle de la philosophie dans lévolution de la science » : Alexandre Koyré (1892-1964) : philosophe et historien des sciences, né en Russie, a suivi à Göttingen les cours de philosophie de Husserl et de Hilbert, puis à Paris ceux de Bergson et de Brunschvicg. Sa carrière de chercheur et denseignant sest déroulée depuis 1930 à la VIe section de lEcole pratique des Hautes Etudes avec de nombreux voyages à létranger, notamment durant la Seconde Guerre mondiale aux universités de Chicago, de Baltimore, de Bruxelles, Yale, Harvard. Son uvre extraordinairement féconde est consacrée à la genèse des grands principes de la science moderne, de la science médiévale à Newton. Il sest appliqué à lui-même ce sésame qui, seul, nen déplaise à notre enseignement officiel, permet daborder la science dune façon satisfaisante :« on ne comprend pas véritablement luvre de lastronome, ni celle du mathématicien, si on ne la voit pas pénétrée de la pensée du philosophe et du théologien ». Le laboratoire de recherche en histoire des sciences du CNRS porte son nom sous le titre : Centre Alexandre KOYRÉ/CRHST. Les extraits recueillis pour composer le présent document sont successivement : I. Laristotélisme et le platonisme au Moyen Age (Ottawa, 1944) Lhéritage antique Laristotélisme face au platonisme Le platonisme médiéval Laristotélisme médiéval II. Lapport scientifique de la Renaissance (Paris, 1949) Les traits caractéristiques de la Renaissance Les ouvertures offertes par la Renaissance Lévolution scientifique comme en marge de lactivité de la Renaissance III. Galilée, Descartes et le platonisme (Université de Pennsylvanie, 1943) Les divers faciès de la révolution galiléenne Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde IV.La philosophiecorpusculaire et astronomique de Newton (Princeton 1957) Espace, matière, éther, esprit Structure du système solaire La réponse de Newton à ses contradicteurs Lissue des luttes V. Synthèse des étapes de la cosmologie scientifique (Paris, 1948) Les étapes de la mathématisation du réel Comment Copernic est-il arrivé à sa conception ? Le système astronomique rétrograde de Tycho Brahé Le raisonnement de Kepler Les dimensions de lUnivers au cours de lhistoire de lastronomie Les Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton (selon P. Costabel) I. LARISTOTÉLISME ET LE PLATONISME AU MOYEN AGE Lhéritage antique Le Moyen Age en ses deux parties Le Moyen Age a connu une première époque faite de barbarie profonde, barbarie politique, économique, intellectuelle qui sétend du VIe au XIe siècle, mais il a connu une époque extraordinairement féconde, époque de vie intellectuelle et artistique qui sétend du XIe au XIVe siècle (inclus) à laquelle nous devons entre autres, lart gothique et la philosophie scolastique. Or la philosophie scolastique nous le savons maintenant a été quelque chose de très grand. Ce sont les scolastiques qui ont accompli léducation philosophique de lEurope et ont créé notre terminologie, encore en usage ; ce sont eux, qui par leur travail, ont permis à lOccident de reprendre ou plus exactement de prendre contact avec luvre philosophique de lAntiquité. Aussi y a-t-il malgré les apparences, une continuité profonde entre la philosophie médiévale et la philosophie moderne. Descartes et Malebranche, Spinoza et Leibniz, ne font bien souvent que continuer luvre de leurs prédécesseurs médiévaux. Quant aux questions ridicules et oiseuses dont discutaient à perte de vue les professeurs et les élèves des universités de Paris, dOxford et du Caire, étaient-elles tellement plus ridicules et plus oiseuses que celles dont ils discutent aujourdhui ? Ainsi, quoi de plus ridicule que de se demander combien danges peuvent prendre place sur la pointe dune aiguille ? Ou encore, si lintellect humain est-il placé sur la Lune ou ailleurs ? Sans doute. Mais seulement tant que lon ne sait ou ne comprend pas ce qui est en jeu. Or ce qui est en jeu cest de savoir si lesprit, si un être ou un acte spirituel un jugement par exemple occupe oui ou non une place dans lespace Et cela nest plus ridicule du tout. De même pour lintellect humain. Car ce qui est en jeu dans cette doctrine bizarre des philosophes arabes, cest de savoir si la pensée la pensée vraie est individuelle ou non. Et si nous admirons Lichtenberg (1870-?) pour avoir affirmé quil vaudrait mieux employer une forme impersonnelle, et dire, non pas : je pense, mais : il pense en moi ; si nous acceptons, ou du moins discutons, les thèses durkheimiennes sur la conscience collective, à la fois immanente et transcendante à lindividu, je ne vois pas pourquoi laissant de côté la Lune nous ne traiterions pas avec tout le respect quelles méritent, les théories dAvicenne et dAverroès sur lunité de lintellect humain. La barbarie de la première époque et lessor de la seconde sexpliquent lune par labsence des rapports de lOccident avec lOrient hellénique devenu arabe, lautre par leur reprise La barbarie médiévale, économique et politique a eu pour origine bien moins la conquête du monde romain par des tribus germaniques que la rupture des relations entre lOrient et lOccident, le monde latin et le monde grec. Et cest la même raison le manque de rapports avec lOrient hellénique qui a produit la barbarie intellectuelle de lOccident. Comme cest la reprise de ces relations, cest-à-dire la prise de contact avec la pensée antique, avec lhéritage grec, qui a produit lessor de la philosophie médiévale. Certes, à lépoque qui nous occupe, cest-à-dire au Moyen Age, lOrient en dehors de Byzance nétait plus grec. Il était arabe. Aussi, ce sont les Arabes qui ont été les maîtres et les éducateurs de lOccident latin. [Koyré a souligné] maîtres et éducateurs et non seulement et simplement, ainsi quon le dit trop souvent, intermédiaires entre le monde grec et le monde latin. Car si les premières traductions duvres philosophiques et scientifiques grecques en latin furent faites, non pas directement du grec, mais à travers larabe, ce ne fut pas seulement parce quil ny avait plus ou encore personne en Occident à savoir du grec, mais encore et surtout, parce quil ny avait personne capable de comprendre des livres aussi difficiles que la Physique dAristote ou lAlmageste de Ptolémée et que, sans laide de Farabi, dAvicenne ou dAverroès, les Latins ny seraient jamais parvenus. Cest quil ne suffit pas de savoir du grec pour comprendre Aristote ou Platon cest là une erreur fréquente chez les philologues classiques il faut encore savoir de la philosophie. Or les Latins nen ont jamais su grand-chose. LAntiquité latine païenne a ignoré la philosophie. A défaut du monde romain, seul le monde arabe, peut se sentir et se dire héritier et continuateur du monde hellénistique Il est curieux de constater lindifférence presque totale du Romain pour la science et la philosophie. Il ne sintéresse quaux choses pratiques : lagriculture, larchitecture, lart de la guerre, la politique, le droit, la morale. Faute duvre scientifique ou philosophique, on trouvera Pline, cest-à-dire un certain nombre danecdotes et de racontars ; Sénèque, cest-à-dire un exposé consciencieux de la morale et de la physique stoïciennes encore que simplifiées à lusage des Romains ; Cicéron, cest-à-dire des essais philosophiques dun homme dilettante ; ou Macrobe, un manuel décole primaire. Cest vraiment étonnant, lorsquon y songe, que, ne produisant rien eux-mêmes, les Romains naient même pas éprouvé le besoin de se procurer des traductions. En effet, en dehors de deux ou trois dialogues traduits par Cicéron (dont le Timée) traduction dont presque rien nest parvenu jusquà nous ni Platon, ni Aristote, ni Euclide, ni Archimède, nont jamais été traduits en latin. Du moins à lépoque classique. Car, si lOrganon dAristote et les Ennéades de Plotin le furent, en fin de compte, ce nest que très tard et ce fut luvre des chrétiens[1]. On savait du grec, comme jadis, en Europe, on savait du français. Cependant, laristocratie était loin dêtre « grécisée » ; en dehors de cercles fort étroits, elle ne lisait ni Platon, ni Aristote, ni même les manuels stoïciens : cest pour elle, en effet, quécrivaient Cicéron et Sénèque. Cétait tout différent dans le monde arabe. Cest avec une ardeur surprenante, la conquête politique à peine achevée, que le monde arabe se lance à la conquête de la civilisation, de la science, de la philosophie grecques. Toutes les uvres scientifiques, toutes les uvres philosophiques seront, soit traduites, soit cest le cas pour Platon exposées et paraphrasées. Le monde arabe se sent, et se dit, héritier et continuateur du monde hellénistique. En quoi il a bien raison. Car la brillante et riche civilisation du Moyen Age arabe qui nest pas un Moyen Age mais plutôt une Renaissance est, en toute vérité, continuatrice et héritière de la civilisation hellénistique. Et cest pour cela quelle a pu jouer, vis-à-vis de la barbarie latine, le rôle éminent déducatrice qui a été le sien. Ce rôle, cependant, na pu sinscrire dans la durée du fait dune réaction violente de lorthodoxie islamique Le monde arabe, après avoir transmis à lOccident latin lhéritage classique quil avait recueilli, la lui-même perdu et même répudié. Mais, pour expliquer ce fait, on na pas besoin dinvoquer, ainsi que le font, bien souvent, les auteurs allemands et français une répugnance congénitale pour la philosophie. On peut expliquer les choses beaucoup plus simplement par linfluence dune réaction violente de lorthodoxie islamique qui, non sans raison, reprochait à la philosophie son attitude anti religieuse, et surtout par leffet dévastateur des vagues dinvasions barbares, turques, mongoles (berbères en Espagne) qui ont ruiné la civilisation arabe et ont transformé lIslam en une religion fanatique farouchement hostile à la philosophie. Si Koyré vient dinsister autant sur le rôle et sur limportance de lhéritage antique, cest parce quil sait que notre philosophie se rattache tout entière à la philosophie grecque En suivant les lignes tracées par celle-ci elle a réalisé des attitudes qui sy trouvaient prévues. Ses problèmes, ce sont toujours les problèmes du savoir et de lêtre posés par les Grecs. Cest toujours linjonction delphique à Socrate : Connais-toi toi-même, réponds aux questions : que suis-je ? et où suis-je ? cest-à-dire : quest-ce quêtre et quest-ce que le monde ? et enfin, quest-ce que je fais, et que dois-je faire, moi, dans ce monde ? Et selon quon donne à ces questions lune ou lautre réponse, selon quon adopte lune ou lautre attitude, on est platonicien, ou aristotélicien, ou encore plotinien. A moins toutefois quon ne soit stoïcien. Ou sceptique. Dans la philosophie du Moyen Age puisquelle est philosophie nous retrouvons facilement les attitudes typiques déjà mentionnées. Et pourtant, généralement parlant, la situation de la philosophie médiévale et celle bien entendu du philosophe sont assez différentes de celle de la philosophie antique. La philosophie médiévale quil sagisse de philosophie chrétienne, juive ou islamique se place, en effet, à lintérieur dune religion révélée. Le philosophe, à une exception près, celle notamment de laverroïste, est croyant. Aussi certaines questions sont-elles pour lui résolues davance. Ainsi, comme le dit très pertinemment Etienne Gilson[2], le philosophe antique peut se demander sil y a des Dieux et combien il y en a. Au Moyen Age et grâce au Moyen Age, il en est de même dans les Temps modernes on ne peut plus se poser des questions pareilles. On peut, sans doute se demander si Dieu existe ; plus exactement on peut se demander comment on peut en démontrer lexistence. Mais la pluralité des Dieux na plus aucun sens : tout le monde sait que Dieu quil existe ou non ne peut être quunique. En outre, tandis que Platon ou Aristote se forment librement leur conception de Dieu, le philosophe médiéval sait, généralement parlant, que son Dieu est un Dieu créateur, conception très difficile, ou peut-être même impossible, à saisir par la philosophie[3]. En face de lenseignement religieux, le philosophe doit prendre parti. Il lui faut, en outre, en face de la religion justifier son activité philosophique ; et dun autre côté, il lui faut, en face de la philosophie justifier lexistence de la religion. Cela crée, évidemment une situation extrêmement tendue et compliquée. Fort heureusement dailleurs, car cest cette tension et cette complication dans les rapports entre la philosophie et la religion, entre la raison et la foi, qui ont nourri le développement philosophique de lOccident. Et pourtant malgré cette situation, toute nouvelle, dès quun philosophe quil soit juif, musulman ou chrétien aborde le problème central de la métaphysique, celui de lÊtre et de lessence de lÊtre, il retrouve dans son Dieu Créateur le Dieu-Bien de Platon, le Dieu-Pensée dAristote, le Dieu-Un de Plotin. Laristotélisme face au platonisme La philosophie médiévale, le plus souvent, nous est présentée comme dominée entièrement par Aristote parce quil y fait autorité et quil est facile à enseigner Cest vrai, sans doute, pais pour une période déterminée seulement[4]. Et pour celle-ci la raison est assez facile à comprendre. Dabord, Aristote fut le seul philosophe grec dont luvre tout entière du moins toute celle qui était connue dans lAntiquité ait été traduite en arabe et plus tard en latin. Celle de Platon neut pas cet honneur et fut donc moins bien connue. Ceci non plus nest pas un simple effet du hasard. Luvre dAristote forme une véritable encyclopédie du savoir humain. En dehors de la médecine et des mathématiques on y trouve tout : logique ce qui est dune importance capitale physique, astronomie, métaphysique, sciences naturelles, psychologie, «éthique, politique Il nest pas étonnant que, pour le second Moyen Age, ébloui et écrasé par cette masse de savoir, subjugué par cette intelligence vraiment hors ligne, Aristote soit devenu le représentant de la vérité, le sommet et la perfection de la nature humaine, le prince di color che sanno, comme dira Sante. Le prince de ceux qui savent. Et surtout de ceux qui enseignent. Car Aristote, en plus, est une aubaine pour le professeur. Aristote enseigne et senseigne ; se discute et se commente. Aussi nest-il pas étonnant que, une fois introduit dans lécole, il y prit immédiatement racine (dailleurs, en tant quauteur de la logique, il y était déjà depuis toujours, et quaucune force humaine nait pu len chasser. Les interdictions [celles du Vatican concernant la Physique], les condamnations restèrent lettre morte. On ne pouvait enlever Aristote aux professeurs sans leur donner quelque chose à la place. Or, jusquà Descartes, on navait rien, absolument rien, à leur donner. Si Aristote senseigne bien, Platon en revanche senseigne mal et il est bientôt néo-platonisé (cest-à-dire porté à la connaissance en seconde main) La forme dialoguée nest pas une forme scolaire. Sa pensée est sinueuse, difficile à saisir, et souvent présuppose un savoir scientifique considérable, et donc assez peu répandu. Cest pourquoi sans doute, dès la fin de lAntiquité classique, Platon nest plus étudié en dehors de lAcadémie. Où dailleurs, il est moins étudié quinterprété. Ces-à-dire transformé. Partout ailleurs, cest le manuel qui remplace le texte. Le manuel comme nos manuels à nous assez éclectique, syncrétiste, inspiré par le stoïcisme et le néo-platonisme. Cest pourquoi, dans la tradition historique, Platon apparaît en quelque sorte néo-platonisé. Pas seulement chez les Arabes qui bien souvent le confondent avec Plotin, mais aussi chez les Latins, et même chez les Grecs byzantins qui le voient à travers les commentaires, ou les manuels néo-platoniciens. Et pourtant, à travers les écrits néo-platoniciens, à travers Cicéron, Boèce, et surtout et avant tout, à travers luvre grandiose et magnifique de saint Augustin, certains thèmes, certaines doctrines, certaines attitudes subsistent qui, sans doute transposées et transformées par le cadre religieux dans lequel ils sinsèrent, persistent et nous permettent de parler dun platonisme médiéval. Et même daffirmer que ce platonisme qui a inspiré l a pensée médiévale latine aux XIe et XIIe siècles, na pas disparu avec larrivée triomphale dAristote dans les Ecoles. En fait, le plus grand des aristotéliciens chrétiens, saint Thomas, et le plus grand des platoniciens, saint Bonaventure sont exactement contemporains. Cependant, Platon est également connu directement par le Timée, traduit en latin et commenté par le philosophe néo-platonicien Chalcidius (au IVe siècle) Le Timée cest lhistoire ou si lon préfère, le mythe de la création du monde. Platon y raconte comment le Démiurge, ou le Dieu Suprême, après avoir formé dans un cratère un mélange du Même et de lAutre ce qui veut dire, en loccurrence, du permanent et du changeant en forme lAme du Monde, perdurante et mobile à la fois, les deux cercles du Même et de lAutre (cest-à-dire, les cercles du Zodiaque et de lEcliptique) qui, par leurs révolutions circulaires, déterminent les mouvements du monde sublunaire. Les dieux inférieurs, les dieux astraux, les âmes, sont formés avec ce qui reste. Ensuite, en découpant dans lespace des petits triangles, Dieu en forme des corps élémentaires et, de ces éléments, les corps réels, les plantes, les animaux, lhomme, étant dans son travail aidé par laction des dieux inférieurs. Curieux mélange de cosmogonie mythique et de mécanique céleste, de théologie et de physique mathématique Louvrage eut une vogue considérable ; les bibliothèques européennes sont pleines de manuscrits et de commentaires inédits du Timée. Il inspira lenseignement de lEcole de Chartres ; des poèmes ; les encyclopédies médiévales ; des uvres dart. Sans doute la notion de Dieux inférieurs était-elle choquante ; mais il suffisait de les remplacer par des anges pour rendre le Timée acceptable. En Orient, la vogue du Timée fut aussi grande quelle le fut en Occident et la doctrinepolitiquedePlaton prit place dans la pensée arabe grâce à Farabi (Xe s.) Il inspira notamment, ainsi que la récemment montré M. Kraus[5], une bonne partie de lalchimie arabe. Ainsi, par exemple, la doctrine de la transformation des métaux de Jâbir [né vers lan 800] que nous appelons Geber est fondée tout entière sur latomisme mathématique du Timée. Les alchimistes sévertuent à calculer le poids spécifique des métaux, en se basant sur des considérations visiblement inspirées par luvre de Platon. Avec peu de succès assurément. Mais ce nétait pas de leur faute. Lidée était bonne. Nous nous en apercevons aujourdhui. Le Timée ne contient sans doute pas tout le platonisme. Il présente cependant certaines de ses doctrines fondamentales : celle des Idées-Formes notamment, ainsi que la séparation du monde sensible et du monde intelligible ; en effet, cest en sinspirant des modèles éternels que le Démiurge construit notre monde. En même temps, le Timée offre un essai de solution par laction divine du problème des rapports entre les idées et le réel sensible. Il est compréhensible que les philosophes médiévaux y aient vu une doctrine fort acceptable et bien compatible avec la notion de Dieu-créateur. On peut même dire inversement que la notion de Dieu-créateur senrichit et se précise, grâce au Timée, par celle dun plan idéal préconçu par lui de toute éternité. Le monde arabe sans le connaître très bien a, tout de même connu Platon, beaucoup mieux que ne purent le connaître les Latins. Il connaissait en particulier sa doctrine politique. Aussi, comme la bien montré Léo Strauss[6], dès Farabi (872-930), le plus mal connu, mais peut-être le plus grand philosophe de lIslam, la doctrine politique de Platon prend place dans la pensée arabe. La doctrine politique de Platon culmine, on le sait bien, dans la double idée de la Cité idéale et du Chef idéal de la Cité, le roi philosophe qui contemple lidée du Bien, les essences éternelles du monde intelligible, et fait régner la loi du Bien dans la Cité. Dans la transposition farabienne, le Cité idéale devient la Cité de lIslam ; la place du roi-philosophe est prise par le prophète. Cest déjà assez clair chez Farabi. Cest, sil était possible, encore plus clair chez Avicenne qui décrit le prophète ou lImam comme le roi-philosophe, le Politique de Platon. Rien ny manque même pas le mythe de la Caverne où retourne le voyant. Le prophète, le toi-philosophe et cest là sa supériorité sur le philosophe tout court est le philosophe, homme daction, qui sait ce dont nest pas capable le philosophe traduire lintuition intellectuelle en termes dimagination et de mythe, en termes accessibles au commun des mortels. Le prophète le roi-philosophe est donc le législateur de la Cité ; le philosophe, lui, ne sait quinterpréter la loi du prophète et en découvrir le sens philosophique ; cest cela qui explique, en dernière analyse la concordance de la pensée philosophique et de la loi bien comprise.Curieuse utilisation de la doctrine de Platon en faveur de lautocratie du Commandeur des croyants. Chose plus curieuse encore, lutilisation théologico-politique du platonisme par les penseurs de lIslam et de laristotélisme par ceux de lEurope La prophétologie dAvicenne va, à son tour, être utilisée pour étayer les prétentions de la papauté à la théocratie universelle ; et le moine franciscain Roger Bacon va froidement copier Avicenne en appliquant tout tranquillement, au pape ce quil nous dit de lImam. Ceci, cependant, reste un cas isolé et à côté du droit romain et de Cicéron cest Aristote qui fit léducation politique de lEurope. Lutilisation de la République de Platon par les penseurs politiques de lIslam et celle de la Politique dAristote par ceux de lEurope est un fait extrêmement curieux, et plain de conséquences importantes. Le platonisme médiéval (comme doctrine ou attitude métaphysique et morale) Lattirance exercée par le platonisme ou le néoplatonisme sur une pensée religieuse va, pour ainsi dire, de soi Comment, en effet, ne pas reconnaître linspiration profondément religieuse de Platon ? ne pas voir dans son Dieu qui nee fallit nee fallitur, son Dieu qui est le Bien transcendant lui-même, soit le Démiurge qui forme lUnivers pour le bien et qui, à vrai dire, ne crée que le bien, comment ne pas y voir quelque chose danalogue au Dieu des religions de la Bible ? Le thème de lâme naturellement chrétienne ou islamique thème constant chez les penseurs du Moyen Age, peut-il trouver une preuve plus belle que lexemple de Platon ? Et quant à Plotin, comment une âme mystique pourrait-elle ne pas chercher à identifier le Dieu transcendant de la religion avec lUn, transcendant à lÊtre et à la Pensée, du dernier des grands philosophes grecs ? Aussi tous les mysticismes, dès quils deviennent spéculatifs, dès quils veulent se penser et non seulement se vivre, se tournent naturellement, et même inévitablement vers Plotin. Cest par la lecture de livres platoniciens que saint Augustin fut amené à Dieu. Cest dans ces livres, ainsi quil nous le raconte lui-même dans des pages inoubliables, que son âme tourmentée et inquiète, bouleversée par le spectacle du mal régnant dans le monde au point dadmettre lexistence dun Dieu du Mal, dun Dieu méchant à côté dun Dieu bon, avait appris quil ny a quun seul Dieu. Ce sont les platoniciens qui avaient enseigné à saint Augustin que Dieu est le Dieu créateur lui-même, source inépuisable de perfection et de beauté. Le Dieu des platoniciens le même, selon saint Augustin, que celui de la religion chrétienne cest là le bien que, sans le savoir, a toujours cherché son cur angoissé : le bien de lâme, le seul bien éternel et immuable, le seul qui vaille la peine dêtre poursuivi « Quest-ce que tout cela qui nest pas éternel » répète saint Augustin, et lécho de ses paroles ne sera jamais oublié en Occident. Quinze siècles plus tard, un autre penseur, antibiblique celui-ci, Spinoza, nous parlera encore de Dieu, seul bien dont la possession remplit lâme dun bonheur éternel et immuable. La primauté de lâme Lâme, voilà le grand mot des platoniciens, et toute la philosophie platonicienne est toujours, finalement, centrée sur lâme Inversement, toute philosophie centrée sur lâme est toujours une philosophie platonicienne. Le platonicien médiéval est, en quelque sorte, ébloui par son âme, par le fait den avoir une ou, plus exactement, par le fait dêtre une âme. Et, lorsque suivant le précepte socratique, le platonicien médiéval cherche la connaissance de soi, cest la connaissance de son âme quil cherche, et cest dans la connaissance de son âme quil trouve sa félicité. Lâme, pour le platonisme médiéval, est quelque chose de tellement plus haut, de tellement plus parfait, que le reste du monde , quà vrai dire, avec ce reste, elle na plus de mesure commune. Aussi, nest-ce pas vers le monde et son étude, cest vers lâme que doit se tourner la philosophie. Car cest là, dans lintérieur de lâme, quhabite la vérité. Rentre dans ton âme, dans ton for intérieur, nous enjoint saint Augustin. Et ce sont à peu près les mêmes termes que nous trouvons au XIe siècle, sous la plume de saint Anselme, comme encore deux siècles plus tard, sous celle de saint Bonaventure. La vérité habite à lintérieur de lâme on reconnaît lenseignement de Platon ; mais la vérité pour le platonisme médiéval ; cest Dieu même, vérité éternelle et source de toute vérité, soleil et lumière du monde intelligible ; encore un texte, une image platonicienne qui revient constamment dans la philosophie médiévale et qui permet, à coup sûr, de déceler lesprit et linspiration de Platon. La vérité est Dieu ; cest donc Dieu lui-même qui habite notre âme, plus proche de lâme que nous nen sommes nous-mêmes. Aussi comprend-on le désir du platonicien médiéval de connaître son âme, car connaître son âme dans le sens plein et entier du terme, cest déjà presque connaître Dieu. Deum et animam scire cupio, soupire saint Augustin, Dieu et lâme car on ne peut connaître lun sans connaître lautre ; noverim me, noverim te, car et cest là une notion dune importance capitale, décisive pour le platonicien médiéval, inter Deum et animam nulla est interposita natura ; lâme humaine est donc, littéralement, une image, une similitude de Dieu. Cest pour cela, justement quelle ne peur se connaître entièrement[7]. Le domaine des idées La pensée, la volonté propre de lhomme, cest lâme seule qui en est douée On comprend bien quune telle âme ne soit pas, à proprement parler, unie au corps. Elle ne forme pas avec lui une unité indissoluble et essentielle. Sans doute est-elle dans le corps. Mais elle y est « comme le pilote est dans le navire » : il le commande et le guide, mais dans son être il ne dépend pas de lui. Il en est de même en ce qui concerne lhomme. Car lhomme, pour le platonicien médiéval, nest rien dautre quune anima immortalis mortali utens corpore, une âme affublée dun corps. Elle en use, mais en elle-même, elle est indépendante et plutôt gênée et entravée plutôt quaidée par lui dans son action. En effet, lactivité propre de lhomme, la pensée, la volonté, cest lâme seule qui en est douée. A tel point que, pour le platonicien, il ne faudrait pas dire : lhomme pense, mais lâme pense et perçoit la vérité. Or, pour cela, le corps ne lui sert à rien. Bien au contraire, il sinterpose comme un écran entre elle et la vérité[8]. Lâme na pas besoin du corps pour connaître et se connaître elle-même. Cest immédiatement et directement quelle se saisit. Sans doute ne ce connaît-elle pas pleinement et entièrement dans son essence. Néanmoins son existence, son être propre, est-il ce quil y a de plus sûr et de plus certain au monde. Cest là quelque chose qui ne peut pas être mis en doute. La certitude de lâme pour elle-même, la connaissance directe de lâme par elle-même ce sont là des traits fort importants. Et bien platoniciens. Aussi, si nous nous trouvons en face dun philosophe qui nous explique quun homme, dépourvu et privé de toutes sensations externes et internes se connaîtra quand même dans son être, dans son existence, nhésitons pas : même sil nous dit le contraire, ce philosophe est un platonicien[9]. Lilluminisme Ainsi, en se connaissant elle-même, si peu que ce soit, elle connaît Dieu Elle connaît ainsi Dieu puisquelle est son image, si imparfaite et si lointaine soit-elle, et dans la lumière divine qui linonde, elle connaît tout le reste. Du moins tout ce qui puisse être connu par elle et qui vaille la peine dêtre connu. La lumière divine qui illumine tout homme venant au monde, lumière de vérité qui émane du Dieu-vérité, soleil intelligible du monde des idées, imprime à lâme le reflet des idées éternelles, idées de Platon devenues des idées de Dieu, idées selon lesquelles Dieu a créé le monde ; idées qui sont devenues les archétypes, les modèles, les exemplaires éternels des choses changeantes et fugitives dici-bas. Aussi nest-ce-pas en étudiant ces choses-là les objets du monde sensible que lâme connaîtra la vérité. La vérité des choses sensibles nest pas en elle : elle est dans leur conformité aux essences éternelles, aux idées éternelles de Dieu. Cest celles-ci qui sont lobjet véritable du savoir vrai : ces idées, cest lidée de la perfection, lidée du nombre ; cest vers elle que doit se porter la pensée en se détournant du monde donné à nos sens (le platonicien est toujours porté vers les mathématiques, et la connaissance mathématique est toujours pour lui le type même du savoir). A moins quelle ne perçoive dans la beauté de ce monde sensible, la trace, le vestige, le symbole de la beauté surnaturelle de Dieu. Les preuves de lexistence de Dieu prennent, dans cette pensée établie autour de lâme, image divine, une tournure extrêmement caractéristique Le philosophe utilisera sans doute la preuve qui affirme lexistence du Créateur en partant de celle de la créature ; ou celle qui, de lordre, de la finalité régnant dans le monde conclut à lexistence dun ordonnateur suprême. En dautres termes, les preuves qui se basent sur les principes de causalité et de finalité. Mais ces preuves-là ne disent pas grand-chose à lesprit du platonicien médiéval. Une bonne démonstration doit être construite tout autrement. Elle ne doit pas partir du monde matériel et sensible : pour le platonicien, en effet, il est à peine, il nest que dans la mesure très faible où, dune manière très lointaine et très imparfaite, il reflète quelque chose de la splendeur et de la gloire de Dieu ; dans la, mesure même où il est un symbole. Concevoir Dieu comme créateur du monde matériel, éphémère et fini, pour le platonicien cest le concevoir dune manière très pauvre, trop pauvre. Lapriorisme Une démonstration digne de ce nom doit se fonder sur la réalité de lâme ou de celle des idées Et comme les idées ou leurs reflets se retrouvent dans lâme, on peut dire que, pour le platonicien médiéval, lItinerarium mentis in Deum passe toujours par lâme. Une preuve platonicienne, cest la preuve par les degrés de perfection, preuve qui, du fait de ces degrés, conclut à lexistence de la perfection suprême et infinie, mesure et source de la perfection partielle et finie. Une preuve platonicienne, cest la preuve que Koyré a déjà mentionnée, par lidée de la vérité, preuve qui, de lexistence de vérités fragmentaires, particulières et partielles, conclut à celle dune vérité absolue et suprême, dune vérité infinie. Perfection absolue, vérité absolue, être absolu : pour le platonicien cest ainsi que lon conçoit le Dieu infini. Dailleurs, nous enseigne saint Bonaventure, on na pas besoin de sarrêter à ces preuves « par degrés », le fini, limparfait, le relatif impliquent directement (dans lordre de la pensée comme dans celui de lêtre) labsolu, le parfait, linfini. Cest pour cela justement que, tout finis que nous soyons, nous pouvons concevoir Dieu et, comme nous la appris saint Anselme, démontrer lexistence de Dieu à partir de son idée même : il suffit dinspecter, en quelque sorte, lidée de Dieu que nous trouvons dans notre âme pour voir immédiatement que Dieu, perfection absolue et suprême, ne peut pas ne pas être. Son être et même son être nécessaire, est en quelque sorte inclus dans sa perfection qui ne peut être pensée comme non existante. Conclusion La primauté de lâme, la doctrine des idées, lilluminisme qui supporte et renforce linnéisme de Platon, le monde sensible conçu comme un pâle reflet de la réalité des idées, lapriorisme, et même mathématisme voilà un ensemble de traits qui caractérisent le platonisme médiéval. Laristotélisme médiéval (comme doctrine ou attitude métaphysique et morale) La propagation de laristotélisme au Moyen Age Il a déjà été dit que le platonisme du Moyen Age, celui dun saint Augustin, dun Roger Bacon ou dun saint Bonaventure, nétait pas, il sen faut de beaucoup, le platonisme de Platon. De même laristotélisme, même celui dAverroès et, a fortiori, celui dun Avicenne, pout ne parler que des philosophes du Moyen Age occidental, laristotélisme de saint Albert le Grand, de saint Thomas ou de Siger de Brabant nétait pas, non plus, celui dAristote. Ceci, dailleurs, est normal. Les doctrines changent et se modifient au cours de leur existence historique ; tout ce qui vit est soumis au temps et au changement. Les choses mortes et disparues seules restent immuablement les mêmes. Laristotélisme médiéval ne pouvait être celui dAristote ne fût-ce que parce quil vivait dans un monde différent ; dans un monde dans lequel, ainsi quil a été dit plus haut, on savait quil ny avait et ne pouvait y avoir quun seul Dieu. Les écrits aristotéliciens arrivent en Occident dabord par lEspagne, en traductions faites sur larabe, puis en versions faites directement sue le grec au cours du XIIIe siècle. Peut-être même vers la fin du XIIe. Dès 1210, en effet, lautorité ecclésiastique interdit la lecture cest-à-dire létude de la Physique dAristote. Preuve certaine quelle était connue depuis un temps suffisamment long déjà pour que les effets néfastes de son enseignement se fassent sentir. Linterdit est resté lettre morte : la diffusion dAristote va de pair avec celle des écoles, ou plus exactement avec celle des Universités. Ceci nous révèle un fait important : le milieu dans lequel se propage laristotélisme nest pas le même que celui qui absorbait les doctrines platoniciennes de laugustinisme médiéval ; et lattrait quil exerce nest pas le même non plus. Laristotélisme, vient-il dêtre dit, se propage dans les Universités. Il sadresse à des gens avides du savoir. Il est science avant dêtre autre chose, avant même dêtre philosophie, et cest par sa valeur propre de savoir scientifique, et non par sa parenté avec une attitude religieuse quil simpose. Laristotélisme apparu demblée comme incompatible aux vérités de la religion révélée[10], a dû être interprété Ainsi comprend-on fort bien que lautorité, ou que lorthodoxie, religieuse ait partout condamné Aristote. Et que les philosophes du Moyen Age aient été obligés de linterpréter, cest-à-dire de le repenser dans un sens nouveau, compatible avec le dogme religieux. Effort qui na que partiellement réussi à Avicenne[11], mais qui a brillamment réussi à saint Thomas : aussi Aristote, christianisé en quelque sorte par saint Thomas, est-il devenu la base de lenseignement en Occident. Ce nest pas lâme quétudie laristotélisme, mais le monde Cest le monde physique et les sciences naturelles. Car le monde, pour laristotélicien, ce nest pas le reflet à peine consistant de la perfection divine, livre symbolique dans lequel on peut déchiffrer et en encore bien mal ! la gloiredelEternel ;le monde sest, en quelque sorte, solidifié. Cest un « monde », une nature, ou un ensemble, hiérarchisé et bien ordonné, de natures, ensemble très stable et très ferme, et qui possède un être propre, qui le possède même en propre. Sans doute pour un aristotélicien médiéval, cet être est-il dérivé de Dieu, causé par Dieu et même créé par Dieu ; mais cet être que Dieu lui confère, une fois reçu, le monde, la nature, la créature le possède. Il est à elle, il nest plus à Dieu. Sans doute ce monde et les êtres de ce monde est-il mobile et changeant, soumis au devenir, à lécoulement du temps : sans doute soppose-t-il par là-même à lêtre immuable et supratemporel de Dieu ; mais tout mobile et temporel quil soit, le monde nest plus éphémère, et sa mobilité nexclut aucunement la permanence. Bien au contraire : on pourrait dire que, pour laristotélicien, plus ça change, plus cest la même chose ; car si les individus changent, paraissent et disparaissent dans le monde, le monde, lui, ne change pas : les natures restent les mêmes. Cest même pour cela quelles sont des natures. Et cest pour cela que la vérité des choses est en elles. Lesprit de laristotélicien nest pas, comme celui du platonicien médiéval, tourné spontanément vers lui-même ; il est naturellement braqué sur les choses. Aussi ce sont les choses, lexistence des choses, qui est ce quil y a de plus sûr pour lui. Lacte premier et propre de lesprit humain nest pas la perception de soi-même ; cest la perception dobjets naturels, de chaises, de tables, dautres hommes. Ce nest que par un détour, une contorsion, ou un raisonnement, quil arrive à se saisir et à se connaître lui-même. Laristotélicien a sans doute une âme ; mais certainement, il nest pas une âme : il est un homme Aussi, à la question socratique, à la question : que suis-je ? cest-à-dire quest-ce que lhomme ? donnera-t-il une réponse tout autre que ne la fait le platonicien. Lhomme nest pas une âme enfermée dans le corps, âme immortelle dans un corps mortel : cest là une conception qui, selon laristotélisme, brise lunité de lêtre humain ; lhomme est un animal rationale mortale, un animal rationnel et mortel. Autrement dit, lhomme nest pas quelque chose détranger et en tant quâme dinfiniment supérieur au monde ; il est une nature parmi dautres natures, une nature qui, dans la hiérarchie du monde, occupe une place à elle. Une place assez élevée sans doute, mais qui se trouve cependant dans le monde. Autant la philosophie du platonicien est centrée sur la notion dâme, autant celle de laristotélicien est centrée sur celle de nature. Or la nature humaine embrasse son corps autant quelle embrasse lâme ; elle est lunité des deux. Aussi les actes humains sont-ils tous, ou presque, des actes mixtes ; et dans tous, ou presque il faudra revenir plus tard sur lexception le corps intervient comme un facteur intégrant, indispensable et nécessaire. Privé de son corps, lhomme ne serait plus un homme ; mais il ne serait pas un ange non plus. Réduit à nêtre quune âme, il serait un être incomplet et imparfait. Ne pas lavoir compris, cest là lerreur du platonicien. Dailleurs quest-ce que lâme ? Selon une définition célèbre, cest la forme du corps organisé ayant la vie en puissance ; définition qui exprime admirablement la corrélation essentielle entre la forme, lâme et la matière, le corps, dans le composé humain. Aussi, si rien nest plus facile pour un platonicien que de démontrer limmortalité de lâme, tellement elle est, dès le début, conçue comme quelque chose de complet et de parfait[12], rien nest plus difficile pour un aristotélicien. Et ce nest quen devenant infidèle à lesprit de laristotélisme historique ou si lon préfère, en réformant et en transformant sur ce point (comme sur dautres) laristotélisme dAristote en créant une espèce nouvelle de formes substantielles pouvant se passer de matière, que saint Thomas a pu se conformer à la vérité de la religion. Pour laristotélicien, si pas de sensation pas de science Il nous faut revenir à lhomme et à ses actes. Lhomme, comme on la déjà vu, est, par sa nature, un être mixte, un composé dâme et de corps. Or, tous les actes dun être doivent être conformes à sa nature. Lacte propre de lhomme, la pensée, la connaissance ne peut donc ne pas engager toute sa nature, cest-à-dire don corps et son âme à la fois. Aussi non seulement la pensée humaine se révèlera-t-elle à nous comme débutant par la perception des choses matérielles, et donc par la perception sensible, mais cet élément en formera un moment nécessaire et intégrant. Pour laristotélisme, le domaine du sensible est le domaine propre de la connaissance humaine. Pas de sensation, pas de science. Sans doute lhomme ne se borne-t-il pas à sentir il élabore la sensation. Il se souvient, il imagine, et par ces moyens déjà, il se libère de la nécessité de la présence effective de la chose perçue. Puis, à un degré supérieur, son intellect abstrait la forme de la chose perçue de la matière dans laquelle elle est naturellement engagée, et cest cette faculté dabstraction, la capacité de penser abstraitement, qui permet à lhomme de faire de la science et le distingue des animaux. La pensée abstraite de la science est très loin de la sensation. Mais le lien subsiste. Aussi les êtres spirituels sont-ils inaccessibles à la pensée humaine, du moins directement et ne peuvent être atteints par elle que par le raisonnement. Ceci vaut pour tous les êtres spirituels, jusques et y compris lâme humaine. Ainsi, tandis que lâme platonicienne se saisissait elle-même immédiatement et directement, cest par le raisonnement seulement que lâme aristotélicienne parvient à se connaître, par une espèce de raisonnement causal de leffet à la cause, de lacte à lagent. Et de même que lâme augustinienne image de Dieu avait ou trouvait en elle-même quelque chose qui lui permettait de concevoir Dieu, de se former une idée bien imparfaite sans doute et lointaine, mais quand même une idée de Dieu, son archétype et son original, cette voie est complètement fermée pour laristotélicien. Cest seulement par raisonnement, par raisonnement causal, quil peut atteindre Dieu, penser et démontrer son existence. Ainsi toutes les preuves de lexistence de Dieu sont-elles fondées sur des considérations causales et partent-elles toutes de lexistence des choses, du monde extérieur. On pourrait même aller plus loin : cest en prouvant lexistence de Dieu que laristotélicien en acquiert la notion. Cest, nous lavons vu, exactement le contraire pour le platonicien. Pour laristotélicien, les preuves de lexistence de Dieu démontrent son existence en tant que cause première et fin dernière des êtres Elles se fondent sur limpossibilité de prolonger sans fin une série causale[13], de remonter sans fin de leffet à la cause : il faut sarrêter quelque part, poser une cause qui, elle-même, nest plus causée, nest plus un effet. On peut raisonner dune manière analogue en construisant une série non plus de causes (efficientes), mais de fins : il faudra poser quelque part une fin dernière, une fin en soi. On peut aussi examiner certains aspects particuliers de la relation causale, à partir du phénomène éminemment important du mouvement : dans laristotélisme, en effet, tout se meut, et rien ne se meut de soi-même, tout mouvement présuppose un moteur. Alors, de moteur en moteur, on arrivera au dernier, ou premier moteur immobile, lequel se révélera être en même temps la fin première ou dernière des êtres ; on peut enfin argumenter à partir de la contingence des êtres preuve préférée dAvicenne et faire voir que la série des êtres contingents ne peut se prolonger indéfiniment, et quon doit laccrocher quelque part à un être non contingent, cest-à-dire nécessaire[14]. On le voit bien, toutes ces preuves sauf peut-être celle qui nous présente Dieu comme fin dernière des êtres, bien suprême et lobjet dernier, ou premier, de leur désir ou de leur amour ne nous le présentent que comme cause, même pas nécessairement créatrice, du monde. Et on se souvient combien cela paraissait insuffisant au platonicien. Sans doute retrouvons-nous chez laristotélicien, les preuves par les degrés de perfection et de lêtre Mais là encore, tandis que le platonicien sautait en quelque sorte directement du relatif à labsolu, du fini à linfini, cest par degrés que procède laristotélicien en se fondant là encore, sur limpossibilité dune série infinie. Aussi Duns Scot, le parfait et subtil logicien de lEcole beaucoup plus platonicien au fond quon ne le croit dhabitude estime-t-il que ces preuves naboutissent pas et ne peuvent pas aboutir. On ne peut, en partant du fini, et en sappuyant sur le principe quil faut sarrêter quelque part, démontrer lexistence dun Dieu infini. Aristote le fait, sans doute. Mais aussi Avicenne. Mais dune part Avicenne nest pas, ainsi que Duns Scot le remarque très bien, un aristotélicien de stricte observance : Avicenne est un croyant. En outre, Avicenne aussi bien quAristote suppose expressément un monde éternel : il faut bien un moteur infini pour pouvoir entretenir éternellement le mouvement. Mais si le monde nest pas éternel et sil est fini , un moteur fini suffit amplement Enfin, plus logique quAvicenne, Aristote ne fait pas de son Dieu moteur un Dieu créateur. Avicenne et aussi saint Thomas, partent dun Dieu créateur ; cest pour cela aussi quils y aboutissent : lun étant musulman et lautre chrétien, ils transforment, consciemment ou non, la vraie philosophie dAristote. Koyré donne raison à Duns Scot. Peu nous importe dailleurs. Laristotélisme médiéval nest pas celui dAristote ; il est dominé, transformé, transfiguré par lidée religieuse du Dieu créateur, du Dieu infini. Il est néanmoins suffisamment fidèle à lenseignement de son maître pour sopposer et même violemment aux théories du platonisme médiéval. Sans doute accepte-t-il la conception platonicienne et néoplatonicienne didées éternelles dans lesprit de Dieu. Mais ces idées-là, ce sont des idées divines ; ce ne sont pas les nôtres ; et aucune lumière ne parvient delles à nous. Pour nous éclairer, nous avons notre lumière, notre lumière humaine, lintelligence qui est nôtre. Sans doute, nous vient-elle de Dieu, comme toute chose dailleurs. Si cette image est permise : ce nest pas un miroir qui reflète la lumière divine, cest une lampe que Dieu a allumée en nous et qui luit maintenant de sa propre lumière. Cette lumière nous suffit amplement pour nous permettre déclairer de connaître le monde et de nous diriger dans le monde. Cest pour cela dailleurs, quelle est faite. Elle suffit également pour prouver, à laide de raisonnements comme ceux qui viennent dêtre esquissés, lexistence dun Dieu créateur. Elle ne suffit pas pour nous permettre de nous en former une idée véritable. Une idée qui rendrait valable pour nous les arguments du platonicien. Ainsi la preuve par lidée la preuve anselmienne serait-elle bonne pour un ange, cest-à-dire pour un être purement spirituel, un être qui la posséderait, cette idée de Dieu que présuppose saint Anselme. Elle ne vaut rien pour nous qui ne la possédons pas. On voit bien, cest toujours la même chose, la même idée centrale : nature humaine, pensée humaine, et si lon étudiait la morale, ce serait : conduite humaine Nature, pensée, conduite dun être composite, dun être dont lâme est intimement et presque indissolublement liée à son corps. Or, chose curieuse, il y a un point où cest laristotélicien infidèle à son maître, saint Thomas, qui, contre celui-ci rétablit lunité. Laristotélicien a un respect profond de la pensée vraie Il lexplique autrement que Platon ; il nous la montre sélaborant péniblement et lentement à partir de la sensation brute. Au fond, il ne len estime que davantage. Et quun être humain, cest-à-dire composite, puisse parvenir à la pensée vraie, puisse atteindre à la vérité scientifique et même métaphysique, cela le plonge dans un ravissement et dans un étonnement sans bornes. Car la pensée, pour laristotélicien, est lessence même de Dieu. Son Dieu, on le sait bien est pensée pure, pensée qui se pense elle-même, parce quelle ne trouve nulle part ailleurs dobjet digne dêtre pensé par elle. Or, dans lhomme, la pensée est aussi quelque chose de divin. Ou presque. Car laristotélicien a beau nous la montrer sélaborant à partir du sensible, ainsi quil vient dêtre dit ; il constate néanmoins, quà un certain moment, à un certain degré, le sensible est entièrement dépassé. La pensée celle du philosophe, du métaphysicien, la pensée qui saisit et formule les lois essentielles de lÊtre et de la Pensée qui prend conscience delle-même est une activité purement et entièrement spirituelle. Alors, comment peut-elle appartenir à un être humain ? Lintellect agent, est pur et immortel, est séparé et nous vient du dehors Des générations de commentateurs se sont escrimées sur ce dire, en en proposant les interprétations les plus diverses et les plus invraisemblables. En gros, il ny a que deux solutions possibles : celle dAlexandre dAphrodise (qui dirigea le Lycée de 198 à 211) que en la modifiant adopteront les Arabes, et celle de Thémistios (rhéteur grec 324-388) que en lélaborant et en la parachevant adoptera saint Thomas (1228-1274). Précisons brièvement ce quest « lintellect agent ». Il est incontestable quil y a, dans notre pensée, un élément actif et un aspect passif. Aristote distingue donc en nous deux intellects : intellect agent, et intellect patient. Le premier est celui du maître, le second, celui de lélève. Le premier est celui qui enseigne, le second celui qui apprend ; le premier est celui qui donne, le second celui qui reçoit. Aristote, contrairement à Platon qui enseigne que lon ne peut rien apprendre que ce que lon sait déjà, estime quon ne peut rien savoir que ce quon a appris. Et aussi quon ne peut apprendre quelque chose que sil y a quelquun qui la appris avant nous, qui le sait et qui nous transmet nous impose son savoir. Cest pourquoi la pensée que Platon interprète comme un dialogue de lâme avec elle-même, dialogue qui lui fait découvrir par elle-même, en elle-même, la vérité qui lui est innée est conçue par le Stagirite sur le modèle dune leçon. Une leçon que lon fait à soi-même, cest-à-dire une leçon que lintellect agent fait au patient. Or, il est déjà assez difficile dêtre élève, dapprendre et de comprendre la vérité des sciences, de la métaphysique. Mais linventer, la découvrir par ses forces propres ? Cest trop demander à la nature humaine, purement humaine. Aussi faut-il que la leçon nous vienne « du dehors ». Cest pourquoi Alexandre, et après Alexandre, Farabi, Avicenne, Averroès avec des différences quil serait trop long détudier ont estime que ce maître qui possède la vérité ne le faut-il pas pour pouvoir enseigner ? qui la possède toujours, ou, en termes dAristote, est toujours en acte, ne fait pas partie du composé humain. Il agit sur lhomme, sur lintellect humain (patient ou possible) « du dehors », et cest en fonction de cette action que lhomme pense, cest-à-dire, apprend et comprend. Lintellect agent nest pas propre à chaque homme ; il est seul et unique et commun au genre humain tout entier. En effet, lerreur seule nous appartient en propre ; elle est mienne ou tienne. La vérité, elle, nappartient à personne. Une pensée vraie est identiquement la même chez tous ceux qui la pensent. Il sensuit quelle doit être unique, car ce qui est multiple doit être différent. La théorie arabe de « lunité de lintellect » humain explique bien pourquoi la vérité est une pour tout le monde, pourquoi la raison est une également. Mais un problème se pose : que devient lâme humaine dans cette théorie qui lui refuse lexercice de lactivité spirituelle proprement dite ? Logiquement, une telle âme ne peut être immortelle, ne peut exister après la mort de son corps[15] La solution avicénienne : cest lintellect acquis qui demeure éternellement Avicenne cependant se refuse daccepter cette conséquence ou, du moins, de laccepter entièrement. La pensée, en effet, est quelque chose de tellement divin que le fait davoir pensé, davoir appris et compris, davoir atteint le savoir de la vérité, transforme lintellect patient en un intellect acquis. Et cest cet intellect-là qui demeure après la mort du corps, et persiste à penser éternellement les vérités quil avait faites siennes dans la vie On le voit : lécole, létude de la science et surtout de la philosophie mène à tout ; elle mène au bonheur suprême qui, pour lhomme comme pour Dieu, consiste dans lexercice de la pensée ; elle mène aussi à limmortalité. La solution avicénienne est néanmoins refusée par Averroès qui sen tient à la négation de lindividualité spirituelle Laverroïsme constitue alors une puissante entreprise de laïcisation de la vie spirituelle, de la négation plus ou moins camouflée, du dogme religieux. Mais il nest pas seulement cela. Du point de vue philosophique, laverroïsme implique la négation de lindividualité spirituelle et, bien plus profondément et bien plus dangereusement que le platonisme, brise lunité de lêtre humain. En effet, si ce nétait pas lhomme, mais lâme qui pensait et voulait dans le platonisme, cétait du moins mon âme, mon âme qui était moi-même. Pour laverroïste, ce nest plus moi, ni même mon âme qui pense : cest lintellect agent, impersonnel et commun à tous, qui pense en moi Etrange conséquence dune doctrine humaniste qui finit par priver lhomme de ce qui constitue sa nature et fonde sa dignité. Comme on comprend bien que saint Thomas se soit insurgé contre elle ! La solution thomiste lintellect agent venant de Dieu est la seule qui parvient à sauver laristotélisme en sauvegardant lunité et lindividualité du composé humain Saint Thomas a sauvé laristotélisme au nom de la foi, ainsi quon la dit bien souvent, mais aussi au nom de la raison. Car la philosophie averroïste nest pas seulement pour lui, une philosophie impie : cest aussi, et peut-être surtout une mauvaise philosophie. Aussi sa solution du problème posé par le dire dAristote prend-elle le contrepied des solutions arabes. Elle est aussi la seule qui, dans le cadre de laristotélisme, permet de sauvegarder lunité et lindividualité de la personne humaine, du composé humain. Cette solution nous enseigne, grosso modo, que lactivité et la passivité, lintellect agent et lintellect patient, sont inséparables et que, par conséquent, si lhomme pense, il doit nécessairement posséder les deux. Or, si Aristote nous dit que lintellect agent nous vient « du dehors », il a bien raison, à condition quon entende quil nous vient directement de Dieu ; que cest Dieu qui, à chacun de nous, confère, en nous créant, un intellect agent. Cest cela justement qui nous constitue en créatures spirituelles et explique, en dernière analyse, lactivité purement intellectuelle de notre raison : la conscience de soi, la connaissance métaphysique, lexistence de la philosophie. Et cest la spiritualité de notre âme qui explique, à son tour, le fait quelle soit séparable du corps et subsiste, immortelle, lorsque meurt celui-ci. Il vient dêtre dit que la solution thomiste est la seule qui, dans le cadre de laristotélisme, permet de sauvegarder la spiritualité de lâme et lunité du compos é humain. Il serait, peut-être, plus exact de dire quelle déborde les cadres de laristotélisme ; le Dieu dAristote (et dAverroès), ce Dieu, qui ne pense que lui-même, et qui ignore le monde quil na pas créé, est incapable de jouer le rôle que lui assigne saint Thomas. La solution thomiste présuppose un Dieu créateur et un monde créé. Car cest seulement dans un tel monde que lindividualité spirituelle, que la personnalité humaine est possible. Elle ne lest pas dans le Cosmos dAristote. Cest là la leçon que nous enseigne lhistoire bien curieuse du platonisme et de laristotélisme médiévaux. [1] Les Ennéades ont été traduites par Marius Victorinus, au IV siècle ; lOrganon par Boèce au VIe. Les Catégories et les Topiques, uvres dAristote, nont été connues que par le Haut Moyen Age. [2] E. Gilson, LEsprit de la philosophie médiévale, Paris 1932. [3] Aussi, est-elle niée par ceux des philosophes médiévaux qui ont le plus strictement maintenu lexigence de la philosophie à la suprématie et à lautocratie, cest-à-dire par les Averroïstes. [4] Grosso modo à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle. [5] Jâbir et les origines de lalchimie arabe, Le Caire, (Mémoires de lInstitut dEgypte), 1942. [6] Philosophie und Gesetz, Berlin 1935. [7] Lâme se connaît directement et immédiatement ; elle saisit son être, mais non son essence. Lâme ne possède pas lidée delle-même, car son idée, cest Dieu, nous expliquera Malebranche. [8] Aussi lâme désincarnée retrouve-t-elle la plénitude de ses facultés. En forçant un peu les termes, on pourrait dire que lâme est enfermée dans son corps comme dans une prison. En elle-même, elle est presque un ange. [9] On a sans doute reconnu Avicenne. [10] Les doctrines quil enseigne léternité du monde, entre autres paraissent nettement contraires aux vérités révélées et même à la conception fondamentale du Dieu-créateur. . [11] Il se peut dailleurs que la doctrine vraie, ésotérique et soigneusement cachée au vulgaire, dAvicenne et il en est de même en ce qui concerne Farabi soit aussi irreligieuse, et même antireligieuse, que celle dAverroès. [12] Afin de lui conférer le caractère de substantialité, le platonicien médiéval en arrive à la doter dune matière spirituelle. [13] Il sagit bien entendu dune série bien ordonnée, non dune série temporelle ; cette dernière, au contraire, peut être prolongée indéfiniment. Aussi la création dans le temps est-elle indémontrable. [14] La démonstration avicénienne va dailleurs, parfois directement du contingent au nécessaire. Il y a, on le sait bien, beaucoup de platonisme dans Avicenne. [15] Lâme étant la « forme » du corps, ne peut subsister sans celui-ci ; lexistence dactes purement spirituels accomplis par lintellect humain est la seule chose qui nous permette de lenvisager comme « séparable ». Or, daprès la doctrine des Arabes, ces acres ne sont pas ses actes. Date de création : 20/10/2009 @ 08:20 Réactions à cet article
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